par Christophe Morel, Chef économiste chez Groupama AM
Dans son intervention semestrielle au Congrès, le diagnostic de Jerome Powell (président de la Réserve fédérale américaine) comportait une « mauvaise nouvelle » et une « bonne nouvelle ».
1. La mauvaise nouvelle : la crise renforce les inégalités
J. Powell reconnait que la crise n’affecte pas tous les américains de la même manière : elle pèse davantage sur les ménages à faibles revenus, sur les populations afro et latino-américaines ainsi que sur les femmes. Pour le gouverneur de la Fed, la politique monétaire peut contribuer à corriger ces inégalités en soutenant l’amélioration sur le marché du travail.
Selon nous, ce constat n’est pas propre aux États-Unis. Le confinement a augmenté la fracture sociale qui constituait déjà l’un des principaux risques à nos scénarios. Les inégalités se sont donc accentuées qu’il s’agisse des inégalités de revenu (hausse des taux de chômage), des inégalités de patrimoine (politiques monétaires ultra-accommodantes qui reflatent les actifs financiers et immobiliers) et des inégalités d’accès à des services « fondamentaux » tels que l’éducation et la santé.
Face à ce risque plus élevé de fracture sociale dans toutes les économies, deux alternatives sont généralement envisageables :
I. Soit la tentation collective pour des gouvernements populistes qui alimenteront ensuite les tensions internationales.
II. Soit, face à la menace populiste, la mise en place par les gouvernements actuels de politiques de redistribution avec, par exemple, de nouvelles tranches fiscales sur les hauts revenus, de nouvelles taxes (carbone, sur les transactions financières, sur les géants du numérique) et une hausse de la pression fiscale sur les grandes entreprises. A cet égard, les premières propositions du candidat démocrate J. Biden vont dans ce sens puisqu’il envisage une remontée de l’impôt sur les sociétés, une augmentation des impôts sur les hauts revenus et une taxe sur les transactions financières.
2. La bonne nouvelle : les mesures de soutien, notamment budgétaires, soutiennent les ménages et les entreprises
D’abord, J. Powell considère que l’économie américaine présente des signes de stabilisation, voire de redémarrage. Nous partageons ce diagnostic d’un début de reprise à l’aune de notre indicateur hebdomadaire de l’activité aux États-Unis (graphique 1) lié à une amélioration simultanée sur le marché de l’emploi, la consommation, les transports et la production.
Surtout, le gouverneur de la Fed considère que l’impact des mesures de soutien, notamment budgétaires, devient perceptible. Là encore, nous partageons ce diagnostic avec un impact visible des politiques économiques à la fois sur les ménages et les entreprises :
I. Les ventes au détail ont fortement rebondi en mai (graphique 2), singulièrement les ventes automobiles, de vêtements, de fournitures de la maison et de loisirs (sport et culture). Les chèques distribués aux ménages (1200 USD/adulte et 500 USD/enfant) ont manifestement soutenu la consommation. D’ailleurs, les études académiques (Baker et al., 2020 ; Karger & Rajan, 2020) montrent que 30% à 50% du montant de ces chèques a été rapidement dépensé (surtout par les ménages à faible revenu qui ont forte propension à consommer) et plus largement dépensé que lors des précédents épisodes de distribution de chèques.
II. Les PME ont largement recouru au dispositif du PPP (Paycheck Protection Program). Pour mémoire, ce programme attribue un prêt aux PME avec un abandon du du capital si les entreprises maintiennent leurs effectifs. Très probablement, les conditions d’éligibilité au PPP ont contribué au très bon Rapport Emploi de mai. En effet, dans sa version initiale, le PPP exigeait que les PME ait à fin juin le même niveau d’emploi qu’avant-crise. Cette condition a sûrement incité à la réembauche, ce qui semble confirmé par le fait que les créations d’emploi ont surtout concerné les secteurs du tourisme, de la construction et de la distribution, des secteurs comportant beaucoup de PME. Récemment, cette contrainte sur l’emploi a été décalée à fin d’année.
Au total, cette intervention fait écho à notre scénario. Selon nous, les soutiens des politiques économiques sont tellement puissants qu’ils nous rendent confiants sur les perspectives de croissance à moyen terme. Face à cela, le principal risque à moyen terme est de nature politique, sociale et géopolitique.