Japon : le gouvernement Hatoyama confronté à des défis majeurs

par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

  • L’objectif prioritaire du gouvernement Hatoyama est de faire de la demande intérieure plutôt que des exportations le moteur de la croissance.
  • Le gouvernement a annoncé de revenir sur certaines réformes relatives aux marchés du travail et des biens, comme la privatisation de la poste.
  • L’augmentation rapide de la dette publique constitue un problème majeur pour le nouveau gouvernement. Sans mesures additionnelles, le financement des promesses électorales risque fort d’aggraver un peu plus le déficit budgétaire.
  • Pour maintenir l’attractivité des obligations japonaises, un plan d’assainissement à moyen terme sera essentiel.

 

Le 30 août, le Parti démocrate du Japon (PDJ) a remporté une écrasante victoire aux élections législatives, mettant ainsi un terme à plus de cinq décennies d’un contrôle presque ininterrompu du pouvoir par le Parti libéral démocrate (PLD). Un accord politique a été conclu le mois suivant entre le PDJ et les partis minoritaires de la coalition, le Nouveau Parti populaire (centre-droit) et le Parti social-démocrate (gauche). 

Dirigé par le président du PDJ, Yukio Hatoyama, le nouveau gouvernement regroupe des sensibilités très différentes. Plusieurs ministres de l’équipe gouvernementale sont déjà très expérimentés, ayant débuté leur carrière au sein du PLD. Ainsi, Hirohisa Fujii, le ministre des Finances, a été élu à la chambre haute du parlement (la Diète) en tant que membre du PLD. Il a déjà occupé la fonction de ministre des Finances de 1993 à 1994, sous l’étiquette du Parti de la renaissance du Japon, prédécesseur du PDJ. Autre homme politique bien connu de la nouvelle équipe, Shizuka Kamei a quitté le PLD en 2005 sur fond d’opposition au projet de réforme de la poste du gouvernement Koizumi. Il est désormais responsable des services financiers et postaux. Comme il fallait s’y attendre, l’une de ses premières décisions a été de revenir sur la privatisation de la poste.

Le programme de la nouvelle coalition

Le nouveau gouvernement s’est fixé comme objectif prioritaire de faire de la demande intérieure plutôt que des exportations le moteur de la croissance. Parmi ses promesses électorales, M. Hatoyama s’est engagé à revaloriser les allocations familiales, à supprimer les péages autoroutiers et à diminuer les taxes sur l’essence.

S’agissant de la sécurité sociale, le nouveau gouvernement entend abolir le mécanisme de plafonnement de la hausse des dépenses, fixée aujourd’hui à 220 milliards de JPY. Il souhaite parallèlement renforcer le régime des retraites publiques et introduire un minimum vieillesse afin d’éviter la pauvreté des personnes âgées. Il a également l’intention d’augmenter le financement public du système de santé. Le régime d’assurance-maladie des plus de 75 ans sera lui aussi supprimé.

Le nouveau gouvernement va également revenir sur certaines réformes relatives aux marchés du travail et des biens. Au cours des deux dernières années, afin de contourner la législation protectrice de l’emploi à temps plein, la proportion de salariés non réguliers, dont deux tiers de salariés à temps partiel, a fortement augmenté.

Ces salariés à temps partiel perçoivent en moyenne une rémunération horaire équivalant à tout juste 40% de celle perçue par les salariés à temps plein. Cette catégorie de la population active a été durement touchée par la détérioration du marché du travail. Le nouveau gouvernement a annoncé une refonte de la législation relative aux contrats de travail non réguliers.

La privatisation de la poste a constitué l’une des mesures phares de la politique de réformes du gouvernement Koizumi (2001-2006). Au cours de cette période, la poste japonaise a été divisée en quatre entités : Japan Post Service (services postaux traditionnels), Japan Post Network (gestion des bureaux de poste), Japan Post Bank et Japan Post Insurance. Les deux dernières entités devaient être introduites en Bourse début 2010 avant de procéder à leur privatisation totale d’ici à 2017. Japan Post, la holding du groupe, devait également être cotée en Bourse, mais le gouvernement aurait conservé au moins un tiers des actions.

Les partisans de la privatisation soutiennent que la privatisation de la poste contribuerait à optimiser l’allocation des ressources. La majorité des investissements de la Post Bank se composant d’obligations d’Etat, le taux de rentabilité des investissements ne s’est élevé en 2006 qu’à 1,2%. En outre, une privatisation faciliterait le développement d’institutions financières privées et permettrait enfin d’améliorer le service rendu à un coût inférieur. Les opposants à la privatisation craignent pour leur part que les exigences de rentabilité ne se traduisent par une disparition de certains services, notamment dans les zones rurales.

Shizuka Kamei, qui avait quitté le gouvernement Koizumi pour cause de désaccord au sujet de la réforme de la poste, a décidé d’inverser le processus. Le 20 octobre, il a ainsi annoncé que la gestion du courrier, les services financiers et l’activité d’assurance seraient réincorporés au sein de la holding Japan Post ; celle-ci aura par ailleurs pour obligation de fournir les mêmes services financiers dans tous les bureaux de poste du pays, quelle que soit la demande.

En tant que ministre des services financiers, M. Kamei a également proposé un moratoire de trois ans sur le remboursement des prêts accordés aux petites entreprises. M. Otsuka, son vice-ministre, a annoncé que le moratoire serait cependant appliqué sur la base du volontariat de la part des bailleurs de fonds.

Les mesures destinées à lutter contre le réchauffement climatique occupent une place importante dans le programme de la coalition.

Avant même de devenir Premier ministre, M. Hatoyama avait annoncé qu’il souhaitait réduire les émissions de dioxyde de carbone et des autres gaz à effet de serre de 25% d’ici à 2020 par rapport aux niveaux de 1990. Ce programme est très ambitieux dans la mesure où les émissions de CO2 sont actuellement supérieures de 8% à ce qu’elles étaient en 1990. La condition préalable est que les Etats-Unis, l’Inde et la Chine prennent eux aussi l’engagement de réduire leurs émissions de CO2.

Le gouvernement a d’ores et déjà annoncé son intention de créer 100 000 emplois dans des secteurs où la demande intérieure est forte (santé, éducation, agriculture, sylviculture et tourisme entre autres), avant la fin de l’année fiscale qui se termine en mars prochain. Les autorités sont, toutefois, restées assez vagues sur la façon dont ces nouveaux emplois seraient créés. Compte tenu du délai relativement bref, il se pourrait qu’il s’agisse principalement d’emplois publics.

Le financement du déficit pourrait devenir de plus en plus difficile

L’augmentation rapide de la dette publique constitue un problème majeur pour le nouveau gouvernement. En 1991, la dette publique brute n’atteignait que 61% du PIB. Cependant, suite aux politiques très accommodantes appliquées par les précédents gouvernements, elle s’élevait à près de 200% du PIB fin 2008. Lors de la dernière crise économique, le gouvernement a délié un peu plus encore les cordons de la bourse. Ainsi, pour l’exercice budgétaire 2009, le déficit public pourrait atteindre 9% du PIB, contre 6,7% en 2008.

Sans mesure correctrice, le financement des promesses électorales risque fort d’aggraver un peu plus le déficit budgétaire. Le financement des engagements dans les domaines de la santé et des retraites, dans un contexte de vieillissement accéléré de la population risque, notamment de s’avérer extrêmement coûteux.

Le ministre des Finances, Hirohisa Fujii, a suggéré de relever la taxe sur la consommation (5% actuellement) pour financer l’explosion des coûts du système de protection sociale. Le programme de la coalition a, toutefois, exclu une telle mesure au cours de son mandat actuel (quatre ans).

Le gouvernement espère pouvoir financer ses promesses en coupant dans d’autres dépenses. Pour ce faire, il a d’ores et déjà passé au peigne fin le budget d’ajustement du gouvernement précédent en vue d’y déceler des dépenses dispendieuses. Il est ainsi parvenu à dégager 2,93 trillions de JPY (22 milliards d’EUR) d’économies. Parmi les projets abandonnés, citons le Centre national des arts populaires, plus connu sous le nom de Musée du manga. Mais cela risque de s’avérer insuffisant.

Mi-octobre, presque tous les ministres avaient transmis leur budget prévisionnel pour l’année 2010. La mise en œuvre des projets gouvernementaux, dont la revalorisation des allocations familiales, nécessitera 7 trillions de JPY supplémentaires. Rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que ces ressources supplémentaires pourront être financées simplement en évitant les gaspillages. Il est probable que le gouvernement devra davantage faire appel au marché.

Pour le moment, le financement de la dette n’a pas engendré de pressions à la hausse sur les taux d’intérêt. Bien au contraire, les taux d’intérêt à long terme ont sensiblement diminué. Fin octobre 2009, le taux de référence du JGB à 10 ans s’établissait à 1,4%, de sorte que, malgré l’augmentation de la dette, les paiements nets relatifs aux intérêts se sont maintenus à un niveau remarquablement bas (de l’ordre de 1% du PIB seulement).

Ce phénomène résulte de plusieurs facteurs. Tout d’abord, l’épargne nationale est importante et principalement nationale. Avant 2000, elle était essentiellement alimentée par les ménages. Or le taux d’épargne des ménages s’est effondré aux environs de 3 %.

Depuis 2000, les entreprises ont pris le relais sur fond de désendettement.

En second lieu, près de 50 % des obligations d’Etat sont détenues par des institutions publiques comme la Banque centrale, la Japan Post Bank et la Japan Post Insurance. Le solde est relativement concentré entre les mains de quelques établissements financiers seulement. Ces produits financiers sont, en effet, sans risque et offrent une protection en période de déflation. La crise financière qui a provoqué un regain d’intérêt en faveur des actifs moins risqués a ainsi eu pour conséquence d’accentuer la baisse des taux des JGB (et des autres obligations d’Etat).

Ces conditions favorables ne devraient cependant pas durer. Le vieillissement de la population pourrait réduire le montant de l'épargne dans l'économie. D'ailleurs, les investisseurs institutionnels pourraient changer leur comportement en recherchant des meilleurs rendements. Pour maintenir l’attractivité des obligations japonaises, un plan de l’assainissement à moyen terme sera essentiel. Pour le moment, le problème croissant de la dette ne semble pas encore en tête de l’agenda du gouvernement.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas