par Jan Boudewijns, Senior Asset Manager Emerging Markets chez Dexia AM
La Chine est une puissance émergente et, quoi que l’on puisse dire, elle est le champion incontesté des idées reçues infondées. Pourtant, au cours de ces derniers mois, vitupérer la Chine a été le passe-temps favori des sphères politiques et économiques occidentales. L’échec de la Conférence de Copenhague attribué à Pékin, ainsi que les tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis, qui tiennent la sous-évaluation de la devise chinoise comme de plus en plus responsable des problèmes économiques américains, reposent en grande partie sur une interprétation erronée et surtout sur des divergences de vision et de conception culturelle et économique.
Le secteur des exportations est en effet très important pour l’économie chinoise, qui porte à juste titre le surnom de « l’usine du monde », et ce, surtout au niveau de l’emploi. La grande différence avec le Japon, autre champion de l’exportation, réside dans le fait que toute la chaîne de production est contrôlée au Japon. A l’inverse, la Chine effectue en grande partie des activités d’assemblage, ce qui implique des importations considérables et une contribution des exportations nettes relativement limitée. L’année dernière, les exportations nettes constituaient même un facteur négatif malgré la croissance du PIB de plus de 8 %. En effet, la croissance chinoise tient surtout aux investissements et au poids croissant de la consommation interne.
L’année dernière, la contribution des investissements, qui sont un moyen de compenser le ralentissement du secteur des exportations et de l’économie, était de loin la plus significative. Toutefois,contrairement à ce que l’on peut croire, les investissements ne visaient pas à augmenter la capacité de production, bien au contraire. Les activités de basse technologie, polluantes et énergivores sont réduites voire de plus en plus arrêtées. En revanche, les entreprises de haute technologie qui créent de la valeur bénéficient d’un soutien massif. L’accent a été mis principalement sur la réalisation de travaux d’infrastructure nécessaires (mais parfois accélérés) et sur le soutien du secteur immobilier (important pour l’économie et l’emploi).
Lors de la crise de l’année dernière, la priorité fut le maintien de la croissance économique. Par contre, les décisions politiques récemment prises par le Congrès national du peuple chinois, qui constituent déjà une préparation pour le prochain plan quinquennal qui débutera en 2012, visent clairement l’élaboration d’une structure économique de qualité et équilibrée et d’une « société harmonieuse ».
Les projets d’investissements « solides » dans l’immobilier et l’infrastructure, qui seront en grande partie « verts » par le biais d’investissements en énergies propres et dans la lutte contre le changement climatique, diminueront progressivement pour faire place aux investissements « doux » dans les soins de santé, la sécurité sociale et l’enseignement, ainsi que dans un soutien additionnel des régions rurales.
Il est tout à fait normal que le secteur immobilier ait connu au cours des derniers mois des fluctuations de prix spéculatives, en particulier dans les grandes villes. Toutefois, cela ne signifie pas que la Chine soit une grande bulle immobilière alimentée par le crédit. Lorsqu’on voit que les salaires présentent une évolution similaire au supérieure aux prix immobiliers, qu’environ un quart des achats immobiliers se font en espèces, et que les crédits éventuels sont limités à 60% pour l’achat d’une résidence secondaire, on peut difficilement parler d’un marché en surchauffe.
Dans ce contexte, on spécule constamment sur la faiblesse, voire l’effondrement imminent, du secteur bancaire, provoquée en partie par des quantités de créances douteuses que l’on soupçonne toujours substantielles (même si elles ont fortement diminué) et par les conséquences potentielles liées à l’octroi massif de crédits, entre autres aux autorités régionales. Bien que ces problèmes puissent affecter le secteur bancaire dans quelques années, il convient de partir du principe que l’autorité centrale contrôlera en fin de compte tant le secteur bancaire que les autorités régionales, ce qui réduit le risque sensiblement. En outre, la dette publique totale (niveau central et régional) est estimée à 50% du PIB. Ce chiffre est important, mais n’est pas vraiment préoccupante vu la conjoncture internationale. De plus, dans le secteur bancaire, La quantité de prêts s’élève à peine à 70 % de la totalité des dépôts. La quantité de créances douteuses est inférieure à 2% et a déjà été couverte par des provisions suffisantes. De même, le besoin en nouveaux capitaux est restreint, même pour satisfaire aux futures normes Bâle.
Les tensions croissantes actuelles entre les États-Unis et la Chine résultent notamment de l’inquiétude liée à l’incontestable glissement de pouvoir économique et géopolitique vers l’Extrême-Orient. Elles sont également issues d’une mentalité et d’une vision culturelle et économique sensiblement différentes. Les dissensions actuelles, et quasi annuelles, sur la réévaluation exigée par les États-Unis (et la plupart des pays développés) de la devise chinoise, le yuan (ou le renminbi), illustrent parfaitement cette situation. Le contrôle rigoureux et surtout la sous-évaluation de la devise chinoise déplaisent depuis longtemps au reste du monde. A part un effet négatif sur les exportations, une monnaie plus forte offrirait nombre d’avantages à la Chine. Pensons par exemple à la lutte contre l’inflation, la diminution des coûts d’importation et la hausse du pouvoir d’achat de la population.
A la suite des ventes d’armes à Taiwan très préoccupantes pour la Chine, la rencontre du président Obama avec le Dalaï Lama et la problématique de censure de Google, la politique monétaire de la Chine est la dernière cible en date. Le sénateur américain Schumer et quelques-uns de ses collègues ont déposé le projet de loi sur la surveillance des taux de change (The Currency Exchange Rate Oversight Reform Act). Comme à chaque fois, on attend aussi avec inquiétude pour le mois d’avril le rapport semestriel du Trésor américain sur la situation monétaire qui déterminera si la Chine pourra être considérée comme « manipulatrice de devises ». Voilà de quoi jeter davantage d’huile sur le feu.
La réaction récente du Premier ministre Wen laisse croire que la Chine « ne trouve pas cela amusant ». Tant les dirigeants chinois qu’américains sont entre le marteau et l’enclume. Il n’en faut plus beaucoup pour que la situation dégénère. Les États-Unis menacent entre autres de frapper les produits chinois d’une lourde taxe à l’importation. A première vue, cela poserait uniquement problème à la Chine. Toutefois, quand on sait que 50% des exportations chinoises proviennent d’entreprises étrangères qui exportent leurs produits bon marché depuis la Chine, et que Wal-Mart par exemple – la plus grande chaîne de distribution du monde importe plus de produits chinois qu’un pays européen moyen – cette sanction pourrait se retourner contre le consommateur américain déjà fortement pénalisé.
En outre, la Chine est le plus grand financier des États-Unis. En effet, elle possède une énorme réserve étrangère constituée de bons du Trésor américain (d’une valeur de plus de 2.500 milliards de dollars !). La Chine envisage apparemment de diluer le risque de ces réserves en dollar en achetant d’autres devises et/ou de l’or (l’or constitue à peine un petit 3 % des réserves totales, contre plus de 50 % pour la plupart des pays développés). Une accélération de cette tendance mettrait les Etats-Unis à mal, surtout maintenant, son endettement ayant été sensiblement gonflé par la crise financière. Ou comme le chantent si bien les Pussycat Dolls : “Be careful what you wish for, because you just might get it !.”