Etats-Unis : vers un cycle aux accents traditionnels ?

par Didier Borowski, Co-Responsable Stratégie et Recherche économique chez Amundi

Même si la reprise américaine (depuis 2008) s'est avérée être la plus molle de l'histoire d'après-guerre, la croissance est aujourd'hui la plus vigoureuse parmi les grands pays avancés. À compter de 2014, des éléments de reprise cyclique traditionnels vont se combiner. Les ménages ont déjà normalisé leur bilan, les marges des entreprises sont au plus haut, le marché du travail se reprend, les conditions financières sont (et resteront très probablement) particulièrement accommodantes. Le secteur bancaire, correctement capitalisé, est en mesure de répondre à un surcroît de demande de crédit. Dans ces conditions, l’activité économique devrait continuer de croître à un rythme soutenu en 2014 et 2015, et les excès de capacité devraient ainsi progressivement disparaître à l’horizon 2015 (pour la première fois depuis 2007).

Demande des ménages : tous les déterminants s’améliorent

• Marché du travail: une lente normalisation. Le marché du travail s’améliore continûment. Il aura toutefois fallu six années pleines pour retrouver le niveau d’emploi d’avant la « grande récession », du jamais vu dans l’histoire des cycles d’après-guerre. Le taux de participation reste certes très faible mais d’autres mesures de déséquilibre sur le marché de l’emploi tendent à s’améliorer. Ainsi « le taux de chômage augmenté » – qui prend en compte les demandeurs d’emploi qui ne sont comptabilisés ni comme chômeurs, ni dans la population active – tend désormais à diminuer beaucoup plus rapidement que le taux de chômage standard. Cette mesure, qui était très regardée du temps d’Alan Greenspan, pourrait bien indiquer, avec un peu d’avance, une remontée du taux de participation.

• Pouvoir d’achat: un facteur de soutien supplémentaire. Les salaires réels tels que mesurés dans le rapport sur l’emploi tendent à remonter. L’embellie n’est pas encore très significative. Le pouvoir d’achat n’a pas été un facteur de soutien à la consommation en 2013. Mais si les créations d’emploi se poursuivent, il est probable que les salaires nominaux progresseront plus rapidement que l’inflation en 2014, notamment pour les emplois les plus qualifiés.

• Effets patrimoniaux: toujours au rendez-vous. La bourse, en hausse de près de 30 % en 2013, est à son plus haut niveau historique. Et les prix de l’immobilier remontent rapidement (+14 % sur un an en octobre 2013). Or dans les deux cas, il n’y a pas de bulle. Du côté des actions, les performances boursières correspondent à des profits records. Du côté de l’immobilier, les prix des logements sont certes nettement remontés (+20 % depuis le creux de début 2012) mais ils restent toujours inférieurs de plus de 20 % à leur pic du printemps 2006. Il n’y a pas d’excès de valorisation. L’augmentation du patrimoine des ménages est donc assise sur des bases solides. Or ce sont les effets patrimoniaux qui expliquent en grande partie la bonne tenue de la consommation au cours des dernières années. Ils devraient rester porteurs dans les deux années qui viennent.

• Immobilierrésidentiel:unmoteurpérenne.L’indiced’accessibilitédesménages demeure élevé en dépit de la remontée des taux d’intérêt depuis le printemps et de celle des prix des logements. De plus, l’excès d’offre de biens immobiliers est désormais apuré. Or la part de l’investissement résidentiel dans le PIB demeure (à 3,2 % fin 2013) nettement en deçà de sa moyenne de long terme (4,5 %). Nous estimons qu’il faudra encore trois années pour normaliser la situation. La construction résidentielle devrait donc rester un moteur de croissance. A fortiori tant que les prix sont « peu élevés » et les conditions financières favorables.

Investissement des entreprises : vers un nouveau cycle d’investissements productifs ?

• L’investissement des entreprises est encore en retard dans ce cycle, notamment en ce qui concerne les biens d’équipement. Le taux d’investissement (en biens d’équipement) n’a pas retrouvé sa moyenne de long terme en dépit d’une conjoncture favorable. Or les entreprises non financières disposent d’une trésorerie abondante et leurs marges sont au plus haut.

• La valorisation des actions peut aussi inciter à investir. Les cours des entreprises ont augmenté plus rapidement que leur valeur intrinsèque. Il s’agit d’un facteur favorable pour l’investissement productif dans la mesure où le rendement marginal de chaque dollar investi en capital productif tend à être valorisé à un prix supérieur (le « Q de Tobin » est supérieur à 1).

• Les conditions du crédit sont avantageuses que ce soit pour les grandes entreprises qui ont accès au financement des marchés à des taux d’intérêt très faibles ou encore pour les PME qui peuvent se financer auprès des banques dans de bonnes conditions.

• Avec le raffermissement attendu de la demande domestique et du commerce mondial, les débouchés seront au rendez-vous. En règle générale, dans ce type d’environnement, les entreprises tendent à augmenter leurs dépenses en biens d’équipement (« effet accélérateur »).

Enfin, sur le plan externe, les exportations devraient rester soutenues par la fermeté de la demande mondiale. L’appréciation du dollar sur laquelle nous tablons (voir article n°12) ne sera pas suffisante pour annuler l’impact positif lié à la demande. En définitive, ce sont donc tous les moteurs de la demande finale qui devraient être au rendez-vous en 2014 et 2015.

La politique budgétaire s’annonce moins restrictive

La politique budgétaire sera beaucoup moins restrictive en 2014 qu’elle ne l’a été en 2013. On estime qu’elle a pesé sur l’activité à hauteur de 1,8 pp en 2013. D’abord, avec les hausses de fiscalité en début d’année, puis avec les coups de rabot budgétaires (sequesters) à compter du printemps. L’accord récent entre démocrates et républicains (cf. encadré) lève une menace importante. D’abord une menace directe (il n’y a pas de shutdown à craindre) mais aussi indirecte, en levant l’incertitude en matière budgétaire et fiscale qui a pu peser sur les décisions d’investissement. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le plafond de la dette n’a toujours pas été relevé. Mais l’accord budgétaire obtenu laisse présager une issue favorable. Dans le cadre de notre scénario central, nous n’anticipons pas de regains de tensions significatives à ce sujet en 2014.

L’inflation est sous contrôle

Dans ce type de conjoncture porteuse, on pourrait légitimement craindre une résurgence de l’inflation. Mais les excès de capacité sont encore trop larges pour que l’inflation se réveille cette année. L’inflation sous-jacente a nettement ralenti en 2013 malgré l’accélération de la croissance. La mesure privilégiée par la Fed – le déflateur de la consommation privée hors alimentation et énergie – est tombée à 1,1 % en glissement annuel en novembre vs 1,7 % un an plus tôt. Ce n’est qu’à mesure où la situation sur le front de l’emploi se normalisera que des pressions inflationnistes pourront surgir. Nous n’anticipons pas de retour de l’inflation aux alentours de 2 % avant fin 2014, début 2015. Les anticipations d’inflation restent très bien ancrées. Rappelons que pour la Fed, il faudra attendre de voir l’inflation repasser au-dessus de 2,5 % pour remonter ses taux directeurs. Un tel niveau ne sera probablement pas atteint avant le 2nd semestre 2015.

Des conditions financières qui promettent de rester accommodantes en dépit du tapering de la Fed

Maintenant que le début du tapering a été annoncé (lors du FOMC du 18 décembre), les observateurs tablent sur une diminution régulière des achats de titres de la Fed (de 10 Mds $ à chaque FOMC). Le taux d’intérêt à 10 ans a retrouvé son niveau de septembre (3 %). Ceci dit, les investisseurs semblent avoir bien compris le message de la Fed qui cherche à déconnecter sa politique d’achats d’actifs de sa politique monétaire traditionnelle (hausse des taux directeurs). La Fed s’engage à garder une politique monétaire très accommodante. Elle adaptera donc le rythme de ses achats à la conjoncture. En creux, elle ne prendra pas le risque de provoquer un durcissement des conditions monétaires trop rapide car l’économie est encore trop fragile pour supporter une remontée rapide des taux d’intérêt réels.

En définitive, les États-Unis devraient connaître en 2014 et 2015 une reprise cyclique sans pressions inflationnistes (au moins en 2014). Ceci dit, il convient de noter que le potentiel de croissance est amoindri, probablement à peine supérieur à 2 % (car les gains de productivité ont ralenti et la population vieillit). Dit autrement, une fois passés les effets de rattrapage, il faudra s’attendre à un nouveau ralentissement de la croissance outre-Atlantique (dès 2016?). Sauf à croire qu’une nouvelle vague d’investissements (dans les technologies d’extraction du gaz de schiste, par exemple) change la donne industrielle.