par Thomas Julien et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis
La publication vendredi dernier des chiffres du PIB a souligné la faiblesse de l’économie américaine au T2 2011 avec une décélération marquée des dépenses de consommation. La forte révision à la baisse sur le T1 est essentiellement liée à la contribution des stocks et du commerce extérieur. Le profil de croissance reste inchangé. Enfin, la révision du PIB sur 2008 et 2009 indique que la récession a été plus forte qu’estimée auparavant, ce qui implique une ouverture plus prononcée de « l’output gap ». Au final, ces révisions nous conduisent désormais à n’anticiper plus qu’une croissance de l’ordre de 1,8% en GA en 2011, C’est-à-dire en dessous du potentiel, et de 2,1% en 2012.
Le taux de chômage devrait donc encore légèrement progresser sur l’année et la Fed pourra difficilement augmenter les taux directeurs avant 2013. Néanmoins, sans résurgence d’un risque déflationniste marqué et sans dégradation plus violente de la conjoncture américaine, les spéculations sur un éventuel QE3 nous semblent aujourd’hui prématurées.
Un T2-2011 décevant
La publication de la première estimation du PIB du T2 2011 a souligné la faiblesse de l’activité aux Etats-Unis. La croissance réelle s’est avérée plus faible que ce qui était attendu : 1,3% T/T en rythme annualisé contre une prévision consensuelle de 1,8%. Ce trimestre, les principales sources de croissance ont été le commerce extérieur et l’investissement.
La consommation privée, freinée par une envolée des prix (essentiellement liée à la hausse des prix du pétrole et de la nourriture) ne progresse plus que de 0,1% T/T en ra au T2 1011 contre une hausse de 2,1% au T1 2011 et 2% en GA en moyenne en 2010.
De même, les dépenses publiques sont restées en territoire négatif (-1,1% T/T en ra au T2 contre -5,9% au T1) tirées à la baisse par les coupes de dépenses drastiques des collectivités locales, non compensées par le rebond des dépenses fédérales au T2 (principalement concentrées sur le secteur de la défense).
L’investissement total a été soutenu par un léger rebond de la construction résidentielle (+3,8% au T2 contre -2,5% au T1) et commerciale alors que l’investissement des entreprises a ralenti (5,7% au T2 contre 8,7% au T1).
Les stocks ont apporté une contribution quasi-nulle à la croissance sur le trimestre. Cependant, le commerce extérieur a fourni 0,6 pt de contribution à la croissance au T2 après une contribution négative de -0,3pt au T1. Ces deux composantes (les stocks et les exportations nettes) s’avèrent toutefois très volatiles et peuvent donner lieu à de fortes révisions lors de la deuxième estimation du PIB du trimestre. En effet, les chiffres du mois de juin n’étant pas encore publiés, l’estimation trimestrielle du PIB s’est faite en utilisant les prévisions mensuelles du BEA pour ces deux composantes.
Hormis ces nouvelles décevantes sur l’activité au deuxième trimestre, la révision annuelle des comptes nationaux a également apporté des signaux négatifs pour l’économie américaine.
La révision du T1-2011 porte principalement sur les stocks et le commerce extérieur
La révision à la baisse du T1 2011 de 1,9% à 0,4% T/T en ra, qui semble à première vue inquiétante, doit être relativisée. Elle est essentiellement due à une révision de la variation des stocks et du commerce extérieur, qui ont coûté respectivement 0,9 et 0,5 point de PIB. Ces derniers sont en général des composantes volatiles et sujettes à révision. Le profil de croissance reste lui inchangé.
Les stocks et la croissance : une relation ambiguë
Dans la comptabilité nationale américaine, les stocks sont une composante à part entière du PIB (contrairement à certains pays où les stocks constituent simplement ou aussi un poste de résidus). Même s’ils ne représentent qu’une faible part de la valeur ajoutée (la variation des stocks représente 0,4% du PIB en moyenne), ils jouent en général un rôle important dans les fluctuations de l’activité économique et créent de la volatilité dans le cycle.
Effectivement, la relation entre croissance et stocks est ambigüe. Deux visions sont généralement avancées pour expliquer l’évolution de ces derniers :
1- Le lissage de la production (contra-cyclique)
Cette théorie stipule que le niveau des stocks s’ajuste en fonction de l’activité: en période d’accélération (de ralentissement) de la croissance, les stocks s’ajustent à la baisse (hausse) avant un éventuel ajustement de la production. Cet effet joue plutôt sur le court-terme.
2- L’accélérateur des stocks (pro-cyclique)
Ici, le niveau des stocks est proportionnel à la production : quand la croissance accélère, les entreprises souhaitent détenir proportionnellement plus de stocks. Ce comportement est également explicable par la demande anticipée des agents et joue sur un horizon de moyen long-terme.
Durant la crise, la variation des stocks a joué un rôle pro-cyclique. Tout d’abord, durant la phase d’effondrement de la croissance, les entreprises ont opéré un déstockage massif. L’effondrement du marché des « commercial papers » durant la crise avec les difficultés des entreprises pour financer leurs besoins en fond de roulement ont également contribué à la baisse des stocks. Ensuite durant la reprise, la reconstitution des stocks dégradés a contribué positivement à la croissance.
Même si ex-ante, il est difficile de discerner si l’effet de court-terme ou de long-terme dominera, on observe que malgré une forte volatilité de court-terme, le rôle pro-cyclique des stocks domine aux Etats-Unis. De fait, notre scénario de croissance modérée (faible demande anticipée) suggère une contribution du cycle de restockage de plus en plus neutre (avec des taux monétaires sous contrôle et un niveau de stocks revenu à la normal, le potentiel à la baisse est limité). Il faut également souligner qu’en deuxième partie d’année cette contribution sera bruitée par la reconstitution des stocks d’automobiles, fortement impacté au T2 par le ralentissement soudain de la production après la catastrophe de Fukushima.
Une crise plus marquée
Le détail des révisions des composantes du PIB, qui porte principalement sur les trois dernières années, montre que finalement la crise a été plus importante et la reprise légèrement plus dynamique.
Toutefois, si on solde ces changements, la révision baissière de la croissance durant la crise (-1,2 point de PIB) l’emporte largement sur la révision haussière de 2010 (+0,4 point), ce qui implique pour l’économie américaine un écart à la croissance potentielle plus important à combler. Or, plus « l’output gap » est grand, plus les pressions baissières sur l’inflation sous-jacente seront durables et les capacités de production excédentaires plus importantes.
Implications pour le scénario macroéconomique
La révision annuelle des comptes nationaux et les chiffres du T2 2011 ont mis à jour un ralentissement plus important de la croissance que ce qui a été perçu précédemment. Par conséquent, nous avons ajusté nos prévisions annuelles de croissance pour intégrer cette nouvelle information.
Selon nos prévisions, l’économie américaine devrait désormais croître de 1,8% en glissement annuel en 2011 (contre 2,2% anticipés auparavant) et de 2,1% en 2012.
La croissance évoluant en-dessous de son potentiel, le taux de chômage devrait se stabiliser sur un niveau élevé (autour de 9%) pour l’année en cours et ne diminuer que très légèrement en 2012.
Comme nous avons évoqué précédemment1, l’impact du plan de consolidation fiscale (approuvé en début de semaine), ne devrait pas avoir un impact important sur le déficit et la croissance avant les élections (fin 2012). En conséquence, nous n’anticipons pas d’impacts négatifs liés à la mise en place de ce plan sur notre horizon de prévision (2011-2012) et nous maintenons notre prévision de croissance du PIB à 2,1% pour 2012.
Position de la Fed
Dans un contexte d’affaiblissement de la reprise économique, la banque centrale américaine devrait maintenir le niveau du taux directeur durablement bas.
En effet, avec l’ouverture plus forte de « l’output gap » et des prévisions de croissance plus basses, une règle de Taylor ne suggère aucune hausse des taux Fed Funds envisageable d’ici la fin de l’année 2012.
Cependant, il nous semble prématuré d’évoquer aujourd’hui la possibilité d’un QE3. Bernanke, s’est montré prudent sur la question d’un nouveau stimulus monétaire, soulignant au passage que «la politique monétaire n’est pas une panacée ».
Après le succès du QE1, le second programme d’achats des titres du Trésor (QE2) a eu en comparaison un impact limité avec de surcroit une réaction négative de l’opinion publique (source de perte de crédibilité).
Point positif, le risque déflationniste bien présent en août 2010 (juste avant le QE2) semble avoir diminué de manière marquée. L’indice des prix à la consommation montre en effet une inflation de 3,6% pour le juin 2011 (contre 1,1% en juin 2010). La composante « core » (hors alimentation et énergie) moins volatile et donc plus indicatrice des tendances lourdes des prix s’élève à 1,6% en juin 2011 contre 0,9% en juin 2010.
Certes, le ralentissement continu de la croissance économique et la stabilisation des prix du pétrole devraient encore exercer des pressions baissières sur les prix. Cependant, le degré élevé de prudence de la Fed suggère qu’une nouvelle politique plus accommodante ne se justifiera qu’avec une dégradation importante des perspectives de croissance à moyen terme et un retour du risque déflationniste.
Conclusion
Au final, même si techniquement la hausse du PIB au T2 2011 représente une accélération de la croissance comparée au T1, nous estimons que le ralentissement brutal de la consommation au T2 2011 constitue la vraie mauvaise nouvelle du rapport du vendredi 29 juillet. En parallèle, la révision à la baisse de la croissance durant la crise implique que « l’output gap » est plus ouvert qu’initialement estimé.
Cette dégradation de la croissance et l’effondrement plus prononcé du PIB durant la crise implique un ajustement de notre scénario. Ainsi, nous anticipons une croissance du PIB de l’ordre de 1,8% en GA en 2011 et de 2,1% en 2012. Une croissance sous le potentiel en 2011 laisse entrevoir une légère hausse du taux de chômage sur l’année et ne laisse plus la possibilité pour la Fed d’augmenter son taux directeur en 2012. La première hausse des taux directeur devrait donc avoir lieu en 2013. Néanmoins, en l’absence de retour du risque déflationniste et d’une dégradation plus marquée de la conjoncture, les spéculations sur le QE3 nous paraissent encore prématurées.
NOTES
- Cf le Special Report N° 2011-77 « Accord sur le plafond de la dette américaine : un plan mi-figue mi raisin ».
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