par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• Le président de la BCE, Mario Draghi, a dévoilé hier les principales caractéristiques d’un nouveau programme de rachats – conditionnels mais illimités – de dettes publiques, baptisé OMT (« Outright Monetary Transactions », ou Transactions Monétaires Fermes).
• Dans l’ensemble, les annonces de la BCE ont dépassé les (fortes) attentes des marchés. Les modalités techniques des OMT en termes de conditionnalité « allégée », de séniorité (la BCE abandonne son statut de créancier privilégié) et de transparence des interventions constituent une avancée très positive.
• En retour, la balle est dans le camp des gouvernements qui voudraient bénéficier du soutien de la BCE ; l’Espagne pourrait en faire la demande prochainement, sous la forme d’un programme de lignes de crédit préventive (« Enhanced Conditions Credit Line »). L’Irlande et, à terme, le Portugal, pourraient également être accompagnés par la BCE dans leur retour sur les marchés.
• La BCE a également assoupli les règles d’éligibilité des titres acceptés comme collatéraux lors de ses opérations de refinancement, en suspendant notamment l’application d’un seuil de notation minimum pour les pays éligibles au programme OMT ou faisant actuellement l’objet d’un programme UE-FMI. L’Espagne est clairement visée, mais ces mesures sont également susceptibles de bénéficier aux autres banques de la zone euro.
• Enfin, la BCE a maintenu ses taux directeurs inchangés, contrairement à nos attentes et à celles des marchés qui tablaient sur une baisse. Si le Conseil des gouverneurs a semblé accorder la priorité aux mesures non conventionnelles ce mois-ci, malgré une révision à la baisse des projections de croissance, une baisse de 25 pb du taux Refi reste probable d’ici à la fin de l’année, sauf amélioration spectaculaire des conditions d’activité et de marché.
La conférence de presse donnée hier par Mario Draghi était on ne peut plus attendue. La réaction euphorique des marchés suggère que l’exercice de communication a été un succès, le président de la BCE offrant au marché davantage de détails qu’espéré en termes de montants, de maturités, de conditionnalité, de séniorité et de transparence des futurs achats d’obligations d’Etat et ce, malgré les nombreuses fuites dans la presse qui se sont souvent avérées exactes. En particulier, ces opérations OMT seront dans les faits illimitées, pari passu (pas de statut de créancier privilégié), elles cibleront des titres d’une maturité résiduelle pouvant aller jusqu’à 3 ans et seront, de plus, entièrement stérilisées.
Ces décisions n’ont pas été prises à l’unanimité, mais une seule voix dissidente s’y est opposée (le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, même si Draghi s’est gardé de le nommer) et, surtout, la détermination de la BCE à agir n’en a pas moins été réaffirmée avec force. Le Conseil des Gouverneurs entend ainsi remédier aux « craintes infondées de la part des investisseurs sur la réversibilité de l’euro » en mettant en place « un dispositif particulièrement efficace pour éviter des scénarios destructeurs susceptibles d’affecter sensiblement la stabilité des prix dans la zone euro ». Comme l’a martelé M. Draghi pendant la conférence de presse, la BCE « agit strictement dans le cadre de son mandat » en intervenant sur le marché secondaire ; il a notamment cité l’article 18 des statuts de la BCE autorisant de tels rachats fermes dans le cadre de la conduite de la politique monétaire.
Certes, pour l’Espagne en particulier, les interventions de la BCE ne commenceront qu’après une demande d’aide officielle, ce qui peut sembler désormais moins probable après la très forte détente des taux des emprunts d’Etat. Cependant, compte tenu des mesures budgétaires et structurelles déjà annoncées par l’Espagne cette année, le plus vraisemblable selon nous est que le gouvernement espagnol négocie avec les leaders européens et finisse par faire une demande d’aide dans le cadre d’une conditionnalité « allégée », potentiellement au cours des prochaines semaines. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx A noter, enfin, que M. Draghi a voulu établir des priorités en matière d’instruments de politique monétaire à sa disposition. Le nouveau programme de rachat de titres de dette publique était bien sûr au cœur de la réunion d’hier, de sorte qu’un geste sur les taux directeurs n’a même pas été évoqué. Cependant, nous restons convaincus qu’une nouvelle baisse des taux serait justifiée au vu des fondamentaux : nous tablons sur une réduction du taux Refi à 0,50% d’ici la fin de l’année.
Les principales caractéristiques du programme OMT (« Outright Monetary Transactions »)
En révélant les principaux aspects de son nouveau programme, la BCE a voulu signaler sa volonté d’engager autant de moyens que nécessaire pour réussir, grâce à ces interventions, à ramener les taux souverains de court terme à des niveaux jugés soutenables et compatibles avec les fondamentaux macro-économiques et budgétaires, et éviter ainsi les « mauvais équilibres » dans lesquels certains pays pouvaient se trouver, lorsqu’une situation d’illiquidité due à des rendements élevés conduit d’elle-même à une situation d’insolvabilité. Au total, ces annonces comportent davantage d’éléments positifs que négatifs (voir version intégrale du communiqué de presse).
– Conditionnalité « allégée » et surveillance
Nous en savons notamment davantage sur les conditions à remplir par les pays de la zone euro pour recevoir le soutien du programme OMT, même l’incertitude demeure sur le calendrier de ces interventions. Le programme OMT sera soumis à une « conditionnalité stricte et efficace liée au mécanisme FESF/MES approprié », ce programme de soutien pouvant prendre la forme d’un plan de sauvetage à part entière (sur les modèles grecs, irlandais ou portugais) ou d’un programme préventif plus souple (« Enhanced Conditions Credit Line »,voir description des lignes de crédit préventives dans les directives du FESF1), autorisant une plus grande flexibilité à la fois en termes de conditions ex ante et de surveillance du pays concerné. Il convient également de souligner que l’intervention du FMI serait « souhaitable » mais pas nécessairement indispensable, selon M. Draghi. L’implication du FMI serait, selon nous, un moyen efficace de soumettre certains pays périphériques à un contrôle extérieur étroit et crédible, sachant que l’Italie a déjà accepté une telle surveillance du FMI fin 2011.
De plus, le programme OMT « peut également être envisagé pour des Etats membres faisant actuellement l’objet d’un programme d’ajustement macro-économique » lorsqu’ils auront de nouveau accès au marché obligataire, ce qui laisse entrevoir un soutien potentiel à l’Irlande (qui est revenue sur le marché obligataire plus tôt que prévu) et, à terme, au Portugal, dans l’hypothèse où la Troïka donnerait son feu vert au déblocage des prochaines tranches de prêt et à condition que le pays envisage également un retour progressif sur le marché plus rapide que prévu (officiellement, au T3 2013).
– Montants illimités
Il n’y aura « pas de limite quantitative ex ante » à ces achats dans le cadre du programme OMT ; autrement dit, celui-ci sera effectivement illimité. Cela dit, les dispositifs SMP 1 et 2 n’étaient pas non plus limités en quantité, du moins en théorie (en pratique, plusieurs sources avaient suggéré un plafond hebdomadaire de rachats de 20 Mds EUR). Reste à savoir comment le marché va réagir aux interventions réelles, la réaction instantanée étant pour le moins encourageante.
– Maturités résiduelles allant jusqu’à 3 ans
Les rachats OMT seront « centrés sur la partie courte de la courbe de taux et, en particulier, sur les obligations souveraines assorties d’une échéance comprise entre un et trois ans ». Lors de la séance des questions-réponses, M. Draghi a précisé que ce seuil de 3 ans s’appliquerait à la maturité résiduelle des titres concernés, et que ces opérations ne seraient pas trop éloignées, dans l’esprit, d’opérations de politique monétaire classiques compte tenu des liens étroits entre les taux d’intérêt sur la partie courte de la courbe et les opérations de refinancement à 3 ans que la BCE avaient proposées aux banques en décembre et en février derniers. On peut noter par ailleurs que les opérations OMT seraient « centrées » sur les maturités inférieures à 3 ans plutôt que « limitées » à cette zone, suggérant qu’une plus grande flexibilité ne peut être exclue à l’avenir.
– Stérilisation intégrale
La liquidité créée à travers le programme OMT « sera complètement stérilisée » même si on peut s’interroger sur l’instrument de politique monétaire qui sera choisi pour y parvenir dans un environnement de taux bas et d’opérations de refinancement illimitées. On sait notamment que la BCE est autorisée par ses statuts à émettre des certificats de dette assortis d’une échéance inférieure à 12 mois2, si besoin, afin d’offrir un rendement légèrement plus élevé aux banques qui accepteront de « rendre » périodiquement cette liquidité à la BCE3.
– Renonciation au rang de créancier privilégié
Les achats OMT seront explicitement pari passu avec les autres créanciers. La BCE abandonne donc explicitement son statut de créancier privilégié, observé de facto (et non de jure) lors de l’exercice de restructuration de la dette grecque auquel elle n’a pas participé. C’est probablement l’aspect le plus inattendu du programme, à nos yeux. Si un pays bénéficiaire est confronté à une restructuration de sa dette (Private Sector Involvement, PSI), la BCE pourrait donc, en théorie, être exposée à des pertes sur ses achats OMT même si, en pratique, il y aurait fort à parier sur une intervention directe des gouvernements nationaux. De plus, la question politiquement sensible de l’encours du programme SMP (209Mds EUR), et du traitement qui lui sera réservé, reste entière, en particulier concernant la Grèce pour laquelle les appels à la participation du secteur public (Official Sector Involvement, OSI) se font de plus en plus nombreux. Pour le moment, Draghi a indiqué que le SMP était officiellement clôturé mais que les titres seraient détenus jusqu’à l’échéance sur le bilan de la BCE.
– Transparence accrue
Comme pour les dispositifs SMP 1 et 2, les encours du programme OMT seront publiés toutes les semaines, tout comme leur « valeur de marché » – une nette amélioration sur le plan de la transparence, qui permettra au marché d’en savoir plus sur la nature des achats effectués par la BCE en termes de prix et de maturités. De plus, une répartition par pays sera publiée tous les mois.
– Pas d’objectif quantitatif
Le Conseil des gouverneurs ne se fixera aucun objectif en termes de taux ou de spreads. M. Draghi n’a pas souhaité s’étendre sur ce point, laissant toutefois entendre que toute tentative de distinction entre prime de risque de convertibilité et prime de risque de crédit serait trop difficile à justifier du point de vue théorique pour que la BCE utilise ce type d’outil quantitatif, même en interne.
Pas (encore) de baisse des taux, mais de nouvelles mesures de soutien à la liquidité
La BCE a, contre toute attente, laissé ses taux directeurs inchangés hier, à 0,75 % pour le taux Refi, 0,0 % pour le taux de dépôt et à 1,50 % pour le taux de prêt marginal. Une baisse des taux aurait été amplement justifiée, selon nous, ne serait-ce que parce que les projections de croissance du staff de la BCE ont été révisées à la baisse (de 1,0% à 0,5% en 2013). Certes, l’inflation se maintient « à un niveau un peu plus élevé que prévu il y a quelques mois », mais elle doit toujours, selon les prévisions de la BCE, repasser sous les 2 % dans le courant de l’année prochaine, pour s’établir en moyenne à 1,9% en 2013 (contre 1,6% prévu il y a trois mois).
Nous avons de bonnes raisons de penser que la décision de ne pas baisser les taux ce mois-ci relève davantage d’un report tactique que d’un changement de cap en matière de politique monétaire. Aussi continuons-nous de tabler sur une autre baisse de 25 pb du taux « Refi » d’ici la fin de l’année ; la zone euro devrait rester en récession, le chômage continuer de remonter, tandis que l’inflation devrait selon nous repartir à la baisse en tendance.
- M. Draghi a souhaité établir des priorités en matière de politique monétaire et toute les attentions étaient concentrées sur les mesures non conventionnelles ce mois-ci, même si les perspectives d’activité n’ont pas fondamentalement changé ;
- M. Draghi a précisé que la baisse de taux délivrée en juillet avait en quelque sorte « anticipé » la révision à la baisse des prévisions de croissance du staff publiées cette semaine – une manœuvre un peu grossière, à nos yeux, qui ne préjuge en rien des décisions futures ;
- A supposer que les mécanismes de transmission de la politique monétaire s’améliorent progressivement, une baisse des taux reste justifiée ; si la BCE parvient à ses fins, un geste sur les taux garde tout son sens même si le sentiment du marché s’améliore également ;
- D’un point de vue politique, la BCE veut aussi peut-être maintenir une certaine pression sur le gouvernement espagnol pour qu’il s’en tienne à son calendrier de recapitalisation du système bancaire ; une aide supplémentaire aux banques espagnoles pourrait donc être décidée ultérieurement sous forme de mesures de détente conventionnelle ou non conventionnelle, si besoin est.
Concernant les mesures de politique monétaire non conventionnelle, la BCE a annoncé deux changements spécifiques ayant trait aux règles d’utilisation des collatéraux lors des opérations de refinancement des banques commerciales (voir communiqué de presse complet). Premièrement, le seuil de notation minimum des agences sera supprimé pour les instruments de la dette émis ou garantis par un pays éligible au programme OMT, ou qui fait l’objet d’un programme UE-FMI et respecte la conditionnalité correspondante. Autrement dit, toute dégradation de la notation d’un Etat souverain faisant suite à une demande d’aide financière n’affecterait pas l’éligibilité de ses obligations à la BCE. L’Espagne est manifestement visée et bénéficierait de cette disposition en cas de soutien du programme OMT; à l’inverse, les règles relatives aux titres de la dette grecque restent inchangées. Deuxièmement, les titres de dette émis et détenus dans la zone euro, mais libellés en devises étrangères (USD, GBP, JPY) seront de nouveau éligibles, comme c’était le cas entre octobre 2008 et décembre 2010. Si l’impact de ces mesures sur le pool de collatéraux disponibles est difficile à quantifier, elles pourraient néanmoins apporter à l’ensemble des banques de la zone euro une bouffée d’oxygène supplémentaire.
Enfin, l’hypothèse de nouvelles opérations de refinancement ultra longues (v-LTRO) n’a pas été évoquée, sans que l’on puisse déceler de signes allant dans ce sens. Nous restons convaincus que ce type d’opération n’est pas indispensable pour le moment même si une telle option ne saurait être exclue d’ici à la fin de l’année si les marchés monétaires de la périphérie échouaient à se normaliser, même progressivement.
Conclusion : cela sera-t-il suffisant ?
Pour citer Mario Draghi, il appartient à présent aux gouvernements et institutions de la zone euro de définir les contours d’une conditionnalité appropriée, avant que la BCE elle-même ne décide d’accorder ou non son aide à un pays. Nous pensons que le gouvernement espagnol finira par demander officiellement l’aide extérieure des institutions européennes dans le cadre d’un programme préventif. A noter que le FESF offre déjà cette possibilité de sorte que l’Espagne n’a pas à attendre que le MES soit opérationnel. D’autres pays comme l’Irlande et le Portugal pourraient également en bénéficier à terme. L’Italie semble dans une situation différente, mais rien ne peut être exclu pour elle non plus, en fonction de l’évolution des conditions de marché, mais aussi du contexte économique et politique. Dans l’immédiat, les taux obligataires périphériques pourraient poursuivre leur baisse avant de se stabiliser, leur potentiel de détente semblant déjà largement entamé par les mouvements récents. La question porte davantage sur le potentiel de baisse des taux aux maturités plus longues, « l’effet Draghi » sur les taux inférieurs à 3 ans se propageant le long de la courbe.
Ce qui n’a pas changé, en revanche, ce sont les limites des actions de la BCE. Aussi habile soit-il, M. Draghi ne peut résoudre à lui seule la crise économique et celle de la dette sur le long terme. Les mesures visant à enrayer le processus de fragmentation financière, comme M. Draghi l’a souligné, ne peuvent produire qu’un effet limité et progressif dans le meilleur des cas. Pour que la confiance fasse un retour durable sur les marchés de capitaux, les responsables politiques n’ont d’autre choix que de poursuivre leurs ajustements budgétaires et structurels pendant que les institutions européennes, et pas seulement la BCE, tentent de soutenir les conditions d’activité (quid du « pacte de croissance » ?) et les conditions de marché (en avançant, notamment, vers une union bancaire).
- http://www.efsf.europa.eu/attachments/efsf_guideline_on_precautionary_programmes.pdf
- Voir 1.3.1(d) & 3.3 in http://www.ecb.int/ecb/legal/pdf/l_33120111214en000100951.pdf
- Actuellement, les opérations d’enchères inversées qui permettent de stériliser les achats effectués sous l’ancien programme SMP génèrent un rendement de l’ordre de 1 pdb.