par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
• L’économie américaine a enregistré une accélération marquée. Au dynamisme des dépenses des ménages et des entreprises se sont ajoutés des soutiens ponctuels pour tirer la croissance à 5% au troisième trimestre, un plus haut en neuf ans.
• Le quatrième trimestre pourrait marquer un ralentissement, qui sera à la fois modéré, ponctuel et essentiellement le fait des dépenses publiques et du 1 commerce extérieur.
• La demande intérieure est sur une pente très positive, illustrée et nourrie par un marché du travail dont le dynamisme va croissant.
• La croissance semble ancrée sur un rythme solidement supérieur à son potentiel. Il est aujourd’hui possible de prévoir la fermeture de l’output gap, au plus tard en 2016.
Les derniers mois de 2014 ont apporté bon nombre de bonnes nouvelles pour l’économie américaine. Les performances du troisième trimestre ont été revues à la hausse et la croissance, trimestrielle annualisée, aura été la plus forte en 9 ans, à 5%. Les moteurs de croissance sont multiples et équilibrés, avec une demande intérieure finale progressant de 4,2% et une forte contribution positive des exportations nettes (0,7 pt), alors que la variation des stocks retranchait 0,1 point à la croissance.
Les premières données disponibles pour le quatrième trimestre indiquent que le ralentissement – inévitable après une telle performance – pourrait être limité. Les enquêtes menées auprès des directeurs d’achats, dans les secteurs manufacturier et non- manufacturier, sont compatibles avec une croissance équivalente à celle du troisième trimestre. Notre Indice M&N, une somme pondérée des deux enquêtes ISM, s’inscrivait ainsi à 57,6 sur les trois derniers mois de l’année, après 58,7 au cours des trois mois précédents.
Le moteur extérieur
En tendance, la croissance américaine est moins intense en importations depuis la Grande Contraction, notamment du fait de moindres besoins en hydrocarbures importés, sous le double-jeu d’une baisse de l’intensité énergétique de la croissance et de la forte progression de la production nationale (pétrole et gaz de schiste). Mais la balance commerciale américaine doit aussi son amélioration à l’évolution du solde des échanges en biens non durables, hors produits agricoles et hydrocarbures, alors que pour les biens durables, le déficit se creuse. Mais la conjonction, au troisième trimestre, d’une forte progression de la demande intérieure et d’un recul des importations ne peut se reproduire et une correction est inévitable, même si elle pourrait ne pas intervenir avant le début de 2015. Il semble bien, qu’au quatrième trimestre, la contribution du commerce extérieure ai été marginale. Sur les mois d’octobre et novembre, le solde de la balance commerciale (en volume) ne s’est pas creusé, demeurant à USD 588 mds en moyenne contre USD587mds au troisième trimestre (données annualisées). En l’absence de mouvement majeur en décembre, les échanges extérieurs n’auraient contribué ni positivement ni négativement à la croissance du dernier trimestre.
Un soutien ponctuel du secteur public
Les dépenses publiques ont été un frein particulièrement puissant depuis la sortie de récession. Au cours de ces vingt-et-un trimestres, elles ont reculé à quatorze reprises, pour une baisse cumulée de près de 8% (entre T3 2009 et T1 2014). Initié par les Etats et collectivités locales – qui ont l’obligation de voter des budgets équilibrés et n’avaient d’autre choix que de couper les dépenses dans un contexte de recettes grevées par la conjoncture – le recul des dépenses aura été finalement plus marqué pour le gouvernement fédéral : -13,2% entre T3 2010 et T2 2014. Aussi bien au deuxième qu’au troisième trimestre, les dépenses publiques ont progressé, et de façon assez dynamique : +4,4% au T3 2014 (taux trimestriel annualisé). En glissement annuel, la première progression en plus de quatre ans a ainsi été enregistrée au T3.
Mais une bonne part de la vigueur du troisième trimestre s’explique par le rebond des dépenses militaires fédérales, rebond qui sera corrigé. Le troisième trimestre de l’année calendaire est aussi le dernier trimestre de l’exercice budgétaire, ce qui pourrait expliquer cette vigueur, systématique depuis 2007, des dépenses militaires au T3. Depuis cette date, la progression trimestrielle annualisée est, au troisième trimestre, supérieure de 10 points de pourcentage à sa moyenne sur les autres trimestres. En résumé, alors que les dépenses militaires fédérales ont apporté une contribution positive à la croissance à hauteur de 0,7 point au T3, on peut s’attendre à une contribution d’ampleur équivalente, mais négative, au T4.
Le secteur privé intérieur est le véritable moteur
Commerce extérieur et dépenses publiques n’expliquent pourtant pas la croissance : sans ces soutiens, la croissance au T3 aurait tout de même été très dynamique. Ainsi, la demande intérieure finale émanant des agents privés a progressé à un rythme trimestriel annualisé de 4% au troisième trimestre, après 4,1% au deuxième. Si ces performances ont déjà été égalées voir dépassées depuis la sortie de récession, c’est bien la première fois qu’un tel rythme de progression est maintenu pendant six mois.
L’investissement des entreprises a contribué de façon significative à l’accélération de la croissance. Le quatrième trimestre pourrait marquer un ralentissement, qu’il s’agira de ne pas sur-interpréter. Les livraisons de l’industrie des biens d’équipements (hors industries aéronautique et militaire) ainsi que les nouvelles commandes ont fortement reculé en octobre et en novembre (de successivement 1% puis 0,7%, et 1,8% puis 0,5%, respectivement). Ces évolutions tendent à annoncer un quatrième trimestre morose. Mais, d’une part, le ralentissement des ventes et nouvelles commandes n’est pas nécessairement l’illustration d’un recul des dépenses d’investissement des entreprises américaines. Ainsi, sur les mois d’octobre et de novembre, les exportations en biens d’équipement ont ralenti de façon assez marquée, ce qui pourrait expliquer la faiblesse des données d’activité de l’industrie des biens durables.
D’autre part, les enquêtes auprès des entreprises illustrent un retour de l’optimisme quant aux perspectives de la demande, ce qui est, conjugué à des conditions de financement toujours très avantageuses, compatible avec un investissement dynamique. Certes, depuis la récession de 2007-2009, ces enquêtes semblent avoir perdu de leur pertinence. Mais l’amélioration très marquée du marché du travail est un fait : si ce n’est en anticipation (ou en réponse) d’une demande plus robuste, pour quelle raison les entreprises augmenteraient-elles leurs effectifs ?
Les dépenses des ménages ont apporté une contribution non- négligeable à la croissance au cours des deuxième et troisième trimestres de 2014 : 1,7 point puis 2,2 points, contre une moyenne de 1,4 point entre 2010 et 2013. Le quatrième trimestre ne devrait pas marquer de retournement : les données disponibles pour octobre et novembre annoncent une progression (en taux trimestriel annualisé) des dépenses de consommation aux alentours de 4%, qui apporterait près de 3 points à la croissance du PIB. Après avoir subi de violents vents contraires, le pouvoir d’achat des ménages est soutenu par un marché du travail de plus en plus dynamique : en 2014, plus de 2,5 millions d’emplois ont été créés, et malgré l’atonie de salaires, le revenu d’activité des ménages était en hausse de 4,5% en glissement annuel en novembre. Depuis l’été dernier, la baisse très marquée des prix du pétrole est venu soutenir encore davantage le pouvoir d’achat des ménages qui était en progression (en glissement annuel, en novembre) de 2,9%.
Le rythme de croissance enregistré au T3 permettrait, si maintenu au cours des trimestres à venir, de refermer rapidement l’output gap. A 5% en rythme trimestriel annualisé, le PIB rejoindrait son potentiel à la fin du troisième trimestre 2015. A 3,5%, il faudrait attendre un an de plus. Dans l’un ou l’autre des scénarios, une chose est certaine : il semble bien qu’on aperçoive enfin le bout du tunnel.