par Frederik Ducrozet, Orlando Green et Manuel Oliveri, économistes au Crédit Agricole
• La BCE a laissé ses taux directeurs inchangés lors de sa réunion de mars, contrairement à notre prévision d’une légère baisse du taux « Refi ». Aucune nouvelle mesure de liquidité n’a été annoncée pour l’instant.
• L’inflation sera inférieure à la cible sur l’ensemble de l’horizon de prévision, selon les nouvelles prévisions du staff de la BCE, à 1,5% en moyenne en 2016 et seulement 1,7% au quatrième trimestre 2016. Les risques sur la stabilité des prix sont toujours décrits comme « globalement équilibrés », mais la BCE pourrait être en train de réviser son estimation de l’écart de production (« output gap ») à la baisse, ce qui pourrait être une autre manière de renforcer, in fine, le guidage des anticipations (« forward guidance »).
• L’inaction de la BCE peut s’interpréter comme la volonté du Conseil des gouverneurs de garder le peu de « munitions » qu’il lui reste pour plus tard, en cas d’appréciation de l’euro et/ou de baisse de l’inflation. De nouvelles mesures d’assouplissement du crédit – destinées à améliorer la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle – restent par ailleurs possibles, selon nous. Un passage à l’action parait néanmoins moins probable à présent et le risque serait que la fenêtre d’opportunité se referme dans les quelques mois qui viennent.
• La conférence de presse du 6 mars, moins « dovish » qu’attendu, suggère une stabilisation des anticipations de marché quant à la politique monétaire de la BCE, un facteur de soutien à l’euro. Nous n’excluons pas une montée de l’EUR/USD vers 1,40 à court terme. A moyen terme, la prudence reste toutefois de mise.
• Nous tablons toujours sur une pentification de la courbe des taux forwards sur l’Eonia. La plus grande passivité supposée de la BCE se traduira probablement par une plus grande propension de la courbe des taux à se pentifier en cas de hausse des taux et par une remontée plus marquée des taux à 5 ans en particulier ; par ailleurs, nous n’envisageons pas de hausse durable des taux périphériques.
Pas même une cosmétique mesure
Notre prévision d’un léger assouplissement monétaire ce mois-ci ne s’est pas vérifiée. La BCE a non seulement laissé ses taux inchangés, mais son communiqué ne suggère pas d’action imminente, ce qui implique soit que la fonction de réaction de la BCE a changé, soit que celle-ci est devenue marginalement plus confiante quant aux perspectives de prix à moyen terme – ou les deux. Le Conseil des gouverneurs a certes discuté de différentes options possibles concernant les taux et autres mesures de politique monétaire (parmi lesquelles une suspension de la stérilisation du programme SMP), mais il a décidé de ne rien faire du tout. Mario Draghi a justifié cette absence d’action en s’appuyant sur les deux cas de figure qu’il avait cités un mois plus tôt comme pouvant déclencher une réponse de politique monétaire : la BCE ne détecte ni « remontée injustifiée des taux monétaires » ni « détérioration significative des perspectives à moyen terme de stabilité des prix ».
Mario Draghi a au contraire déclaré que le scénario central de la BCE était « pour l’essentiel confirmé » par les informations récentes, notamment les chiffres du PIB au quatrième trimestre, les enquêtes auprès des entreprises (il a insisté sur l’importance pour les créations d’emplois de la bonne tenue des indices PMI dans le secteur des services) et la stabilisation du chômage. Sur le front de l’inflation, la BCE n’a rien noté non plus qui l’amène à réagir : les chiffres de février ont été plus élevés que prévu et les anticipations à long terme sont une nouvelle fois décrites comme « fermement ancrées ». La stratégie de guidage des anticipations a été « fermement réaffirmée », exactement dans les mêmes termes que le mois précédent.
Les nouvelles prévisions du staff étaient l’un des principaux points de la réunion de mars et elles ont été à peu près conformes à nos prévisions (cf. graphique en première page). La croissance a été révisée marginalement à la hausse pour cette année (à 1,2%), avec une lente montée vers un niveau supérieur au potentiel (1,8% en 2016). Les projections d’inflation ont été révisées marginalement à la baisse, à seulement 1,0% en 2014, avec un retour graduel vers la cible en toute fin de l’horizon de prévision (1,5% en moyenne en 2016 et 1,7% au quatrième trimestre 2016). L’inflation sous-jacente est attendue à 1,7% en moyenne en 2016, ce qui conforte un peu plus le scénario de « normalisation » de la BCE.
Deux changements de communication méritent d’être soulignés dans le communiqué et la session de questions-réponses de la BCE. Tout d’abord, les premiers paragraphes du communiqué font pour la première fois mention d’«un degré élevé de capacités inemployées », ce qui suggère que la BCE pourrait revoir graduellement son opinion sur le niveau de la croissance potentielle et sur celui de l’écart de production, ou « output gap ». En effet, jusqu’à une période récente, la BCE pensait que la croissance potentielle avait été affectée par la crise et était très basse, conformément aux estimations de la Commission européenne (de l’ordre de 0,5%, voire moins, d’où un output gap plus faible et un retour relativement rapide de l’inflation vers sa cible de 2%). Au final, le guidage des anticipations tourne autour de la notion d’output gap et cette nouvelle manière de communiquer pourrait être un outil utilisé par la BCE pour maximiser l’impact du guidage des anticipations dans la durée, comme le fait la BoE – quoique dans un tout autre contexte.
Ensuite, Mario Draghi a fait plusieurs commentaires inhabituellement explicites sur le niveau du cours de change et son impact sur l’inflation. Il a cité la règle approximative selon laquelle une hausse permanente de 10% du taux de change effectif de l’euro se traduirait par une baisse de l’inflation comprise entre 40 et 50 pdb, toutes choses égales par ailleurs. L’euro s’étant apprécié d’environ 8% en termes effectifs depuis le point bas de 2012, Mario Draghi a affirmé que la baisse de l’inflation de 0,4 point de pourcentage pouvait être attribuée à l’évolution des cours de change. Alors que l’inflation est actuellement inférieure à 1% et va probablement osciller autour de ces niveaux pendant quelque temps, un impact de 0,4% n’est pas neutre pour la BCE. Mario Draghi a certes répété que « le taux de change ne faisait pas partie des objectifs de politique monétaire », mais il semble bien qu’une appréciation durable (même modérée) de l’euro puisse déclencher une réponse de la BCE. Nous avons déjà mentionné ce type de raisonnement circulaire dans le passé : la BCE pourrait être contrainte d’agir en réaction – plutôt que de manière préventive – à un durcissement des conditions financières.
Au final, la BCE a déçu au regard de nos anticipations, mais, plus fondamentalement, elle n’a pas ouvert la porte à de nouvelles mesures fines d’assouplissement dans les mois qui viennent. Le fait qu’elle procède ou non à une baisse limitée du taux de refinancement dépendra probablement de l’évolution de l’inflation dans les mois qui viennent – mais la fenêtre d’opportunité pourrait se refermer relativement rapidement si l’inflation repart à la hausse vers la fin du deuxième trimestre, comme le suggèrent nos prévisions. La décision de la BCE de suspendre ou non la stérilisation du programme SMP ou de mettre en œuvre une autre mesure technique de soutien aux conditions de liquidité dépendra non seulement du niveau de l’Eonia, mais aussi de la volatilité et du comportement de la courbe des taux interbancaires, alors que la mesure de l’excès de liquidité s’approche de niveaux clés, plus près du seuil de 100 Mds EUR. L’évolution de la politique monétaire à court terme reste donc très incertaine, mais au minimum la BCE semble très loin d’opter pour des mesures non conventionnelles plus radicales à ce stade.
Réaction des taux de marché et perspectives
Les taux courts se sont tendus de 3 pdb à 5 pdb pour les taux monétaires les plus longs. Les taux implicites des futures sur Euribor – jusqu’au green contrats, c.-à-d. les contrats dont l’échéance est comprise entre 2 et 3 ans – sont restés à moins de 10 pdb de leur plus bas niveau depuis neuf mois, malgré cette remontée, ce qui pourrait signifier que le marché considère que la désinflation reste un risque à court terme. Le swap Eonia 1 an dans 1 an a atteint son niveau le plus élevé depuis un an (à 0,23% à l’heure où nous écrivons ces lignes). La courbe des forwards de l’Eonia se pentifie légèrement, mais le segment [3 mois – 3 mois dans 9 mois] reste légèrement inversé. Notre scénario initial (légère baisse du taux de refinancement et possibilité d’une suspension de la stérilisation du programme SMP) aurait probablement provoqué une pentification de la courbe des forwards de l’Eonia en tirant les maturités courtes vers le bas. Une pentification reste toutefois possible si les swaps longs sur Eonia augmentent, sur fond d’indicateurs encourageants sur l’activité, comme Mario Draghi l’a sous-entendu lors de la conférence de presse. Aussi, nous continuons de penser que la courbe des Eonia forwards pourrait se pentifier à terme, conditionnellement à l’évolution des données macroéconomiques, et plus particulièrement des indicateurs de croissance.
Sur les maturités moyennes et longues, le thème de l’assouplissement monétaire se manifestait depuis le début de l’année par le fait que, sur le segment 2 ans – 10 ans, les baisses de taux s’accompagnaient d’un aplatissement de la courbe (bull-flattening) et par la baisse plus forte des taux à 5 ans que des taux plus courts ou plus longs. Le fait que Mario Draghi n’ait pas suggéré d’assouplissement à court terme et se soit montré plus optimiste sur les perspectives de croissance suggère une inversion de ces mouvements. La courbe va certainement renouer avec la pentification lors des mouvements de hausse des taux (bear-steepening) et les hausses des taux à 5 ans devraient être plus prononcées lorsque les indicateurs de croissance montreront des signes d’amélioration. Les taux périphériques ont baissé au cours des dernières semaines, bien que les taux des pays du centre aient eux aussi baissé, une configuration que nous ne pensions pas soutenable à moyen terme. Les spreads périphériques n’ont quasiment pas réagi à l’absence de décision de la BCE, une réaction qui s’explique dans la mesure où les mesures d’assouplissement qui étaient initialement attendues lors de la réunion de mars n’auraient profité que marginalement à la périphérie. Nous continuons à penser qu’une forme d’assouplissement du «crédit» est possible dans les mois qui viennent (une analyse confortée par les commentaires de Mario Draghi), ce qui nous amène à penser que l’évolution encourageante des taux périphériques depuis le début de l’année devrait se poursuivre.
La BCE crée un risque haussier supplémentaire pour l’euro
La décision de la BCE de ne pas assouplir davantage sa politique monétaire a provoqué une appréciation de l’euro. Mario Draghi a de plus souligné que rien ne justifiait une suspension de la stérilisation du programme SMP et, enfin, les prévisions d’inflation à moyen terme restent proches de la cible. Ces facteurs suggèrent que la BCE n’a guère de raison de se montrer plus accommodante dans l’immédiat, bien qu’elle n’écarte aucune possibilité. En conséquence, les anticipations de marché sur la politique monétaire de la BCE devraient se stabiliser, limitant fortement le potentiel de baisse de la monnaie unique d’autant plus que les flux liés à l’appétit pour le risque restent favorables à l’euro. Par ailleurs, les taux à moyen terme ont augmenté et les actifs risqués libellés en euro sont stables. Une hausse de l’EUR/USD vers 1,40, voire au-delà, n’est donc pas à exclure à court terme.
De façon générale, une hausse supplémentaire et durable de l’euro pourrait accroître le risque d’une nouvelle baisse de l’inflation, d’autant plus que la croissance reste faible. Ainsi, une forte appréciation de la devise pourrait se traduire par une probabilité plus importante de voir la BCE adopter une attitude plus dovish. Les différents cours contre l’euro dépendent également de la situation dans les pays concernés. Les données macroéconomiques américaines de ces dernières semaines n’ont pas été à la hauteur des attentes des investisseurs qui ont révisé leurs anticipations de croissance américaine à la baisse (en dépit du fait que la faiblesse des données s’explique en partie par les mauvaises conditions météorologiques aux États-Unis). Bien que nous n’excluions pas que les données restent faibles à très court terme, nous continuons à penser que la reprise se poursuit aux États-Unis. Si ce scénario se vérifie, les anticipations sur l’évolution des taux directeurs américains devraient s’ajuster à la hausse, ce qui limiterait le potentiel de hausse de paires telles que l’EUR/USD.