par Olivier Eluère, économiste au Crédit Agricole
- Le gouvernement a présenté le 29 septembre le projet de loi de finances 2011. Le déficit public serait réduit de 7,7 % du PIB en 2010 à 6 % du PIB en 2011.
- Cette baisse de 1,7 points de PIB en un an représente un très net effort d’assainissement des finances publiques et repose essentiellement sur des mesures structurelles, et notamment un freinage très marqué des dépenses publiques et une réduction de près de 10 milliards des niches fiscales et sociales.
- Le scénario de croissance qui sous-tend ce budget est toutefois très optimiste, 2 % en 2011. Avec notre prévision d’une reprise plus modérée, 1,4 %, le ratio déficit/PIB devrait atteindre 6,3 % en 2011.
- La dette publique va continuer à progresser, malgré la réduction du déficit, et atteindrait selon nous 86,8 % du PIB en 2011.
Contexte macroéconomique
Le projet de loi de finances (PLF) 2011 s’appuie sur une hypothèse de croissance du PIB de 1,5 % en 2010 et 2% en 2011. Selon l’analyse du gouvernement, un cycle assez classique de reprise se met en place. Les exportations sont stimulées par la forte croissance du commerce mondial (demande mondiale adressée à la France en hausse de 11,8 % en 2010 et 7,7 % en 2011). L’investissement des entreprises redémarre nettement (+5,5 % en 2011) avec l’amélioration des perspectives de croissance, le redressement des profits et des conditions de crédit satisfaisantes. Le déstockage est amené à se poursuivre mais sur des rythmes de plus en plus lents, ce qui va contribuer positivement à la croissance. Et la consommation se redresse graduellement, à +1,4 % en 2010 et +1,7 % en 2011. En effet, le redémarrage de l’emploi permet des gains de pouvoir d’achat (1,2 % en 2010 et 1,6 % en 2011) et les ménages vont un peu réduire leur taux d’épargne. Enfin, le taux d’inflation est prévu à 1,5 % en 2010 comme en 2011.
Nos commentaires
Nos prévisions sont très proches pour 2010 mais plus prudentes pour 2011. Selon nous, la croissance du PIB serait non pas à 2 % mais à 1,4 %. Nos hypothèses de croissance mondiale sont plus modérées : croissance de 1,2 % en zone euro en 2011, vs 1,6 % dans le PLF 2011 (mais sur la croissance américaine 2011 nous sommes un peu plus optimistes, 2,1 % vs 1,7 %). Surtout, le rebond de l’investissement des entreprises sera selon nous très limité, 2,5 % vs 5,5 %. Et la consommation des ménages sera plus mesurée, 1,4%vs1,7%. Le consensus des économistes est actuellement à 1,5 % pour la croissance française en 2011 et les prévisions officielles semblent donc trop optimistes.
Déficit public prévu à 7,7 % en 2010
En 2010, le ratio de déficit public sur PIB atteindrait 7,7 %. C’est un peu moins que le ratio précédemment estimé (8%). Ce déficit reste toutefois considérable, et en hausse par rapport au déficit de 2009, qui avait atteint 7,5 % du Pib.
- Le solde conjoncturel va continuer à se détériorer. Ce dernier est la différence entre le déficit public et le déficit structurel et reflète l’impact du cycle conjoncturel sur les finances publiques. En approche simplifiée, il peut être évalué à 0,45*(PIB–PIB potentiel/PIB potentiel), i.e. 0,45 *output gap. La croissance, prévue à 1,5 %, reste inférieure à son rythme potentiel, estimé à 1,7% en 2010. Avec par ailleurs l’impact direct du cycle sur certaines dépenses (chômage notamment), le solde conjoncturel va se dégrader de 0,3 % du PIB.
- Le solde structurel (solde qui serait atteint si le PIB était égal à son niveau potentiel) devrait se redresser très légèrement, de 0,1 % du PIB. Les dépenses publiques freinent nettement, +1,8 % en volume contre +3,7 % en 2009. De plus, une bonne partie des mesures du plan de relance 2009 ne joueront plus en 2010, ce qui va améliorer le solde structurel. En revanche, d’autres mesures ont été reconduites, au moins en partie : prime à la casse, exonérations de cotisations sociales dans les TPE, remboursement anticipé du crédit impôt recherche. Surtout, la taxe professionnelle (TP) a été supprimée et remplacée par une contribution économique territoriale assise pour une partie sur les bases foncières, et pour l’autre sur la valeur ajoutée, (plafonnée au total à 3 % de la valeur ajoutée).
Déficit ramené à 6 % du PIB en 2011
Le gouvernement s’est engagé à ramener le ratio de déficit à 3 % du PIB en 2013, une limite imposée par le Traité de Maastricht. Un effort très marqué de maîtrise des finances publiques va être poursuivi pendant trois ans, pour ramener le déficit à 6% du PIB en 2011, 4,6 % en 2012 et 3 % en 2013.
Il est indispensable de réduire fortement les déficits pour respecter les engagements européens, stabiliser la dette publique (en forte hausse depuis deux ans) et enrayer les risques de spirale haussière (effet « boule de neige »). Ceci d’autant plus que les marchés restent très préoccupés par la soutenabilité des dettes publiques en Europe, et qu’en cas de nouvelle crise, la France n’est pas à l’abri de voir la prime de risque sur ses emprunts souverains se tendre fortement, voire de perdre sa note AAA, vu le poids de sa dette.
L’effort d’assainissement est particulièrement marqué en 2011, avec un déficit ramené de 7,7% à 6 % du Pib, soit une économie de 30 milliards d’euros environ. Cet effort est essentiellement permis par des mesures structurelles.
Solde conjoncturel :léger redressement La hausse du PIB potentiel est estimée à 1,7 % en 2011. Avec une croissance prévue à 2 % dans le PLF 2011, l’output gap (PIB–PIB potentiel/PIB potentiel), va s’améliorer de 0,3 % et le solde conjoncturel d’environ 0,2 %
Solde structurel : forte amélioration Le cadrage officiel suppose une réduction très marquée du déficit structurel, -1,6 points de PIB.
Trois éléments se conjuguent.
- D’abord, comme en 2010, l’arrêt progressif de mesures de relance va améliorer le solde structurel. De plus, la réforme de la taxe professionnelle entraînait un surcoût temporaire en 2010, qui va disparaître en 2011. Ces effets permettent une réduction de 0,6 % du déficit structurel.
- Ensuite, les dépenses publiques freinent fortement, 0,5 % en volume contre 1,8 % en 2010 et une hausse moyenne de 2,2 % par an en moyenne en 1998-2008. Les dépenses de l’Etat seraient en baisse de 0,2 % en volume et en croissance zéro en valeur hors charge de la dette et dépenses de pensions des fonctionnaires. Ceci est notamment permis par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et une réduction de 5 % des crédits de fonctionnement et d’intervention. Les dépenses d’assurance maladie ralentiraient à nouveau, 2,9 %, après 3 % en 2010 et 3,5 % en 2009. Tout ceci améliore d’environ 0,5 % le solde structurel.
- Enfin, les niches fiscales et sociales sont réduites à hauteur de 9,4 milliards, ce qui améliore également de 0,5 % le solde structurel.
Les principales mesures de réduction des niches fiscales et sociales sont les suivantes.
Nouveaux remboursements prévus pour rembourser la dette sociale :
- CSG et CRDS prélevés chaque année et non plus au dénouement du contrat pour les parties en euros des contrats assurance vie multi-supports ;
- taxe de 10 % sur les réserves de capitalisation des assureurs ;
- prélèvement sur les complémentaires santé proposant des « contrats responsables ».
Mesures déjà annoncées dans le cadre de la réforme des retraites :
- annualisation des allègements de charges sociales des entreprises ;
- taxation accrue des dividendes et des plus-values mobilières.
Autres mesures :
- crédit d’impôt développement durable revu en baisse ;
- hausse de TVA sur les abonnements aux services de télévision ;
- révision des modalités de déclaration d’impôt sur le revenu (mariages, PACs, divorces).
Au total, avec une amélioration de 0,2 % du solde conjoncturel et une réduction de 1,6 % du déficit structurel, on réduit de 1,8 % le déficit public, qui, aux arrondis près, passe de 7,7 % à 6 % du Pib entre 2010 et 2011.
Nos commentaires
L’effort d’assainissement est très marqué. On peut notamment remarquer que la réduction des niches fiscales et sociales est plus rapide et plus marquée que ce qui était envisagé dans le rapport préparatoire présenté en juin (-10 milliards sur 3 ans). Et une partie de ces mesures vont monter en puissance en 2012 (compte tenu des décalages liés au paiement de l’impôt sur le revenu).
Il reste que les hypothèses officielles de croissance semblent trop optimistes en 2011. Avec nos hypothèses de croissance, le solde conjoncturel connaîtrait non pas une amélioration, mais une dégradation de 0,2 % environ. Le déficit public serait ainsi selon nous de 6,3 % du Pib.
Le même problème se posera a priori en 2012 et 2013. L’hypothèse de croissance officielle est de 2,5 % par an. Nos prévisions sont de respectivement 1,7 % et 1,9 %. En prenant en compte les mesures de redressement structurel prévues, le déficit public atteindrait selon nous 5,3% en 2012(et non pas 4,6%) et 4% en 2013 (et non pas 3 %). Le respect de l’objectif de 3 % en 2013 supposerait donc la mise en place de mesures d’économie supplémentaires.
Nouvelle remontée de la dette publique
Le ratio dette publique/PIB, qui atteignait 67,5 % en 2008, s’est accru fortement en 2009, à 78,1 %. Il va atteindre 82,9 % en 2010. En 2011, malgré la réduction marquée du déficit, le ratio de dette publique va encore s’accroître, pour atteindre 86,2 %, compte tenu du niveau toujours élevé du déficit et de la faiblesse relative de la croissance.
Avec nos propres prévisions de déficits, le ratio de dette publique augmentera à 86,8 % en 2011.
Rappelons en effet que le «solde stabilisant», c'est-à-dire le solde public (rapporté au Pib) permettant de stabiliser le ratio dette publique/PIB, est donné par la formule :
Déficit (n) / PIB (n) = (g/1+g) * Dette(n-1) / PIB(n-1) où g est le taux de croissance du PIB en valeur.
En 2011, il faudrait un déficit public limité à 2,1 % du PIB, pour stabiliser le ratio de dette à son niveau de 2010. Les déficits attendus étant nettement supérieurs à ces niveaux, le ratio de dette publique va donc remonter encore assez fortement en 2011.
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