Exit Strategies : attention à ne pas aller trop vite en besogne

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Deux approches semblent s’opposer concernant les stratégies de sortie des politiques économiques exceptionnellement accommodantes mises en place au début de la crise. D’un côté, les autorités européennes défendent l’idée qu’une politique de réduction rapide des déficits publics (« well-orchestrated fiscal exit ») peut aider à réduire les inquiétudes des marchés concernant la soutenabilité des finances publiques et faciliter ainsi le maintien des taux d’intérêt à de bas niveaux. Dans ce cadre, elles plaident pour un retour progressif aux règles du Pacte de stabilité et de croissance (objectif : déficit public inférieur à 3 % d’ici à 2013 pour tous les états).

De l’autre côté, les autorités américaines semblent moins pressées de réduire leurs déficits. Ainsi, Christina Romer, qui dirige le US Council of Economic Advisers de l’Administration Obama, a récemment rappelé que le retrait trop rapide des politiques budgétaire et monétaire accommodantes lors de la crise des années 30 avait conduit à la récession de 1937-38 aux Etats-Unis.

La référence régulière à cette récession nécessite un petit retour en arrière. Sans revenir sur les similitudes entre la crise actuelle et la Grande Dépression1, il semble toutefois utile de rappeler le plongeon des économies au début des années 30. Ainsi, le PIB américain a reculé d’environ 30 % sur la période 1930-1933, et même de 50 % en termes nominaux, étant donnée la déflation subie à l’époque. Toutefois, dans un deuxième temps, la mise en place d’une politique économique beaucoup plus accommodante, dans le cadre du New Deal de F.D. Roosevelt, a favorisé un rebond impressionnant de l’activité entre 1934 et 1936 (+ 11 % annuel en moyenne !).

Ensuite, le durcissement de la politique économique (excédent public en 1937 et 1938, doublement du taux de réserve des banques auprès de la Fed, forte hausse du taux directeur réel suite à un retour de la déflation…) a entrainé une nouvelle récession en 1937-38, presque une décennie après le choc initial. Il faut néanmoins noter que certains auteurs2 estiment que d’autres facteurs ont pu jouer un rôle au moins aussi important dans cette rechute de l’activité : spéculation sur les matières premières, modification des règles régissant le marché du travail, incertitudes liées au New Deal qui auraient pu générer la chute des investissements…Bref, parmi les économistes, il n’y pas de réel consensus concernant les origines de la récession de 1937-38. Si tout le monde s’accorde à reconnaitre qu’une réponse trop tardive et trop graduelle prolonge la durée des crises (voir l’exemple japonais, dans les années 90), pour autant, l’idée qu’une stratégie de sortie de crise hâtive pourrait replonger l’économie dans le marasme mérite encore d’être discutée.

A ce titre, la première question qui vient à l’esprit3 est : « est-il actuellement possible de maintenir des politiques budgétaires aussi accommodantes ? ». D’une part, l’épargne abondante au niveau mondial et le désendettement du secteur privé dans les pays de l’OCDE évitent de voir apparaître un effet d’éviction sur l’investissement privé. D’autre part, la monétisation des dettes publiques par les banques centrales (occidentales et émergentes) empêche une hausse des taux d’intérêt, rendant ainsi l’endettement public très peu couteux4.

Enfin, la forte hausse des taux dans certains pays du Sud de l’Europe est due à une attaque spéculative, et pas à une réelle difficulté générale à financer les déficits. Bref, un maintien des politiques budgétaires à des niveaux très accommodants paraît aujourd’hui possible. Est-il pour autant souhaitable5 ? A court terme, il semble difficile de soutenir l’option inverse… En effet, comme on a pu l’observer lors de la phase de convergence vers l’Union monétaire, après la récession de 1992-1993, une baisse trop rapide des déficits publics, dans un contexte de désendettement du secteur privé et de maintien du taux d’épargne des ménages à des sommets, conduirait à un affaiblissement supplémentaire de la demande avec, pour conséquence, un chômage élevé et un excès d’épargne à l’intérieur de la zone euro. Bref, même si l’objectif de crédibilité budgétaire doit impérativement rester dans l’esprit des décideurs politiques (d’autant plus que la dette publique avant la crise était bien plus élevée qu’avant les crises précédentes), ces derniers doivent avoir conscience de l’impact qu’une politique trop ambitieuse en termes de réduction des déficits aurait sur l’activité…

NOTES

  1. Cf. Bourgeois A (2009), « Edito : quelques leçons de la crise de 1929… », Eco Hebdo n°28, Natixis.
  2. Cf. van den Noord P. (2010), « Exit strategy: is 1937/38 relevant? », ECFIN Economic Brief n°7, Commission européenne.
  3. Cf. Artus P. (2010), « Est-il vraiment impossible de maintenir les politiques expansionnistes plus longtemps ? », Flash n°64.
  4. Les taux 10 ans français atteignent 3,60 % en moyenne sur les quinze derniers mois, contre 5,85 % sur la période 1990-2007…
  5. Cf. Artus P. (2010), « Que se passera-t-il si les déficits publics sont effectivement réduits très rapidement ? », Flash n°66, Natixis.

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