La Fed en mode « risk manager »

par Florian Roger, stratégiste chez Amundi Asset Management

La récession la plus longue d’après-guerre…

C’est désormais officiel, l’économie américaine est sortie de la récession la plus longue d’après-guerre au deuxième trimestre 2009. L’organisme chargé de la datation des cycles aux Etats-Unis, le National Bureau of Economic Research, a rendu son verdict lundi 20 septembre 2010. Le NBER aura mis plus d’un an avant de se prononcer sur la date de la fin de la récession. Ce délai est usuel car cet institut préfère attendre d’avoir des données suffisamment fiables pour communiquer ses conclusions.

Cette prudence lui permet normalement de ne pas avoir à réviser son jugement. A un moment où le marché s’inquiète d’une nouvelle contraction du PIB à court terme, le message délivré prend un relief particulier, car il semble peu probable que le NBER se hasarde à qualifier d’expansion une phase cyclique qui n’aurait duré que quelques mois et qui ne se serait pas traduite par une amélioration notable du marché du travail. Les spécialistes du NBER semblent donc plutôt envisager une poursuite de la croissance, ce qui est en soi rassurant. Cela ne veut pas dire que la reprise américaine n’est pas fragile et ne se trouve pas directement confrontée à un certain nombre de risques. Un des plus importants demeure aujourd’hui celui de la déflation.

Des pressions déflationnistes persistantes

L’inflation sous-jacente, qui est passée en avril sous les 1% (généralement considéré comme le seuil d’inconfort des banques centrales), devrait continuer de refluer lors des prochains mois, étant donné l’évolution des loyers et la situation des facteurs de production. D’après nos estimations, elle devrait atteindre son point bas au tournant de l’année 2010/2011, autour de +0,6%/+0,7% contre +0,9% actuellement. De tels niveaux offrent un bien maigre filet de sécurité. Or, si l’économie américaine basculait en déflation, cela pourrait amener le taux d’épargne des ménages sur des niveaux nettement plus élevés, avec en corollaire une nouvelle dégradation de la consommation. En cas de baisse des prix, les ménages trouveraient en effet un motif supplémentaire d’accroître leur épargne (en plus d’un motif de précaution dû au chômage de masse et à leur situation patrimoniale dégradée), car cela leur offrirait une augmentation de leur pouvoir d’achat futur. Ce nouveau choc sur la demande inciterait les entreprises à devenir plus agressives sur leurs politiques de prix et de coûts. Des spirales déflationnistes prix-salaires pourraient se développer, risquant in fine de générer une situation de dépression. Ben Bernanke est certainement un des banquiers centraux le plus averse à ce type de développement.

Un risque de trappe à la liquidité

Sous son impulsion, la Fed a indiqué mardi 21 septembre 2010 dans son communiqué de politique monétaire qu’elle pourrait mettre en place un nouveau programme d’achat d’actifs pour contrer les pressions déflationnistes. En appuyant sur les taux longs, la banque centrale américaine cherche à rendre l’offre de crédit la plus attractive possible Le problème est que la demande y semble aujourd’hui peu sensible. La plupart des ménages ont encore peu de marges de manœuvre sur leur dette et les entreprises, ayant accumulé un montant de cash substantiel, tendent à limiter leur appétence pour le crédit. L’efficacité d’un QE2 est donc sujette à des interrogations sur le plan monétaire car il apparaît ici les symptômes d’une situation de trappe à la liquidité.

Vers une dévaluation compétitive ?

En décidant de nouvelles mesures non conventionnelles, la Fed vise alors peut-être davantage le marché des changes. En renforçant le biais accommodant de son discours et en indiquant qu’elle pourrait encore accroître son offre de monnaie via la taille de son bilan, la Fed tend à peser sur la valeur de sa devise. Un dollar plus faible pourrait offrir à l’économie américaine un peu de croissance externe au moment où la contribution des dépenses des entreprises (stocks et investissements en équipements et logiciels) tend à faiblir sur un plan interne. Dans un contexte où la BoJ vient d’intervenir sur le marché des changes pour limiter l’appréciation du Yen et où la Chine traine des pieds pour tenir les engagements qu’elle avait pris lors du dernier G20 sur l’appréciation du yuan, les actions de la Fed semblent s’inscrire dans une logique de dévaluation compétitive. Espérons pour l’économie européenne que l’Euro n’en soit pas une nouvelle fois la variable d’ajustement…

La gestion du policy mix en ligne de mire

Enfin, en indiquant qu’elle pourrait procéder à un nouveau programme d’achat d’actifs, la Fed maintient le marché obligataire sous pression au moment où l’administration Obama pourrait annoncer de nouvelles mesures de relance budgétaire. L’arrêt brutal des aides fiscales en 2011 couterait 1,9% de croissance selon le CBO (Congressional Budget Office). Etant donné les anticipations de croissance pour l’année prochaine (+2,4% selon le consensus), un tel pari serait bien risqué. Le Trésor pourrait alors annoncer une prolongation de certaines mesures fiscales pour soutenir la reprise en cours. Cela impliquerait le maintien d’un déficit public élevé et pourrait renforcer les inquiétudes des marchés quant à la dynamique de la dette. Dans cette perspective, la mise en place d’un QE2 en face de nouvelles mesures budgétaires peut servir de contrepoids pour limiter le risque d’une éventuelle remontée des taux longs. La décision de la Fed de procéder à un nouveau quantitative easing ne doit donc pas être interpréter nécessairement comme le signe précurseur d’une nouvelle rechute d’activité à court terme mais peut s’inscrire logiquement dans la stratégie de risk management que poursuit la banque centrale aujourd’hui.