par Wontae Kim, Research Analyst chez Western Asset, une filiale de Legg Mason
Les élections législatives indiennes, officiellement lancées le 11 avril dernier, se déroulent sur six semaines en sept tours de scrutins. Les résultats sont attendus pour le 23 mai. Les 543 membres du Parlement (MP) seront élus selon un scrutin uninominal majoritaire à un tour par circonscriptions. Le Premier ministre indien sera désigné par le parti détenant une majorité simple de membres du parlement (plus de 271 sièges), ou par une coalition représentant une majorité dans la chambre basse du Parlement, appelée Lok Sabha.
Lors des dernières élections législatives 5 ans plus tôt, Narendra Modi et son parti, le Bharatiya JanataParty (BJP), avaient obtenu une majorité simple à la Lok Sabha, un exploit inédit depuis 1984. Le programme de Narendra Modi visait à permettre une croissance de l’emploi et à venir à bout de l’inertie bureaucratique, qui constituait un véritable fléau pour l'administration précédente. À ce jour, une majorité simple ne semble pas assurée pour le BJP, qui devra vraisemblablement compter sur la formation d’une coalition avec d'autres partis régionaux. En dépit des profondes réformes mises en place par Narendra Modi telles que la taxe sur les produits et services (TPS) et l'adoption d’un code sur l’insolvabilité des emprunteurs défaillants, les critiques considèrent sa politique comme un échec en raison de la démonétisation, des difficultés accrues pour les agriculteurs et de la dégradation des perspectives d'emploi.
Issues possibles
Si, selon les derniers sondages, le BJP devrait remporter une majorité de voix lors des élections 2019, il semblerait cependant que le parti ne soit pas en mesure de répliquer les élections de 2014, où il était parvenu à obtenir une majorité simple de sièges sans le soutien d’aucun autre parti. Le scénario central prévoit une victoire du BJP, avec 200 à 230 sièges, ce qui n’impliquerait qu’une petite coalition soit nécessaire pour la formation du gouvernement. Dans cette hypothèse, il est envisageable que Narendra Modi reprenne son rôle de premier Ministre. Néanmoins, dans le cas peu probable où le BJP décevrait en remportant moins de 200 sièges, mais suffisamment pour former une coalition avec plusieurs autres partis régionaux, la probabilité que Narendra Modi conserve ses fonctions est peu élevée de par sa piètre capacité à générer un consensus. Nitin Gadkari, Ministre actuel du transport routier et des autoroutes, pourrait, selon les dires, constituer un candidat idéal dans un tel scénario.
Pour le BJP, la principale menace émane du Congrès national indien (INC) présidé par Rahul Gandhi. Bien que l’INC ait peu de chances de remporter suffisamment de sièges pour former un gouvernement, une super-alliance avec un certain nombre de partis régionaux capable d’obtenir assez de sièges pour supplanter le BJP et sa coalition reste une éventualité. Cependant, cette probabilité reste selon nous plutôt faible. Enfin, parmi les scénarios extrêmes, un petit parti régional pourrait émerger victorieux et désigner comme premier Ministre un politicien encore relativement méconnu. Dans cette hypothèse, il serait tout particulièrement difficile de déterminer le programme politique de la nouvelle administration.
Conséquences pour les marchés
Le scénario central selon lequel le BJP remporterait les élections et Narendra Modi conserverait ses fonctions de premier Ministre constituerait l’issue la plus favorable pour les marchés. À l’heure actuelle, le taux à 10 ans des emprunts d’État indien (IGB) est d’environ 7,4 %, et il n’a pas beaucoup évolué depuis le début de l'année. Parallèlement, les obligations indiennes sont délaissées par les investisseurs étrangers depuis le pic observé au premier trimestre 2018. Les taux d'investissement dans les obligations souveraines et d’entreprises indiennes par les investisseurs étrangers s'élèvent à 68 % et 73 % respectivement.
Graphique 1 : Capitaux étrangers nets vers la dette indienne (cumulés)
Source : Bloomberg au 19 avril 2019.
Si l’on fait fi des incertitudes politiques et dans l’hypothèse où Narendra Modi poursuivrait sa politique sur la consolidation budgétaire, les investisseurs étrangers devraient de nouveau s’exposer aux obligations d’État indiennes compte tenu de leur portage intéressant. La roupie indienne devrait en outre bénéficier de ces entrées de capitaux.
Même dans le cas où le BJP parvenait à former un gouvernement à l’aide d’une plus grande coalition, ou d’une victoire de l’INC, le risque d’une soudaine envolée des rendements nous semble faible. La politique économique ne devrait pas dramatiquement dévier de sa trajectoire actuelle. Le récent assouplissement de ton adopté par la Banque centrale indienne (RBI) s’est révélé favorable aux actions et, si le gouvernement indien décide de continuer à soutenir la croissance, la roupie devrait en bénéficier. Le scénario extrême serait qu’un petit parti régional soit en mesure de placer son candidat au pouvoir. Dans ce cas, la probabilité d’une vive correction de la devise et du marché obligataire nous semble élevée.
Stratégie d'investissement
Sur le plan macroéconomique, nous restons positifs sur l’Inde. La balance courante indienne devrait rester dans le rouge, mais la balance globale des paiements penchera du côté positif. Avec près de 3 milliards de dollars par mois, les investissements directs étrangers restent solides. Parallèlement, les flux boursiers provenant de l’étranger devraient reprendre le chemin de la hausse dès la fin des élections législatives. Les réserves de change accumulées par la RBI sont significatives (de l’ordre de 410 milliards de dollars) et suffisantes pour absorber des chocs externes. En outre, en 2019, la Banque a déjà abaissé de 50 pb son taux directeur pour tenter de donner un coup de fouet à la croissance, le taux d’inflation globale étant resté figé dans la partie basse de la fourchette cible de la RBI entre 2 et 6 % (avec un objectif de 4 %). En décembre 2018, après la soudaine démission de son prédécesseur, UrjitPatel, Shaktikanta Das a été nommé Gouverneur de la RBI. Si l'on en croit les marchés, ShaktikantaDas est parfaitement en phase avec la politique gouvernementale, ce qui suscite toutefois quelques inquiétudes quant à l’indépendance et l'autonomie de la RBI.
Nous conservons une surpondération des obligations indiennes dans le cadre de ce long cycle électoral. Nous avons renforcé la duration dans les mois précédant les élections en raison de l’écartement de plus de 50 pb du spread entre les taux à 3 et 10 ans des emprunts d’État indien. En outre, nous privilégions les obligations quasi-souveraines à échéance courte, qui ont gagné environ 80 à 90 pb face aux obligations d’État indiennes. Néanmoins, compte tenu du niveau d’incertitude quant à l’issue des élections, nous préférons ne pas nous exposer davantage au risque obligataire, ou au risque de change, en Inde.