par Didier Borowski, Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi
L’activité a stagné au 1er trimestre 2015. Le ralentissement était, en partie, attendu en raison de la dureté de l’hiver. L’an dernier, la croissance était tombée en territoire négatif puis avait nettement rebondi au 2nd trimestre. Ceci dit, les conditions climatiques n’expliquent pas tout, loin s’en faut. L’appréciation du dollar pèse directement sur la croissance (via son impact sur les exportations) et, indirectement, via son impact négatif sur les marges des entreprises, qui pèsent à leur tour sur l’investissement. Dans les faits l’appréciation du dollar produit donc des effets sur l’activité comparables à un durcissement des conditions monétaires.
De son côté, la consommation des ménages reste solide mais le taux d’épargne remonte en dépit de l’amélioration observée sur le marché du travail, de la baisse du prix du pétrole et d’un patrimoine (financier et immobilier) qui retrouve graduellement son pic de 2007. Derrière le ralentissement conjoncturel observé, c’est la question de la fin de cycle qui se trouve désormais posée. Car voilà maintenant six années que l’activité progresse continûment aux États Unis, ce qui constitue un cycle d’expansion très long au regard de la moyenne des cycles d’après-guerre… Ceci dit, tous les pays peuvent connaître des à-coups trimestriels et ces derniers n’annoncent pas nécessairement un point de retournement du cycle. Qu’en est-il ?
Un cycle unique dans l’histoire de l’après-guerre
En pratique, la durée et l’ampleur du cycle doivent être considérées en même temps. Malgré la longueur du cycle d’expansion, la reprise s’avère être la plus molle de l’histoire de l’après-guerre. Près de sept ans après le début de la « grande récession », l’activité économique n’a toujours pas retrouvé son niveau « potentiel » (i.e. dit autrement, les États-Unis conservent un output gap négatif). C’est du jamais vu dans l’histoire des cycles d’après-guerre. Il faudrait sans doute remonter aux années 1930 pour trouver un épisode de ce type (mais l’appareil statistique de l’époque est insuffisant pour élaborer des mesures de croissance potentielle et faire une comparaison).
La plupart des composantes de la demande finale ont mis davantage de temps que dans un cycle traditionnel pour retrouver leur niveau d’avant crise. On peut expliquer cela par la nature de la « grande récession ». Il est en effet beaucoup plus long de se relever d’une récession lorsqu’elle s’accompagne d’une crise bancaire et financière. Les travaux sur longue période menés par C. Reinhart et K. Rogoff sur l’impact des crises économiques et financières renseignent bien ce point : « la croissance du PIB et les prix de l’immobilier sont nettement plus faibles et le chômage plus élevé dans la décennie qui suit les crises financières ». En termes de cycle, on pourrait probablement traduire leur propos en disant qu’il faut plus d’une décennie pour combler l’output gap.
Au regard, des estimations du CBO sur le niveau de PIB potentiel et de son rythme d’accroissement, et en retenant nos propres prévisions de croissance, l’output gap ne sera pas comblé avant 2019 ! Rappelons que dans les années 1930, la Fed avait attendu 1937 pour commencer à durcir sa politique monétaire ; or l’histoire retient que ce fut une erreur car le durcissement précipita une nouvelle récession.
Les comparaisons avec les cycles passés d’après-guerre sont à faire avec précaution. C’est d’ailleurs ce qui rend la situation actuelle si difficile à analyser. Il est actuellement impossible de distinguer ce qui relève de la conjoncture (les impacts directs et indirects de l’évolution du dollar ou de la chute des cours du pétrole par exemple), de facteurs plus structurels (croissance potentielle durablement affaiblie avec la crise financière). On explique mal en effet dans ce cycle que l’investissement n’ait pas été plus dynamique malgré des conditions particulièrement favorables (profits élevés, taux d’intérêt faibles) et un stock de capital vieillissant. Le ralentissement des gains de productivité (observé) et la faible dynamique de l’investissement augurent mal du potentiel de croissance futur, sans même tenir compte de l’impact du vieillissement de la population. Au final, des facteurs conjoncturels et structurels jouent de concert et il est impossible de les dissocier compte tenu de la singularité du cycle en cours.
Consommation des ménages et investissement résidentiel : la dernière jambe du cycle ?
La baisse des profits des entreprises, qui est en grande partie liée à la hausse du dollar, ne signale pas nécessairement la fin du cycle d’activité. Elle peut préfigurer un mouvement de rééquilibrage de la part des salaires dans la valeur ajoutée.
Dans la mesure où la reprise de l’investissement a été molle dans ce cycle en dépit de profits records, les dépenses d’investissement resteront sans doute atones avec le retournement des marges. Ceci dit il n’y a pas eu de surinvestissement aux États-Unis en dehors des secteurs liés à l’énergie (la correction de ce surinvestissement explique son recul au T1). Car, l’appareil de production vieillit et les entreprises devront continuer d’investir ne serait que pour maintenir en l’état le stock de capital. Tout dépendra au final de l’évolution de la demande globale. Dans un environnement où la demande externe sera moins dynamique (ralentissement du commerce mondial, appréciation du dollar), la clé se situe clairement du côté de la demande des ménages. Or de ce côté-là, les fondamentaux restent solides, même si l’entame du 2nd trimestre est décevante.
– Le marché du travail reste bien orienté : l’amélioration de la situation sur le front de l’emploi est probablement l’élément le plus engageant pour la conjoncture américaine. Les indicateurs construits par les Fed régionales, qui synthétisent les évolutions de très nombreuses variables, ont continué de s’améliorer au T1.
– Pouvoir d’achat : un facteur de soutien. La composante rémunérations de l’indice du coût de l’emploi (ECI) a accéléré (+0,7 % au T1 après +0,5 % au T4) malgré la stagnation de l’activité et le recul des profits. C’est une mesure beaucoup plus fiable, à l’échelle macroéconomique, que les salaires horaires (hourly earnings) du rapport mensuel sur l’emploi. Cette dernière mesure, qui montrait un tassement de la hausse des salaires, est en effet biaisée car elle concerne surtout l’emploi peu qualifié. En creux, cela signifie que la vigueur du marché du travail commence à produire ses effets sur certains segments d’emploi (travail qualifié). En termes réels, l’accélération des rémunérations est également perceptible, même sans tenir compte de la baisse du prix du pétrole (qui dope le pouvoir d’achat de façon temporaire).
Si l’on ajoute les créations d’emplois à l’augmentation des rémunérations, la progression de la masse salariale s’annonce vigoureuse. Dit autrement, le partage de la valeur ajoutée est en train de se rééquilibrer en faveur des ménages (et probablement de la middle class). Les créations d’emploi, le frémissement du côté des salaires et la baisse du prix du pétrole (auxquels les ménages sont très sensibles) expliquent le niveau de la confiance des ménages, au plus haut depuis début 2007.
– Effets patrimoniaux : toujours au rendez-vous. La bourse marque le pas depuis le début de l’année. Ceci dit la richesse nette des ménages (en % du revenu disponible brut) est proche de ses plus haut de 2007. Dans ces conditions, la remontée du d’épargne au T1 (de 4,5 à 5,5 %) nous semble temporaire (cf. graph 5). L’augmentation du patrimoine des ménages est assise sur des bases assez solides. Si les actions sont survalorisées au regard des métriques traditionnelles (du type PE ou PE corrigé du cycle), il n’en est pas de même de l’immobilier qui joue un rôle plus important pour la consommation.
– Immobilier résidentiel: un moteur pérenne. L’indice d’accessibilité des ménages même s’il a baissé depuis deux ans, demeure plus de 30 % supérieur à sa moyenne de long terme malgré la remontée des prix des logements. Or la part de l’investissement résidentiel dans le PIB (à 3,3 % début 2015) reste nettement en deçà de sa moyenne de long terme (4,6 %). Nous estimons qu’il faudra encore plusieurs années pour normaliser la situation compte tenu de la formation de nouveaux ménages. La construction résidentielle devrait donc rester un moteur de croissance, du moins tant que les conditions financières demeurent favorables.
Inflation et politique monétaire : quelle conséquence ?
L’inflation sous-jacente est très faible et a même eu tendance à ralentir depuis le début de l’année. Ceci dit, le début d’accélération des salaires que l’on observe couplé au ralentissement de la productivité pèse sur les coûts salariaux unitaires. À l’horizon des 12 prochains mois, il est donc probable que des pressions haussières se manifestent sur l’inflation sous-jacente (qui restera néanmoins très en deçà de la cible de la Fed). Un tel mouvement, combiné à l’impact de la remontée du prix du baril, serait suffisant pour encourager la Fed à opter pour des «conditions monétaires moins accommodantes » en relevant ses taux directeurs. Mais avant d’en arriver là, la Fed devra s’assurer que la consommation est solide. Elle privilégiera la prudence à la proactivité. Le spectre de l’erreur de politique monétaire de 1937 continue de planer sur la Fed. La Banque centrale ne prendra pas le risque de provoquer un durcissement trop rapide des conditions monétaires : l’économie est en effet toujours trop fragile pour supporter une remontée brutale des taux d’intérêt réels.
En définitive, le 1er semestre constitue un vrai trou d’air pour l’activité américaine qui n’a probablement pas fini d’interroger les économistes sur les forces en présence. Le Consensus sur la croissance en 2015 (à 2,8 %) ne tient pas compte de la faiblesse persistante de l’activité observée au T2. Toutefois, il nous semble encore trop tôt pour tabler sur une fin de cycle. Le rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée en faveur des salariés devrait permettre à la demande des ménages de tirer la croissance et inciter les entreprises à continuer d’investir (effet accélérateur) à compter du second semestre. D’un point de vue fondamental, il n’y a pas de raison de voir l’économie américaine tomber en récession (sauf si les taux d’intérêt obligataires remontent brutalement ou si la bourse chute). Il n’y a en effet pas d’excès à purger (ni du côté de l’investissement, ni du côté des dettes privées). Mais il n’y a pas (ou il n’y a plus), non plus, de raison de voir l’activité progresser à rythme très supérieur à son potentiel. Le consensus des économistes est encore trop optimiste pour 2015 et 2016.