Croissance mondiale : le chemin chaotique de la reprise

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis le début de l’année 2012, les indicateurs avancés de l’activité se sont retournés à la hausse dans la plupart des pays suggérant que le point bas de la croissance mondiale a probablement été atteint au premier trimestre de cette année et que la reprise va se matérialiser à partir du deuxième trimestre.

En particulier, les PMI mondiaux sont revenus au dessus de 50, limite entre expansion et contraction de l’activité. L’amélioration est visible dans de nombreux pays, la zone euro constituant la principale exception. La nouvelle livraison des indicateurs PMI manufacturiers pour le mois d’avril confirme cette tendance : ils progressent en Chine et aux Etats-Unis mais continuent de baisser dans la zone euro reflétant la forte hétérogénéité.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de la reprise de l’activité mondiale : la fin du cycle de déstockage, le début de la désinflation et le changement de cap des politiques monétaires, celles-ci arrêtant de se durcir dans les pays émergents et restant très expansionnistes dans les pays développés. La liquidité mondiale va donc rester abondante cette année et restera une source de soutien pour les économies. Au-delà de ces signaux positifs, la question de la vigueur et de la pérennité de la reprise reste posée. Or malgré l’amélioration de certains indicateurs, nous restons prudents sur les perspectives économiques et pensons que le chemin de la reprise va rester semé d’embûches.

Le risque « pétrole » semble s’être atténué depuis quelques semaines avec l’affaiblissement du cours du Brent (qui est repassé sous 120$ le baril) mais le risque géopolitique reste bien présent.

Par ailleurs, la croissance chinoise a probablement atteint un point bas à 8,1% au T1-2012 et devrait repartir dès le deuxième trimestre pour progresser de 8,5% en moyenne (selon nos prévisions). Le redémarrage chinois devrait être guidé par un certain assouplissement de la politique fiscale, notamment via des mesures ciblées sur les ménages et les PME mais les marges de manœuvre du côté de la politique monétaire restent limitées par le risque inflationniste. Si une croissance de 8,6% peut paraître enviable d’un point de vue européen, il faut garder à l’esprit que cela marque un net ralentissement du rythme de croissance comparé à celui enregistré lors de la dernière décennie (10% en moyenne depuis 2003). Le gouvernement chinois a déjà fait savoir qu’il était prêt à accepter une croissance structurellement plus faible – il a d’ailleurs annoncé un objectif de 7,5% pour cette année – pour permettre la transition vers un modèle de croissance privilégiant la consommation.

De son côté, l’économie américaine devrait enregistrer une croissance honorable en 2012 (2,3% en moyenne), bénéficiant d’un policy-mix extrêmement favorable avec une politique monétaire visant à maintenir les taux longs à un faible niveau et une politique budgétaire qui ne pèse pas (encore) sur la croissance. Les entreprises américaines ont une situation financière solide, avec des taux de profit et d’autofinancement très élevés, qui leur a permis d’investir et d’embaucher. Le taux de chômage a perdu près d’un point depuis l’été dernier pour atteindre 8,2% en mars. Les ménages américains ont bénéficié de cette amélioration du marché du travail mais aussi du début de la désinflation (l’inflation est passée d’un pic à 3,9% en septembre 2011 à 2,7% en mars). Ils ont également baissé leur taux d’épargne pour continuer de consommer. Ainsi, les perspectives semblent plutôt favorables à court terme. Pour autant, nous attendons un ralentissement des créations d’emplois dans les mois qui viennent, leur dynamisme du début d’année étant en partie attribuable à un effet de rattrapage et à un climat favorable. Par ailleurs, si la politique budgétaire n’est pas encore un frein à la croissance (avec l’extension des baisses d’impôt), la nécessaire réduction du déficit public en 2013 assombrit les perspectives économiques américaines pour 2013.

Enfin, l’économie européenne demeure notre principale préoccupation et la zone euro risque de rester le maillon faible de la croissance mondiale en 2012/2013. Avec une croissance négative de 0,3% en moyenne cette année (toujours selon nos prévisions), la zone euro subit les effets négatifs de l’austérité budgétaire mise en place dans plusieurs pays.

Même si la Banque Centrale Européenne a montré sa capacité à agir pour éviter une crise de liquidité et maintenir la stabilité du système financier, cela ne suffit pas à dynamiser la croissance européenne. Si les banques sont moins nombreuses à resserrer les conditions de crédit aujourd’hui qu’en décembre dernier1, les crédits effectivement octroyés ont très fortement ralenti. De plus, la désinflation permettant le soutien du pouvoir d’achat n’interviendra que tardivement dans l’année. Ainsi, les perspectives européennes restent bien assombries suggérant que le chemin de la reprise restera très chaotique.

NOTE

  1. Cf. Edito Eco Hebdo du 27 avril « La BCE a évité le rationnement du crédit mais… ».

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