par Ken Van Weyenberg, Investment Specialist chez Dexia Asset Management
Le lancement de mesures vigoureuses d’assouplissement quantitatif au Japon a fait l’effet d’une onde de choc. Les pays émergents resteront sous pression, tandis que la bourse japonaise entame un mouvement de redressement soutenu.
Voilà plus de 10 ans que le Japon, pays du soleil levant, revient régulièrement sur le devant de la scène. Depuis plusieurs années en effet, la région est engluée dans une spirale déflationniste et reste confrontée, aujourd’hui encore, à d’énormes problèmes structurels. La population japonaise continuera de diminuer au cours des prochaines années et le poids de la région dans le commerce international a été réduit de moitié au cours des deux dernières décennies.
Le changement politique amorcé depuis l’arrivée de Shinzō Abe s’accompagne toutefois, comme l’on s’y attendait, d’une politique de soutien plus agressive de la part de la Banque centrale. Certes, le renforcement des mesures de soutien était prévisible, mais l’ampleur du scénario mis en place a surpris tout le monde. C’est pourquoi l’annonce des mesures d’assouplissement au Japon a fait l’effet d’une véritable onde de choc sur les marchés.
Les mesures
La politique d’assouplissement monétaire a pour but de casser la spirale déflationniste et d’aboutir une stabilité des prix. La Banque du Japon a fixé le taux d’inflation à atteindre à 2 % (croissance annualisée de l’indice des prix à la consommation). Cet objectif doit être atteint le plus rapidement possible, soit d’ici 2 ans environ selon l’horizon prévu. La Banque centrale mènera à cet effet une politique monétaire accommodante aussi longtemps que cela s’avèrera nécessaire.
- Pour atteindre le niveau d’inflation visé, la Banque du Japon augmentera son bilan, notamment en achetant plus d’obligations souveraines japonaises, à concurrence de quelque 50 mille milliards de yens par an (l’équivalent d’environ USD 500 milliards).
- Au cours des deux prochaines années, la Banque du Japon doublera à la fois sa base monétaire et les encours en matière d’obligations d’État japonaises, ETF et REIT (Real Estate Investment Trusts – l’équivalent des Sicavs immobilières belges). La Banque centrale achètera en outre des obligations souveraines japonaises à plus longue échéance, pour porter l’échéance moyenne à 7 ans (au lieu de 3 actuellement).
- La Banque du Japon effectuera des opérations sur le marché monétaire afin d’élargir la base monétaire à concurrence de 60-70 mille milliards de yens par an.
- L’annonce de ces mesures a provoqué un afflux massif de liquidités sur les marchés actions japonais. L’indice Nikkei (en yen) a bondi de pas moins de 35 % depuis le début de l’année.
Quelle incidence sur l’économie réelle ?
La question cruciale est évidemment de savoir si les efforts monétaires déployés par la Banque centrale du Japon peuvent réellement soutenir la croissance économique et créer de l’inflation. En tout état de cause, le redressement spectaculaire du marché japonais peut certainement donner un coup de pouce à l’économie du pays. L’incidence directe (impact de la hausse des cours sur la richesse des ménages japonais) est plutôt limitée, car les ménages japonais n’investissent pas plus de 7 % de leurs actifs en actions. L’impact indirect peut, quant à lui, être nettement plus important, car un regain de confiance des consommateurs peut contribuer à relancer la demande domestique. Par ailleurs, la politique monétaire japonaise peut soutenir l’activité économique d’une autre manière encore, via une dépréciation du yen japonais. L’annonce des mesures de stimulation décidées par la Banque centrale japonaise a donné un gros coup de fouet à la devise du pays. Depuis octobre 2012, le cours du yen en termes réels a baissé de plus de 20 % par rapport aux principaux partenaires commerciaux du Japon (et d’environ 30 % par rapport à l’euro) – ce qui renforcera nettement les exportations japonaises au cours des trimestres à venir.
Pour l’instant, l’on ne peut cependant qu’estimer l’incidence réelle du nouveau programme de soutien japonais. Une analyse réalisée par la Banque d’Angleterre permet de se faire une idée des répercussions possibles. Selon cette institution, un assouplissement quantitatif de 15 % – 20 % du PIB pourrait entraîner une croissance économique réelle de 1,75 % et faire progresser l’inflation d’un peu moins de 1 %. Les nouvelles mesures de la Banque du Japon auront certainement une incidence sur la croissance économique japonaise, qui s’accélèrera le trimestre prochain. On peut d’ailleurs déjà en déceler les premiers signes dans l’indice de confiance des entreprises (Tankan Business Conditions) et le sentiment qui prévaut parmi les petites et moyennes entreprises (SME Indicator: Small and Medium Enterprises). Pour le 2è mois consécutif, l’indice PMI manufacturier s’établit au-delà de 50, la ligne de démarcation entre croissance et récession.
Trop tard pour investir ?
En tout état de cause, les investisseurs en actions s’attendent à ce que les mesures de la Banque du Japon produisent un impact important sur le dynamisme économique de la région. L’enquête Fund Managers Survey de Merril Lynch montre qu’au cours des cinq dernières années, le Japon a été quasiment toujours sous-pondéré dans la plupart des portefeuilles mixtes. Cette tendance est en train de s’inverser. De nombreux gestionnaires ont récemment commencé à réduire leur sous-pondération dans leur allocation régionale, au détriment de la surpondération des pays émergents en général. Pour la première fois en près de 10 ans, le Japon est à nouveau surpondéré chez Dexia Asset Management.
Cette tendance devrait être confirmée par une nouvelle amélioration des statistiques économiques. Mais le renversement de la tendance économique n’est pas le seul facteur qui incite les investisseurs à s’intéresser à nouveau aux actions japonaises. La dynamique des bénéfices apporte, elle aussi, un soutien non négligeable. La dépréciation du yen japonais (favorable aux exportations) et l’amélioration du climat économique devraient avoir un impact majeur sur les bénéfices des entreprises. Depuis peu, le ratio de révision des bénéfices prévisionnels est à nouveau positif (plus de révisions à la hausse que de révisions à la baisse) et comme on peut s’attendre à une amélioration de la rentabilité des entreprises japonaises (voir graphique cours/valeur comptable et rentabilité), on peut affirmer que, vu les paramètres de valorisation actuels, il y a encore une belle marge de manœuvre pour une nouvelle révision de la notation de la région.
Le potentiel qu’offre la bourse japonaise à moyen et long terme est incontestable. Après sa remontée spectaculaire depuis la mi-novembre, le Nikkei 225 a cependant besoin d’une courte pause. Ce qui n’exclut donc pas une légère correction à court terme. Cette correction pourrait être une occasion idéale pour les investisseurs dont le portefeuille diversifié ne contient pas encore de positions sur la région.