par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
Avec le printemps sont venues les premières estimations de la croissance mondiale en début d'année. Certains aspects ne sont pas étonnants, comme le ralentissement de l'économie chinoise, l’écart de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro et la persistance des divergences au sein de la zone euro. Les données européennes ont apporté de bonnes surprises cependant : la zone euro évite la récession, avec une croissance positive du PIB au T1 2012, même si limitée à +0,1 % sur une base trimestrielle annualisée.
Récession évitée
La Chine n'est pas (encore) la première économie mondiale, mais elle est la première à publier ses estimations de croissance. Au premier trimestre, le ralentissement chinois a été légèrement plus marqué que prévu, l’activité restant incroyablement dynamique comparée aux standards du monde développé : +8,1% en glissement annuel, après +9,2 % en 2011 et +10,4 % en 2012.
L'économie américaine a bien résisté au T12012, avec une croissance trimestrielle annualisée de 2,2%, soit un ralentissement très limité par rapport au T4 2011 (+3%). Le principal moteur a été la surprenante résistance des dépenses des ménages (3,4%) : toutes les composantes de la consommation ont été solides (biens durables +6,2%, biens non durables +2,1%, services +1,2%) tandis que l'investissement résidentiel a enregistré une croissance à deux chiffres pour le deuxième trimestre consécutif (+19% après +11,7%).
L'accélération de la demande intérieure finale est toutefois resté limitée (+1,6% après +1,5%). premièrement, les dépenses publiques ont continué d’exercer des pressions à la baisse, reculant pour le sixième trimestre consécutif. En baisse de 3% au cours du trimestre, elles étaient à la fin du T12012 inférieures de 4,2% à leur pic de fin 2010. En pourcentage du PIB, elles sont en baisse de presque deux points en trois ans. Deuxièmement, en raison de l'expiration de mesures fiscales permettant un amortissement accru sur les dépenses en capital, l’investissement des entreprises a reculé, avec une importante contraction des dépenses en structures (-12%) et un ralentissement des dépenses en équipements et de logiciels (+1,7% après +7,5%). Enfin, alors que la variation des stocks a apporté 0,5 pp à la croissance du PIB, la contribution des exportations nettes s’est limitée à 0,02 pp.
La ventilation des chiffres du PIB de la zone euro ne sera disponible qu’au début du mois prochain. Cependant, il est assez probable que la demande intérieure se soit contractée, l’austérité pesant sur la consommation privée et les sombres perspectives sur l’investissement des entreprises. Ce qui a permis d’éviter la récession (définie comme deux trimestres consécutifs de contraction trimestrielle) à la zone euro a donc été, soit une évolution positive des exportations (ce qui serait une bonne nouvelle), soit une évolution négative des importations (ce qui serait une mauvaise nouvelle, puisque résultant d'une baisse de la demande intérieure), soit encore une augmentation des stocks (ce qui serait une mauvaise nouvelle, le restockage étant probablement involontaire, reflétant ainsi une baisse de la demande intérieure).
Les détails par pays montrent que, au sein de la zone euro, les divergences persistent. Comparativement à la fin de 2011, elles ne se sont cependant pas exacerbées autant qu’on pouvait le craindre. L’Allemagne a nettement rebondit, enregistrant une croissance du PIB de 0,5% q/q, bien plus forte que nous ne l’attendions (nos prévisions étaient de +0,2%). L'activité italienne a subi une troisième baisse consécutive (-0,8%), mais le Portugal et l'Espagne ont réussi à minimiser les dommages, avec des contractions respectives limitées à 0,1% et 0,3%. La Grèce a, une fois de plus, enregistré une forte contraction de l'activité, même si un peu plus limitée que précédemment : -6,2% contre 7,5%, en glissement annuel.
Jusqu’ici, rien ne va bien
Lors de notre dernier exercice de prévisions mondiales, nous supposions que le premier trimestre 2012 serait le pire de l'année. La résistance de la croissance au cours de la période serait donc une bonne nouvelle. Cependant, depuis lors, nous avons reçu des signaux divergents. En Chine, les données de mars ont été très positives et nous avons alors supposé que l'économie rebondissait plus rapidement que prévu. Mais notre enthousiasme a été réduit par les données pour le mois d'avril. Aux États-Unis, après de très fortes créations d'emplois en janvier et février (534 000 postes créés), mars et avril ont constitué une grande déception avec une croissance mensuelle des effectifs moitié moindre. Dans la zone euro, les indices PMI étaient très faibles. Après un éphémère retour au-dessus de 50 en janvier, l’indice composite pour la zone euro a perdu 3,8 points en trois mois. Les niveaux sont effroyablement faibles en Europe du Sud (42,7 en Espagne et 43,3 en Italie en avril), mais le recul a été plus marqué, ces derniers mois, en Allemagne (-2,9 points, à 48,4 en avril) et en France (-3,7 points, à 46,0).
Il est presque impossible d'être optimiste quant aux perspectives de l'Europe du Sud. L'austérité pèse lourdement sur l’économie. Au travers de la conjonction d’une baisse des transferts et d’une hausse des impôts dans un contexte de réduction de salaires, le revenu disponible des ménages est sous pression. En Espagne, au Portugal, la priorité est au désendettement et le crédit s’écoule au ralenti, Les deux vagues de LTRO (opérations de refinancement à long terme) de la BCE ont libéré un peu de pression, mais les effets sur l'économie réelle ont été limités jusqu'à présent (voir «Les prêts à 3 ans de la BCE sont-ils efficaces?», Clemente De Lucia, EcoWeek #12-19).
Une reprise de l'activité en Europe du Sud est peu probable à court terme, détériorant la capacité des gouvernements à atteindre leurs objectifs budgétaires. Tant que ces objectifs seront la priorité pour les dirigeants européens, ils conduiront à l’adoption de nouvelles mesures de réduction des déficits, pesant un peu plus sur l’activité.
L’absence de croissance et ses conséquences
Certains dirigeants européens et, de façon plus étonnante, Mario Draghi, ont appelé à un Pacte de croissance. Même si la terminologie employée est la même, gageons que les idées sous- jacentes divergent. M. Draghi appelle la zone euro à des réformes structurelles en ligne avec celles actuellement adoptées en Europe du Sud : des mesures visant à accroître le potentiel de croissance, grâce à une libéralisation du marché du travail mais aussi des marchés des biens et services. Les dirigeants européens appellent autre chose de leurs vœux, comme un assouplissement des règles budgétaires (si vous êtes enclins au cynisme) ou une plus grande utilisation des fonds de la Banque européenne d'Investissement.
Un autre élément aiderait certainement à surmonter la crise que traverse actuellement l'Europe : la croissance hors de la zone euro. Bien sûr, l'Allemagne serait la première a en tirer avantage, mais finalement, ce coup de pouce se traduirait par une demande intérieure plus forte bénéficiant à son tour aux pays qui exportent vers l'Allemagne. Même si la Chine ralentit, sa contribution à la croissance mondiale n’est pas réduite. Ainsi, les taux de croissance plus faibles s'appliquent-ils à une économie plus importante. En outre, le ralentissement va de pair avec un rééquilibrage des moteurs vers une demande intérieure plus dynamique. Ces deux éléments nous amènent à attendre une contribution plus importante de la Chine à la croissance mondiale.
La Chine n'est pas le seul endroit où la demande reste bien orientée. L'Asie accélère actuellement, principalement au redressement de sa demande intérieure. Bien que leur contribution potentielle soit plus limitée que dans le passé, les ménages américains peuvent également aider. Les données publiées cette semaine aux Etats-Unis étaient encourageantes. Baisse des prix du pétrole, ventes décevantes de voitures et un temps particulièrement clément en mars auraient dû peser sur les ventes de détail en avril, qui ont pourtant progressé. Dans le même temps, l'inflation s’est modérée, à 2,3% (g.a.), après 2,6% en mars et un point haut de 3,9% en septembre dernier. La dernière bonne nouvelle est venue du secteur manufacturier, avec l'enquête de la Fed de New York. L'indice PMI (qui n'est pas publié, mais que nous calculons en utilisant la méthode de l’ISM) a rebondi à 55,1 en mai, après 52,9 en mars, au plus haut en un an.
La semaine prochaine apportera des données additionnelles, avec la publication, jeudi, des PMI Flash. Pour la première fois, les Etats-Unis feront partie de la livraison. Nous disposerons alors d’éléments supplémentaires pour mesurer les écarts de croissance qui existent entre la Chine et les pays développés, entre les Etats-Unis et la zone euro et au sein de la zone euro.