La BCE plus flexible qu’il n’y paraît

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

– La BCE a décidé, lors de sa réunion du 3 mai, de maintenir ses taux directeurs inchangés. Le Conseil des Gouverneurs n’a évoqué aucun changement sur les taux, la politique monétaire étant jugée appropriée, malgré le renforcement des incertitudes. Ceux qui tablaient sur une allusion explicite à une détente imminente auront certainement été déçus.

– Selon notre analyse, cependant, la suppression, dans la déclaration officielle, du passage sur les « risques à la hausse » concernant l’inflation va clairement dans le sens d’une plus grande flexibilité. C’est ainsi, en effet, que la BCE annonce d’ordinaire un mouvement potentiel sur les taux.

– Nous continuons de tabler sur une baisse des taux de 25 pdb en juin, même si un tel geste reste très dépendant des données. La publication, le 24 mai, des indices PMI « flash » pour le mois de mai, revêtira à cet égard une importance cruciale. – Autre source d’incertitude : l’agenda politique. Si les risques politiques se renforcent, concernant en particulier la ratification du pacte fiscal, la BCE pourrait aussi attendre un peu plus longtemps, jusqu’au lendemain des élections législatives en France, pour annoncer de nouvelles mesures.

– La perspective d’autres mesures non conventionnelles semble encore plus incertaine. Mario Draghi a fait remarquer que la liquidité était toujours aussi abondante et qu’il était trop tôt pour évaluer le plein effet des opérations de refinancement à long terme (LTRO). Sachant toutefois que, si besoin est, une nouvelle mesure de ce type n’est pas exclue.

Depuis longtemps déjà, nous prévoyons de nouvelles baisses de taux de la BCE, qui devraient être ramenés selon nous en deçà de 1 % en 2012 (à 0,75 % en juin et à 0,50 % en septembre), même si le durcissement de ton de la part du Conseil des Gouverneurs récemment semble réduire la probabilité d’une détente imminente. Certes, même une baisse de 50 pdb ne sera pas d’un grand secours pour stimuler la croissance économique ou résoudre la crise actuelle, d’autant que les taux Eonia et Euribor sont déjà très bas. Mais une chose est sûre et c’est là le principal argument à l’appui de notre prévision : la baisse des taux demeure justifiée au regard des fondamentaux pour la plupart des pays de la zone euro. De plus, le « coût » d’une telle décision en termes de crédibilité ne serait pas très élevé pour la BCE et, plus important encore, les banques de la zone euro auraient tout à gagner d’une baisse du taux directeur, le coût de la liquidité lors des opérations de refinancement étant indexé sur le taux refi de la BCE.

À notre grande surprise, nous avons noté un changement important dans le communiqué introductif de la BCE. La mention relative aux « risques à la hausse » à court terme pour l’inflation a, en effet, été supprimée (de même que celle relative aux « outils nécessaires pour faire face aux risques à la hausse pesant sur la stabilité des prix à moyen terme»), un changement révélateur d’un ton nettement plus accommodant que le mois dernier. Les risques relatifs à l’inflation à moyen terme demeurent équilibrés comme auparavant. En d’autres termes, les chances d’un nouveau geste semblent aujourd’hui augmenter, à en juger par la manière dont la BCE prépare habituellement le marché à un changement potentiel. La BCE a toujours annoncé une baisse future des taux par l’adoption d’une position plus conciliante à l’égard de l’évolution des prix plutôt que de l’évolution économique, y compris dans la période qui a suivi la faillite de Lehman (dans les communiqués d’octobre-novembre 2008, par exemple, l’amélioration des perspectives relatives à la stabilité des prix a toujours été la principale justification d’une baisse des taux). À notre sens, il ne faudrait pas un ralentissement économique trop marqué pour que la BCE abaisse ses taux en juin ou fasse allusion à un tel geste.

Pour autant, M. Draghi n’a pas explicitement fait allusion à une décision imminente lors de la réunion d’aujourd’hui (que ce soit sur les taux ou sur des mesures non conventionnelles) ce qui pourrait expliquer la réaction négative du marché à la conférence de presse, sachant que l’espoir d’une détente s’était sensiblement renforcé ces derniers jours. La position de politique monétaire de la BCE est toujours considérée comme « accommodante » malgré une incertitude grandissante. Concernant les mesures non conventionnelles, M. Draghi a indiqué, comme il l’avait fait devant le Parlement européen, que les données encourageantes publiées récemment témoignent de l’impact progressif des LTRO sur l’économie réelle, mais tout en précisant qu’il est encore trop tôt pour évaluer leur plein effet et, partant, que toute stratégie de sortie serait « prématurée ».

Concernant les autres questions politiques ou macro-économiques, la conférence de presse d’aujourd’hui a été sans surprise ou presque, contrairement à ce que laissaient croire récemment certains commentaires. M Draghi a une nouvelle fois insisté sur la nécessité pour les gouvernements nationaux de mettre en œuvre des réformes budgétaires et structurelles, tout en soulignant les mesures ambitieuses déjà adoptées en Italie et en Espagne. Dans ce dernier pays, a-t-il ajouté, il reste à procéder à l’analyse approfondie des initiatives politiques récentes visant à stabiliser le secteur bancaire. Les gouvernements se doivent de remédier aux faiblesses structurelles et aux divergences régionales a fait observer le Président de la BCE.

Par ailleurs, Mario Draghi a réitéré son plaidoyer en faveur d’un « pacte de croissance » pour accompagner le pacte budgétaire dans le contexte des plans d’austérité mis en place dans la zone euro (selon nos estimations, la variation annuelle du solde primaire corrigé des effets conjoncturels s’élèvera à 1,75 point de pourcentage en 2012 – un chiffre record qui pourrait peser d’un poids considérable sur la croissance). Un rationnement majeur du crédit a pu être évité grâce aux LTRO, mais M. Draghi n’en a pas moins lourdement insisté sur les graves incertitudes qui prévalent, comme il l’avait fait dans son discours récent devant le Parlement de l’UE, rappelant que les risques restaient orientés à la baisse concernant l’évolution de l’activité. Mario Draghi s’est bien gardé de donner des exemples explicites sur les modalités de ce pacte de croissance ; on peut néanmoins penser, d’après ses commentaires, que sa préférence va plutôt à des réformes structurelles du côté de l’offre qu’aux mesures de stimulus de keynésianisme traditionnel.

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