Jackson Hole 2016 : redéfinition de la politique monétaire conventionnelle

par William De Vijlder, Chef économiste chez BNP Paribas

Le discours de Janet Yellen lors du symposium de Jackson Hole livre d’importantes informations sur la conduite de la politique monétaire à terme.

La Réserve fédérale disposera d’une marge de manœuvre moins importante pour abaisser les taux d’intérêt en cas de nouvelle récession, le point culminant des taux au cours du cycle conjoncturel actuel étant plus bas qu’auparavant.

La Fed devra donc, outre les baisses de taux d’intérêt, recourir de nouveau à la « forward guidance » et aux achats d’actifs.

D’autres mesures doivent compléter la politique monétaire pour stabiliser le cycle économique et stimuler la croissance potentielle du PIB.

Chaque année, vers la fin du mois d’août, la Banque de réserve fédérale de Kansas City organise un symposium de politique économique à Jackson Hole, Wyoming. Cet événement, qui rassemble les gouverneurs des principales banques centrales, des responsables politiques, des universitaires et économistes du monde entier, occupe depuis quelques années une place de plus en plus importante dans les médias et sur les marchés. Un intérêt motivé, tout au moins en partie, par les importants discours prononcés à cette occasion. L’allocution de Ben Bernanke en 2012 a ainsi été considérée comme l’annonce implicite du lancement de la troisième vague d’assouplissement quantitatif par la Réserve fédérale, qui a bel et bien eu lieu peu de temps après. En 2014, Mario Draghi a traité de la question du « Chômage dans la zone euro ». Insistant sur le repli des anticipations d’inflation dans cette zone, il a précisé que « le Conseil des gouverneurs prendra acte de ces évolutions et utilisera, dans les limites de son mandat, tous les instruments disponibles nécessaires pour garantir la stabilité des prix à moyen terme ». Ces propos ont été interprétés comme un signal indiquant que la BCE finirait par donner le coup d’envoi d’un programme d’assouplissement quantitatif.

Janet Yellen et les perspectives à court terme

Le symposium de cette année (« Designing resilient monetary policy frameworks for the future »), consacré à l’avenir de la politique monétaire du point de vue de la mise en œuvre, a également abordé d’autres aspects comme la manière dont cette politique affecte l’économie. Il s’agit de deux questions importantes du point de vue de la conduite de la politique monétaire en cas de nouvelle récession compte tenu de la taille actuelle du bilan de la Réserve fédérale et de la faiblesse des taux d’intérêt. La présidente de la Fed, Janet Yellen, a commencé son discours en faisant le point sur la situation économique actuelle et sur les perspectives. L’expansion de l’activité se poursuit, portée par le dynamisme des dépenses des ménages, et ce, malgré la faiblesse persistante des investissements des entreprises et l’atonie de la demande. Le Comité de politique monétaire (FOMC) table sur la poursuite d’une légère croissance, avec à la clé un nouveau raffermissement du marché du travail. Quant à l’inflation, elle devrait atteindre la cible de 2 % au cours des prochaines années. En résumé, le FOMC prévoit une évolution favorable de l’économie de nature à justifier une hausse graduelle du taux des fonds fédéraux. J. Yellen, se faisant l’écho de déclarations récentes d’autres responsables de la Fed, a indiqué : « Au vu des performances toujours aussi solides du marché du travail et de nos perspectives relatives à l’activité économique et à l’inflation, la probabilité d’un relèvement des taux se renforce depuis quelques mois ».

A terme : des mesures non conventionnelles qui deviennent conventionnelles

Ces dernières années, les grandes banques centrales ont adopté des mesures non conventionnelles pour réparer le mécanisme de transmission de la politique monétaire et stimuler l’économie. Ces mesures vont des achats massifs d’actifs (ex : titres de dette publique et privée) aux prêts directs aux banques1. Elles se sont imposées alors que la politique monétaire classique basée sur la fixation d’un taux directeur avait atteint ses limites (« borne zéro »). Il convient de rappeler que ces mesures non conventionnelles sont devenues nécessaires malgré le fait qu’aux Etats-Unis par exemple, le taux des fonds fédéraux avait été abaissé d’environ 5 points de pourcentage en l’espace de 18 mois. Ce qui en dit long sur la gravité de la Grande Récession et sur les hésitations de la reprise qui a suivi.

Certes, la dernière récession a été plus sévère que la normale, mais les récessions précédentes ont aussi entraîné des baisses considérables des taux d’intérêt. L’environnement économique actuel se caractérise par des taux toujours aussi bas alors que les Etats-Unis sont proches du plein emploi ou ont atteint ce niveau. Le taux des fonds fédéraux n’a été relevé qu’une fois au cours de ce cycle, en décembre 2015, quand le taux cible a été porté dans une fourchette de 0,25-0,50%. Les rendements des Treasuries sont également très bas. On peut dès lors se demander comment la Réserve fédérale réagira en cas de récession de l’économie américaine sachant que la marge de manœuvre de la politique de taux sera nettement plus réduite que lors des cycles précédents.

Plusieurs facteurs expliquent la perspective d’un pic cyclique plus bas des taux d’intérêt : inflation plus faible que lors des phases d’expansion cyclique antérieures; prudence persistante de la Réserve fédérale, sachant qu’un changement d’orientation en faveur d’un durcissement de la politique monétaire induirait probablement des réactions négatives sur les marchés financiers avec un impact sur l’économie, bridant ainsi la hausse des taux. Une autre raison importante est la faiblesse du taux d’intérêt neutre, soit le taux réel auquel la politique monétaire n’a ni effet de stimulation ni effet de frein sur la croissance économique. Ce concept occupe une place de plus en plus importante dans l’évaluation de la politique monétaire. Comme le montrent les estimations, ce taux réel reste très bas ; autrement dit, la politique actuelle est moins expansionniste qu’il n’y paraît et le resserrement cumulé nécessaire pour normaliser le niveau des taux directeurs, c’est-à-dire pour déclencher une convergence vers le taux neutre, n’est pas si élevé.

Le repli du point culminant du taux des fonds fédéraux signifie que la Fed dispose d’une marge de manœuvre réduite pour doper l’économie par la baisse des taux. En effet, la borne de zéro sera très rapidement atteinte, de sorte qu’on peut s’attendre à ce que la Réserve fédérale recoure de nouveau aux achats d’actifs et/ ou à l’introduction d’un taux de rémunération négatif des réserves excédentaires des banques. Il convient de noter cependant que ce dernier point n’est pas mentionné par Janet Yellen parmi les possibilités envisagées, ce qui s’explique peut-être, outre les considérations d’ordre national, par les critiques auxquelles cette politique s’est exposée dans la zone euro comme au Japon. Concernant les achats d’actifs, en revanche, la présidente de la Fed est parfaitement claire : « Malgré ces réserves, j’espère que la forward-guidance et les achats d’actifs continueront de figurer en bonne place dans la boîte à outils de la Fed »2. Les « réserves » concernent le risque de conséquences inattendues, comme une prise de risque excessive en réaction à toute communication de la banque centrale laissant entrevoir des taux d’intérêt bas sur une très longue période.

La politique monétaire ne devrait pas être la seule solution

La question des conséquences involontaires a également été abordée par Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne dans son discours à Jackson Hole3. Tout en reconnaissant que suite à un taux neutre très bas, les taux à court terme seront plus fréquemment poussés vers la borne inférieure effective, impliquant un recours plus fréquent aux politiques non conventionnelles, il a insisté sur de possibles effets secondaires négatifs en termes de stabilité financière, d’intermédiation financière et de répercussions internationales. On peut même imaginer des situations dans lesquelles les effets négatifs finiraient par être dominants.

La conclusion inévitable, que nombre de responsables de banques centrales ont déjà tirée par le passé, est que la politique monétaire ne saurait être la seule solution. M. Coeuré a notamment fait allusion au rôle des mesures micro et macro-prudentielles pour remédier aux problèmes de stabilité financière, liés à des taux très bas, ainsi qu’à une plus large coopération internationale et à un alignement des politiques pour éviter les dévaluations compétitives. Les politiques structurelles ont un rôle important à jouer, comme l’a souligné Mario Draghi à maintes reprises, pour augmenter la croissance potentielle du PIB, permettant ainsi de pousser à la hausse le taux d’intérêt neutre et de conférer aux banques centrales une plus large marge de manœuvre pour stabiliser le cycle conjoncturel. Ces propos ont été repris par Janet Yellen à Jackson Hole (« Nous devons explorer les moyens de favoriser la croissance de la productivité »).

Pour aussi importantes qu’elles soient, de telles mesures ne doivent pas être considérées comme des instruments destinés à relancer l’activité lorsque l’économie est en récession. Elles peuvent néanmoins renforcer l’efficacité de la politique d’assouplissement monétaire en phase de repli conjoncturel4. Autrement dit, même dans le cadre d’une approche à plusieurs volets, la politique monétaire demeure essentielle pour gérer les périodes de ralentissement économique ou les surchauffes. Cela soulève néanmoins la question de la marge de manœuvre. J. Yellen a présenté, à cet égard, les résultats de simulations réalisées à partir de modèles. Comme prévu, tout dépend ou presque du niveau des taux d’intérêt lors du lancement du cycle d’assouplissement ; en effet, plus ce niveau est bas, plus l’assouplissement quantitatif devra être important et/ou plus la forward guidance devra durer : si le taux neutre réel devait se maintenir au niveau bas actuel « le niveau moyen du taux nominal des fonds fédéraux sur le long terme pourrait être d’à peine 2 % ; en d’autres termes, les achats d’actifs et la forward guidance devront être poussés à l’extrême pour compenser ». C’est probablement la raison pour laquelle elle a aussi insisté sur le rôle de la politique budgétaire (« Au-delà de la politique monétaire, la politique budgétaire a traditionnellement joué un rôle important face aux crises économiques sévères ») tout en préservant la viabilité fiscale à long terme.

Conséquences pour la zone euro

Cette analyse de la situation aux Etats-Unis donne matière à réflexion concernant la zone euro, où l’output gap reste largement négatif, le taux d’intérêt neutre réel est plus bas qu’aux Etats-Unis5 et la perspective d’un début de normalisation de la politique monétaire, lointaine. Dans ces conditions, il sera encore plus difficile pour la politique monétaire de la BCE de faire face à un sérieux ralentissement de la croissance.

NOTES

  1. « The impact of unconventional monetary policy measures by the Systemic Four on global liquidity and monetary conditions », Yevgenia Korniyenko et Elena Loukoianova, Document de travail du FMI, décembre 2015
  2. The Federal Reserve’s Monetary Policy Toolkit: Past, Present, and Future”, J. Yellen, p. 16
  3. Le cadre opérationnel de la Banque centrale européenne en période d’après crise, Benoît Coeuré, BCE
  4. Le règlement des problèmes de stabilité financière devrait dissiper les inquiétudes relatives à la probabilité de risques de pertes extrêmes « tail risk », tandis que l’accélération de la croissance du PIB potentiel à la faveur de mesures structurelles contribuerait à réduire l’amplitude des fluctuations cycliques de l’activité (en diminuant l’incertitude) et à conférer une plus large marge de baisse des taux car le taux neutre serait plus élevé.
  5. Voir aussi

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