par Edgardo Torija-Zane, économiste chez Natixis
L’économie réelle affiche des signes de panne de plus en plus évidents. La croissance a connu son rythme le plus faible en quatre ans et les indicateurs avancés suggèrent que la tendance au ralentissement va s’accentuer. En dépit de tensions inflationnistes persistantes, les autorités monétaires ont abaissé les taux d’intérêt de 100 points de base et annoncé un paquet fiscal de stabilisation (en octobre pour les deux mesures) afin d’alléger les contraintes de liquidités dans le secteur bancaire. Les autorités prévoient de jouer davantage sur les dépenses fiscales afin d’éviter un scénario récessionniste en 2009.
Les marchés actions, obligations et devises sud-coréens ont été fortement impactés par l’aggravation de la crise mondiale du crédit, dans un contexte d’aversion croissante au risque. Le won, la monnaie d’Asie ayant enregistré les plus mauvaises performances en 2008, a manifesté une extrême volatilité ces derniers mois, perdant plus d’un tiers de sa valeur face au dollar américain depuis le début de l’année et plongeant à un plus bas de six ans en octobre. L’indice boursier Kospi a chuté de 40 % depuis janvier 2008. Enfin, l’instabilité financière mondiale a aussi affecté la perception du risque coréen, les CDS bondissant à des niveaux jamais atteints à ce jour.
Dans ce contexte, la possibilité d’un recul de l’économie réelle devient de plus en plus tangible. Aux craintes des effets sur les exportations coréennes d’une récession dans les pays industrialisés s’ajoute les répercussions de la crise financière sur la demande domestique, le retrait des capitaux étrangers entraînant le tarissement des liquidités domestiques, l’accroissement des coûts de financement et la dépréciation de la monnaie, puis la baisse des investissements des entreprises et de la consommation des ménages.
D’immenses défis à relever pour le secteur financier domestique
Ces quatre dernières années, les banques coréennes ont lourdement emprunté en devises étrangères pour financer l’expansion de leurs activités. Le bilan agrégé du système bancaire montre que le total des prêts des banques coréennes est loin d’être entièrement couvert par les dépôts inscrits au bilan et que la position extérieure nette des banques est négative (USD 170mds en août 2008, soit environ 17% du PIB).
Certes, cette configuration suscite des inquiétudes en ces temps difficiles pour le refinancement par les marchés des crédits en devises, cependant, le risque d’un défaut externe des banques coréennes semble largement surestimé. Tout d’abord, la dette à court terme en devises est essentiellement liée à la couverture à terme des grands contrats d’exportation par les entreprises locales (notamment les constructeurs navals), qui se sont actuellement engagées à vendre des USD contre KRW aux banques à la réception des paiements de leurs ventes.
Avec la dépréciation du won, ce sont les exportateurs et non pas les banques qui font face à des pertes sur des dérivés de change. La dette bancaire à court terme nette de ces contrats est minorée d’USD 80mds. En second lieu, la plupart des emprunts extérieurs à court terme sont concentrés dans les succursales domestiques des banques étrangères, censées avoir plus facilement accès à des liquidités en devises via leurs maisons mères.
En troisième lieu, même si certaines banques semblent avoir financé des opérations spéculatives de carry trade à partir du yen japonais quand la tendance du won était à la hausse jusqu’à Q3 2007, la Banque de Corée (BoK) a largement les moyens d’apporter aux banques des liquidités en devises en cas de pénurie de USD, l’institution détenant plus d’USD 210mds USD de réserves en devises (ce qui la classe au sixième rang mondial en la matière). Toutefois, le manque de liquidités sur les marchés interbancaires rend les banques plus réticentes à l’idée de prêter, menaçant les entreprises domestiques par le resserrement du crédit.
Une série de mesures pour restaurer la confiance
Dans ce contexte, la BoK a baissé les taux de 75 points de base fin octobre, les ramenant à 4,25 %. De surcroît, les autorités ont annoncé le 19 octobre un plan de stabilisation du système financier (PSSF) avec une garantie souveraine sur trois ans, jusqu’à USD 100mds pour la dette extérieure, assumée par les banques sud-coréennes ou leurs succursales à l’étranger. Le PSSF prévoit aussi l’injection d’USD 30 mds dans les banques pour fluidifier la circulation des liquidités.
La BoK envisage également d’acheter des obligations des banques commerciales, à concurrence d’USD7 mds. Ce soutien sous forme de liquidités s’accompagne de l’établissement de dispositifs temporaires d’échange réciproque de devises (lignes de swaps) jusqu’à USD 30mds, convenus avec la Réserve Fédérale des Etats-Unis le 1er novembre (le Brésil, Singapour et le Mexique ont conclu le même accord avec les autorités monétaires américaines).
Certes, le PSSF et le dispositif de swaps devraient améliorer la liquidité et simplifier l’accès au financement en USD (on peut d’ores et déjà observer une meilleure perception du risque coréen dans le déclin des CDS après l’annonce du plan), mais l’envergure et la gravité de la crise mondiale du crédit rendent difficile de savoir s'il sera apte à restaurer pleinement la confiance.
Une croissance ralentie dans un environnement mondial en berne
Le PIB a enregistré une progression de 3,9 % en glissement annuel (GA) au troisième trimestre, son rythme le plus lent en quatre ans, en nette baisse par rapport aux 4,8 % du trimestre précédent. Alors que l’économie mondiale perd de plus en plus de vitesse, les ventes vers l’étranger n’ont enregistré qu’une croissance de 9,6 % en T308 en GA, contre 12,0 % au trimestre précédent, tout en passant en territoire négatif (- 0.9 %) en glissement trimestriel.
A cela se rajoute un brutal ralentissement de la consommation (de 2,3 % en glissement annuel à 2Q08 à 1,1 %) et une croissance ralentie des investissements (1,9 % en GA à 3Q08). La croissance de la production industrielle s’est établie à 4,3 % en GA à 3Q08, contre 10,3 % en GA sur le premier semestre de l’année 2008.
En septembre, l’indice de production industriel (CVS) a diminué de 0,6 % par rapport au mois précédent, poursuivant son déclin entamé il y a trois mois. Si les exportations continuent de marquer le pas, la production industrielle pourrait témoigner d’une contraction encore plus significative. Pour ce qui est des ventes de détail, celles-ci se sont contractées de 2 % en GA en septembre, dans le sillage de la réduction de la consommation de carburants, d’automobiles et de textiles, du fait de l’accélération de l’inflation et de coûts d’emprunt plus élevés.
Les signes de panne de l’économie réelle se font de plus en plus visibles. Selon la BoK, l’indice de confiance des entreprises en novembre a atteint son niveau le plus bas, passant de 78 le mois précédent et de 98 à 2Q08 à 65(1). C’est le pire résultat depuis le lancement du sondage au deuxième trimestre 2001.
Une politique fiscale pour contrecarrer la récession
Face au ralentissement de l’économie réelle, le gouvernement prévoit un paquet de relance budgétaire de KRW 209mds pour 2009 (qui fera croitre les dépenses publiques de 7,2 % par rapport à 2008). Le plan envisage également une baisse des impôts qui pourrait s'élever à KRW 13mds. Par ailleurs, le plan cherche à assouplir les réglementations relatives aux investissements, notamment une interdiction aux sociétés de construire des usines dans les zones métropolitaines de Séoul et dans la ceinture verte.
Enfin, le financement des PME et du secteur des services est aussi inclus dans le paquet de relance. Le solde budgétaire pourrait devenir légèrement négatif en 2009, contre un excédent de 1 % du PIB en 2008. Cela ne devrait cependant pas affecter la capacité souveraine de l’État à honorer sa dette, le rapport entre la dette publique et le PIB étant estimé s’établir aux alentours de 20 %.
Tensions inflationnistes persistantes
Bien que les tensions inflationnistes semblent reculer au fil de la baisse des prix mondiaux du pétrole et des matières premières, elles ne disparaissent pas pour autant. Le taux de l’inflation a certes ralenti en octobre à 4,8 % en octobre (contre 5,1 % en en septembre), mais l’inflation sous-jacente s’accélère. L’indice des prix à la production a reculé à son plus faible taux de croissance en trois mois, passant à 11,3 % en septembre.
Il s’agit toutefois du quatrième mois de croissance de l’indice à un taux à deux chiffres. Avec le won sous pression à la baisse et la banque centrale s’inquiétant désormais plus de soutenir la croissance que de juguler l’inflation, les prix à la consommation pourraient être affectés, dans un contexte d’augmentation des coûts d’importation.
Le déficit de la balance des paiements courants devrait reculer
Le déficit de la balance des paiements courants a reculé en septembre, passant d’USD 4,7mds en août à USD 2,5mds en septembre, bien qu’il ait atteint en cumul le chiffre record d’USD 11,9mds (environ 1,5 % du PIB) sur les 12 derniers mois.
Principal facteur derrière ce premier déficit de la balance des paiements courants pour la Corée depuis 1997, la hausse des prix d’importation des matières premières et du pétrole brut. Avec la chute des prix mondiaux des matières premières et la dépréciation du won par rapport à ses principaux partenaires commerciaux, le déficit de la balance des paiements courants devrait désormais commencer à reculer.
De fait, la valeur des importations (en USD) a déjà nettement décliné en octobre 2009, de 45 % en glissement annuel en septembre à 12 % en GA en octobre. Toutefois, l’ajustement pourrait s’avérer lent, les exportations décélérant elles aussi (10 % en GA en octobre contre 28 % en en septembre) dans un contexte de demande défaillante des principaux marchés étrangers.
Perspectives
Les craintes que la Corée du Sud ne se dirige vers une crise financière similaire à celle que le pays a traversée en 1997-1998, quand le pays a été sauvé d’un défaut souverain par un plan de sauvetage d’USD 60mds accordé par le FMI, semblent jusqu’à maintenant exagérées.
Le système financier dans son ensemble (Banque de Corée comprise) est actuellement un créditeur extérieur net (ce qui était à peine le cas il y a dix ans. Néanmoins, le scénario actuel, associant le ralentissement de la demande extérieure à une confiance des consommateurs et des entreprises qui s’amenuise, peut entraîner le ralentissement de l’investissement des entreprises et des pertes d’emploi. Si ces effets combinés s’avèrent lourds, les banques pourraient subir des pertes de crédit, qui aggraveraient encore leur situation actuelle déjà délicate.
Le scénario le plus pessimiste est celui qui associe un rationnement du crédit domestique – forçant les ménages déjà très lourdement endettés (140 % du revenu disponible) à diminuer leur ratio d’endettement, portant un coup au prix des actifs domestiques et à la consommation, et une récession mondiale prolongée, rendant difficile pour l’économie de s’ajuster grâce à une hausse des exportations. De la capacité des plans d’incitation fiscale et des interventions des autorités monétaires à restaurer la confiance dépendra l’absence ou non d’une spirale récessionniste.
NOTE
(1 Un chiffre inférieur ou égal à 100 indique que les pessimistes sont plus nombreux que les optimistes.