par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank
Fin 2017, les marchés avaient adopté l’idée d’une « croissance/relance mondiale généralisée ». Un trimestre plus tard, les analystes ont bien du mal à trouver ce qui pourrait justifier une hausse de l’inflation et commencent à réaliser que la croissance mondiale généralisée prévue ne prend pas forme.
Les espoirs de reflation ont fait long feu, malgré les craintes de guerre commerciale. Dans les pays du G7, l’inflation moyenne est restée stable l’année dernière, aux alentours de 1,7 %. Dans le groupe « BRICS plus Indonésie », où les pressions inflationnistes sont traditionnellement plus fortes, on observe une nette convergence des taux d’inflation avec ceux des pays développés. Dans les pays émergents, l’inflation, à seulement 3,2 % en glissement annuel, est à son plus bas niveau depuis la crise financière mondiale de 2007.
D’un autre côté, de plus en plus de signes indiquent que le pic de croissance mondiale pourrait être derrière nous. La Chine a déjà commencé à ralentir : le credit impulse y est orienté à la baisse depuis début 2017 et, après avoir atteint au premier trimestre de l’année dernière son plus bas niveau depuis 2010, s’établit actuellement à -2,11 % du PIB.
D’après nous, le processus de désendettement de la Chine est délibéré et sera surveillé à l’avenir par Wang Qishan, un proche allié du président Xi Jinping nommé début mars vice-président après avoir supervisé efficacement la lutte contre la corruption. Si ses compétences ne font pas de doute, l’ampleur et la structure de la dette chinoise peuvent à tout moment faire dérailler le processus de désendettement. Le secteur immobilier constitue un des principaux maillons faibles car, au cours des dernières années, il a bénéficié de façon disproportionnée de l’afflux de prêts. Étant donné que, comme on peut le voir ci-dessous, le credit impulse chinois devance les prix de l’immobilier de trois trimestres, il faut s’attendre à ce que ceux-ci subissent à nouveau des pressions à la baisse cette année. Pour la Chine, le difficile numéro d’équilibriste consiste à faire baisser les prix sans aller jusqu’à déclencher un effondrement du marché qui affaiblirait l’ensemble du système bancaire et financier. Le niveau de dépendance des banques vis-à-vis des prêts immobiliers est dangereusement élevé : au cours des vingt dernières années, la corrélation entre banques et marché de l’immobilier s’avère étonnamment élevée, à près de 0,90.
Ailleurs dans le monde, les perspectives économiques ne paraissent pas plus brillantes. La réforme de la fiscalité de M. Trump ne semble pas devoir prolonger significativement le cycle économique. En outre, les chiffres du PIB pour le premier trimestre ont peu de chance de rassurer : les ventes au détail et de biens durables ont commencé l’année en baisse, et rien n’indique que la réforme de la fiscalité ait stimulé une hausse des dépenses d’investissement. Le dernier espoir serait de voir la productivité faire des miracles, ce qui est objectivement peu probable. Tous nos principaux indicateurs avancés signalent que les États-Unis sont proches de la fin du cycle : contraction du credit impulse, croissance plus faible mais pas encore négative des prêts commerciaux et industriels, et aplanissement des courbes de rendement (l’écart entre les swaps sur les obligations américaines à 10 ans et à 30 ans s’est presque inversé !).
Mais la plus mauvaise surprise vient certainement de la zone euro. La dynamique de croissance y est beaucoup plus forte que dans la plupart des autres régions, mais les données récentes de Markit et de la Commission européenne semblent indiquer que la croissance a certainement atteint un palier. Au premier trimestre, l’indice de surprise économique Citi pour la zone euro s’est effondré, renforçant les pressions à la baisse sur les actions européennes. À -57,9, l’indice est actuellement le plus bas parmi les membres du G10.
La zone euro reste trop dépendante des exportations et la demande demeure trop faible. En outre, la crise de la zone euro est loin d’être finie : les balances commerciales espagnole et italienne montrent que les progrès sont essentiellement dus à la faiblesse de l’euro et à une hausse de la demande hors de la zone. De nombreux pays européens n’ont pas encore rétabli leur compétitivité.
La faiblesse de la croissance intervient au plus mauvais moment, car des facteurs de risque se font jour de tous côtés. Nous sommes face à la conjonction unique d’une exacerbation des risques géopolitiques, d’un renforcement du protectionnisme mondial, et d’un resserrement de la politique monétaire.
La question du protectionnisme est bien plus complexe qu’il n’y paraît
Depuis la première annonce par M. Trump le 1er mars de nouveaux droits de douane sur les importations d’acier et l’aluminium, les marchés fuient le risque. L’indice du risque géopolitique (GPR), actuellement à 286, a atteint en mars son plus haut niveau mensuel depuis la guerre en Irak en 2003. Les investisseurs privilégient les valeurs refuges comme l’or, au détriment des actions. Les marchés boursiers les plus exposés à l’international, comme le Nikkei japonais, ont fortement chuté.
Explication : l’indice de risque géopolitique (GPR) a été développé par MM. Caldara et Iacoviello. Il recense chaque mois la proportion d’articles liés au risque géopolitique dans 11 journaux nationaux et internationaux. Vous trouverez ici plus d’informations sur la méthodologie : https://www2.bc.edu/matteo-iacoviello/gpr.htm.
Toutefois, à plus long terme, il est difficile de prévoir et de valoriser les risques d’une véritable guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine – ce qui constitue bien l’enjeu central, loin des distractions que sont les histoires de guerre commerciale entre les États-Unis et l’Union européenne. Avec toute la prudence nécessaire vu l’imprévisibilité totale de M. Trump, nous sommes d’avis que ce scénario est pour le moment très improbable. Il ne fait guère de doute que M. Trump semble croire que les États en excédent commercial ont le plus à perdre dans une guerre commerciale, mais nous supposons qu’il est suffisamment pragmatique pour éviter une confrontation frontale avec Pékin. Qu’il le veuille ou non, il a besoin de la Chine pour financer la dette américaine et soutenir le processus de dialogue avec la Corée du Nord. Jusqu’à présent, ses mesures protectionnistes ont été en grande partie de la poudre aux yeux visant essentiellement à plaire aux entreprises américaines en adoptant un ton agressif contre les violations chinoises des droits de propriété intellectuelle, sans pour autant prendre de mesure susceptible de provoquer la colère de Pékin.
Pour sa part, la Chine n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait une guerre commerciale. Son président Xi Jinping vient de consolider son pouvoir et doit gérer un réalignement de son économie intérieure. Il serait vraiment surprenant qu’il cherche à dynamiter les marchés financiers en déclarant maintenant la guerre au dollar ou aux obligations du Trésor américain. En réalité, la riposte la plus intelligente pour la Chine serait de décider de représailles asymétriques contre des entreprises phares de l’économie américaine, comme General Motors ou Boeing. Il serait ainsi beaucoup plus facile et tout aussi efficace pour la Chine de réaliser des contrôles d’hygiène dans des usines essentielles pour les chaînes de production américaines et de les fermer pendant quelques semaines pour un motif ou pour un autre.
En résumé, la Chine et les États-Unis n’ont pas d’autre choix que de parvenir à un accord sur les sujets commerciaux et les questions de propriété intellectuelle.
Les inquiétudes devraient se porter avant tout sur le risque d’erreur de politique monétaire
Ce qui nous préoccupe vraiment à long terme, c’est le risque d’erreur politique monétaire dans le cadre de la normalisation en cours. Depuis 2008, les marchés oscillent régulièrement entre calme et panique. Dans environ deux tiers des cas, les périodes de panique ont été provoquées par les banques centrales (ajustement de leurs orientations à terme, mauvaise interprétation de leur communication, incertitudes sur l’inflation, etc.). Jusqu’à présent, les conditions financières mondiales restent assez accommodantes, et la Fed a plutôt bien géré son processus de normalisation.
Toutefois, vu l’impact de la réduction des liquidités sur la volatilité, sur le crédit et, en bout de chaîne, sur les « entreprises zombies », les banques centrales ont de moins en moins de latitude pour continuer à relever leurs taux dans un contexte où la croissance est en perte de vitesse dans les principaux pays. Tout mouvement brutal sur les marchés, à première vue anodin, peut finir par déclencher un cycle de baisse. Il est encore plus frappant de voir que toujours plus d’investisseurs s’attendent à ce que ce scénario se réalise bientôt. La question est de savoir ce qui en constituera le déclencheur : est-ce que ce sera quand le taux des fonds fédéraux américains franchira le seuil de 2 % ou de 2,5 % ? Ou quand le rendement des obligations d’État américaines à 10 ans de référence passera au-dessus de 3,5 % ? Nul ne le sait… Par conséquent, dans ces circonstances, la vigilance est de mise.