par Patrice Gautry, Chef économiste à l'Union Bancaire Privée (UBP)
La BCE arrive encore à surprendre les marchés financiers : en augmentant d’EUR 600 milliards son PEPP (à EUR 1.35 tr) et portant la date de fin à 2021 (ré-investissement à 2022), elle reprend l’initiative sur des attentes de marchés qui étaient déjà très ambitieuses.
Ses vues sur l‘économie ne sont pas très optimistes, beaucoup plus pessimistes que celles du consensus pour 2020 (-8.7% versus -7.6%) et peut-être craint-elle aussi une approbation un peu plus difficile du « Recovery Fund » sur les prochains mois avec une résistance plus forte de la part des pays dits « frugaux ». Les prévisions sur l’inflation ne sont pas plus optimistes car elle devrait s’établir à 1.3% en 2022, soit très en dessous de l’objectif de 2%; l’argument d’une inflation en dessous de ses objectifs pourra donc être utilisé à loisir les prochains trimestres si la BCE doit de nouveau adapter ses mesures et ainsi imposer un consensus au sein du Conseil des Gouverneurs.
L’action de la BCE se concentre sur ses achats d’actifs et laisse de côté les taux d’intérêt déjà en territoire négatif ; elle attend de l’assouplissement programmé des conditions de TLTRO3 en juin une nouvelle baisse des conditions financières.
LE PEPP a été accru de 600 milliards pour clairement gagner du temps et retrouver une certaine visibilité sur les marchés financiers et l’économie ; les rythmes des achats récents risquent de venir rapidement à bout du fond, encore plus si des tensions nouvelles revenaient sur le marché financier à l’occasion des négociations sur le « Recovery Fund ».
Le PEPP est un outil présenté par la BCE comme très flexible et dont les composantes ( temps, classe d’actifs et pays) devraient pouvoir être adaptées très rapidement : cela en fait une force d’intervention rapide mais sa gestion courante et les derniers achats réalisés semblent assez conservateurs malgré l’ambition affichée ; la fameuse règle de répartition des achats selon le capital de la BCE n’est que marginalement remise en cause, au profit de l’Italie et au détriment de l’Allemagne et de la France, mais cela reste dans les fluctuations déjà observées lors des achats mensuels d’obligations (PSPP) ; de plus, les achats d’obligations d’entreprises risquées ( high yield) ne sont toujours pas au programme et n’auraient pas été discutés au cours de la réunion. La BCE semble réserver l’agressivité potentielle du PEPP pour des conditions de marchés ou de transmission de politique monétaire beaucoup plus difficiles que celles en place, et il en est de même concernant des achats d’actifs bancaires ou des prêts directs aux entreprises, dispositifs adoptés par la Fed.
Sur la question de la constitutionnalité et de la proportionnalité des achats de la BCE (PSPP), la réponse de la BCE semblait aujourd’hui plus modérée que les réactions initiales, renvoyant au gouvernement et Parlement allemand le soin de répondre à cette réserve sur son action. La pression passe donc du côté politique, la BCE réaffirmant son indépendance et arguant des décisions passées de la Cour Européenne de Justice. La question est donc politique alors que l’Allemagne doit justement prendre la présidence tournante de l’UE cet été.
En somme, la BCE n’a rien de généreux mais elle gagne du temps et semble vouloir se préparer à un très « gros temps » économique et politique.
Alors que les prémices d’une mutualisation de la dette européenne commencent à apparaître, la BCE est gardienne de la liquidité, garante d’un bas coût du capital, et essaie aussi de maitriser en partie le calendrier ; elle évolue vers une gestion plus active de la dette aussi bien publique que privée et de son refinancement sous une raison toujours valide d’une inflation faible, ce qui finit aussi par justifier une certaine monétisation de la dette.