par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
La zone euro est sortie de la récession au deuxième trimestre 2013, le PIB renouant avec une croissance positive après six trimestres de contraction. Plusieurs facteurs incitent à penser que la reprise repose sur des bases relativement solides. Sous l’effet conjugué du retour au calme des marchés financiers et du relâchement de la rigueur budgétaire, la demande intérieure a fini par se ressaisir. Pourtant la reprise reste inégale et fragile, comme la dernière baisse des indicateurs avancés est venue le rappeler. Compte tenu des contraintes que l’assainissement des finances publiques fait peser sur les politiques budgétaires, seule la politique monétaire peut donner le coup de pouce nécessaire.
La BCE n’a pas lésiné sur les moyens pour atténuer les effets de la crise. L’annonce du dispositif OMT (Outright Monetary Transactions) a, notamment, permis d’alléger les tensions sur le financement des Etats et convaincu de l’irréversibilité de l’euro. Cependant, l’orientation de la politique monétaire est désormais moins accommodante. Au-delà de la réduction des excédents de liquidités et de ses effets sur la politique monétaire1, l’appréciation de l’euro pèse également.
L’EUR/USD a récemment atteint le seuil de 1,38, un plus haut depuis deux ans. Depuis le point bas d’août 2012, la parité a enregistré un gain de 10 %. Il convient de noter que l’euro s’apprécie face à toutes les grandes devises : depuis août 2012, 40 % face au yen, plus de 22% face au dollar australien, près de 17% contre le dollar canadien et plus de 7 % vis-à-vis de la livre sterling. Le taux de change effectif nominal a ainsi grimpé d’environ 8 %.
Une telle évolution ne saurait être expliquée par la mise en parallèle des perspectives de croissance, a priori moins bonnes dans la zone euro, où le processus de désendettement et la fragmentation du marché du crédit constituent autant de freins pour l’activité. Elle tient d’abord à la réduction des tensions financières suite au lancement de l’OMT. De plus,2l.a0 situation de blocage politique aux Etats-Unis, concernant la dotat2io.5n budgétaire provisoire (continuing resolution) et le plafond de la3.0dette, a pesé sur le dollar. Enfin et surtout, l’orientation des politiques monétaires joue un rôle. Les banques centrales des autres grands pays développés ont adopté des politiques plus accommodantes que la BCE. Ainsi, aux Etats-Unis, la Fed ne devrait pas freiner ses achats de titres (QE3) avant la fin du premier trimestre 2014. Le bilan de la Banque du Japon a, quant à lui, sensiblement augmenté depuis la mise en place de l’Abenomics. En revanche, celui de la BCE n’a cessé de se contracter depuis la mi-2012. Or, une hausse prolongée du taux de change pourrait faire dérailler une reprise économique déjà fragile. Les conditions monétaires et financières sont devenues moins accommodantes avec l’ascension de l’euro et le regain de tensions sur les marchés financiers, qui a fait suite à l’annonce de la Fed au printemps d’un possible ralentissement de QE3 avant la fin de l’année.
Si elle venait à perdurer, l’appréciation de l’euro finirait par peser sur l’activité et les prix. La conjoncture Dix-Sept est en effet sensible aux variations des conditions monétaires et réclame encore d’être soutenue. Une analyse standard selon un modèle vectoriel autorégressif (VAR) montre qu’une hausse de 10 % du taux de change effectif nominal réduit l’inflation de 0,4 à 0,6 point de pourcentage au bout d’un an. La BCE prévoit actuellement une inflation à 1,3 % pour 2014, sur la base d’un EUR/USD à 1,33. Pour peu que l’euro gagne encore du terrain ou se stabilise aux niveaux actuels, les projections d’inflation devront être révisées en baisse. -On s’éloignerait alors encore un peu plus de l’objectif d’inflation de 2%.
La BCE devrait alors passer de nouveau à l’offensive (nouvelle baisse du taux « refi » ?) mais certainement pas dès la réunion du 7 novembre. En effet, si certains membres du Conseil des gouverneurs sont favorables à un geste sur les taux directeurs (au moins sur le « refi »), la majorité (ou, tout au moins, une minorité influente) reste réticente. Il convient de rappeler que les Etats membres n’ont pas tous la même sensibilité aux variations du change. Ainsi, l’Allemagne semble moins exposée que d’autres, la compétitivité de ses exportations étant davantage liée à la qualité des produits qu’à leur prix. En revanche, certains pays périphériques paient un tribut bien plus lourd au raffermissement de l’euro. Aussi sera-t-il difficile de trouver au sein du Conseil une majorité large et influente en faveur d’une baisse des taux directeurs.
NOTE
- Voir C. De Lucia, “La BCE conserve des munitions”, EcoWeek 25 octobre 2013.