par Alexandre Hezez, Stratégiste chez Groupe Richelieu
Ce sont les grands économistes du clan démocrate qui ont créé la polémique sur les effets du plan de relance de Joe Biden. Certains craignent des pressions inflationnistes « comme on n'en a pas vu en une génération ». En février 2021, l'université de Princeton a organisé un débat au sommet entre le prix Nobel d'économie Paul Krugman et Larry Summers, l'ancien secrétaire au Trésor et conseiller économique d'Obama. Le titre est éloquent: « WILL THE BIDEN STIMULUS LEAD TO INFLATION? ». Leur point de désaccord ? Le calibrage du plan de relance, 1.900 milliards de dollars représentant plus de 9 % du PIB américain.
Larry Summers dans une tribune au Washington Post avait établi une comparaison instructive entre la relance de 2009 et ce qui est actuellement proposé. Alors que le stimulus d'Obama était environ deux fois moins important que le déficit de production à l’époque, le stimulus proposé par Joe Biden est trois fois plus grand que le déficit projeté. Par rapport à la taille de l'écart à combler, il est six fois plus grand.
Il fait valoir quatre points :
- Le plan de 1.900 milliards de dollars est "extrê- mement important" et le montant des dépenses est bien plus élevé que le "output gap'' estimé, c'est-à-dire le montant à partir duquel la pro- duction de l'économie est inférieure au potentiel ;
- Il va "bien au-delà de ce qui est nécessaire" pour aider les victimes de la crise de Covid-19 ;
- « Nous risquons une sorte de collision inflationniste », si le train de mesures fait grimper l'inflation, la Fed pourrait par inadvertance provoquer une récession en essayant d'étouffer l'inflation par des taux d'intérêt plus élevés ;
- Cette somme d'argent, serait mieux dépensée en investissements publics à long terme, ce que Biden appelle « reconstruire en mieux ».
- Il n'est pas le seul à le penser. Olivier Blanchard, l'ancien chef économiste du FMI, a lui aussi tiré le signal d’alarme. Si le montant du nouveau plan de relance était adopté par le Congrès, Olivier Blanchard propose alternativement d'en financer une partie par une taxe sur les gains en capital, « Ce serait juste, offrirait une protection et limiterait la surchauffe » (Twitter).
- Face à eux, il y a ceux qui pensent que le risque de n'en faire pas assez pour aider à résorber le chômage est plus grand que le risque inflationniste. Outre Paul Krugman, qui y voit « la peur d'une répétition des années 1970 », on trouve :
- La secrétaire au Trésor, Janet Yellen qui reste convaincue qu'il faut imposer une hyperpression sur l'économie quitte à frôler la surchauffe. Interrogée sur ces menaces de redémarrage de l'inflation, « le risque le plus important est que […] nous n'en fassions pas assez pour faire face à la pandémie et aux problèmes de santé publique, que nous ne ramenions pas nos enfants à l'école » ;
- Le président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell qui estime que les pointes d'inflation à venir seront temporaires et ne contraindront pas la banque centrale à remonter plus vite que prévu ses taux d'intérêt. Il a maintenu l’idée qu'un retour rapide des tendances inflationnistes élevées n'était pas probable après 25 ans de désinflation régulière et il a insisté sur le fait que la Fed avait les outils pour lutter contre l'inflation si elle se produit.
Le débat fait rage et les échanges par voie d’articles et de réseaux sociaux sont pléthoriques. Larry Summers a défendu son article d'opinion dans le Washington Post en affirmant que, comme le titre l'indiquait, « Le plan Biden est remarquablement ambitieux ». Mais il comporte aussi de gros risques et "c'est probablement une erreur" des jeunes économistes de supposer que l'inflation ne sera plus jamais un problème. Paul Krugman a répondu en reprenant la ligne de sa propre chronique récente dans le New York Times, intitulée « Biden est le grand dépensier que l'Amérique veut ». Le plan de Biden devait être considéré comme un plan de sauvetage, et non comme une stimulation. « Voyez- le comme un secours en cas de catastrophe ou comme une guerre. Quand Pearl Harbor est attaqué, on ne dit pas : Quelle est l'ampleur de l'écart de production ? »
Malgré toutes ces dissensions affichées parmi ces économistes émérites, nous pouvons souligner des points d’accord qui trouveront sans aucun doute une résonnance consensuelle et des actions concrètes dans la politique économique américaine :
- La nécessité d’éviter une reprise en K qui conduirait en effet à une inégalité croissante et au populisme qui l’accompagne. « Il faut que l'argent soit ciblé sur les populations aux plus forts besoins, mais toute aide supplémentaire est bienvenue, même si les gens ne la dépensent pas maintenant » (Janet Yellen) ;
- La mise en place de plans d’investissement massifs dans les infrastructures. Pour Paul Krugman, le gouvernement peut faire les deux : l'aide aux victimes du coronavirus dès maintenant et les infrastructures – ce qui prend du temps – à partir de 2022 et au-delà ;
- La volonté d’une hausse de la fiscalité (prévue dans le programme de Joe Biden), afin de limiter les risques sur le déficit de long terme et la fracture sociale ;
- La surveillance accrue des éventuelles surchauffes financières plutôt qu’économiques.
C’est, quoi qu’il se passe, une rupture face à la politique de Donald Trump des 5 dernières années. De toutes les manières, le paquet fiscal risque de passer intact – ou presque – et reste une nécessité. Les effets sur l’économie américaine seront importants. Inflation, surchauffe, taxation, investissement dans les infrastructures, de quoi alimenter dans les mois qui viennent de nombreuses incertitudes sur les marchés financiers dans leur ensemble. La Fed va donc encore une fois jouer un rôle instrumental dans la bonne tenue ou, au contraire, le déraillement des actifs risqués et notamment les indices actions.