par Charles Bouffier, Directeur général délégué chez EGAMO
Les tendances à moyen terme des marchés financiers étant conditionnées par les évolutions macro-économiques fondamentales, les politiques monétaires (les discours, les décisions et les actes…) des Banquiers Centraux sont naturellement analysés attentivement par les gérants de mandats assurantiels, dans tous les cycles économiques et financiers.
Néanmoins, la crise financière puis économique séculaire qui a démarré en 2007 a encore renforcé l’attention portée par l’ensemble des acteurs de marché au comportement des Banques Centrales, considérées comme les détenteurs en dernier ressort d’une crédibilité mise à mal globalement par le scandale des Subprimes. Cette attention accrue augmente encore la responsabilité systémique des Banquiers Centraux, par le truchement d’une forme d’hyper-influence sur l’évolution des marchés à court terme.
Dans ce contexte, la doctrine de la Fed sous Mr Bernanke, fondée sur le principe d’une communication claire, prenant le contrepied de la célèbre formule de son prédécesseur Alan Greenspan « Si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé », semblait appropriée au rétablissement de la confiance dans le système financier. Cette confiance est irriguée par la crédibilité de la Banque Centrale. La crédibilité est issue à la fois de la constatation que celle-ci anticipe les évènements plus qu’elle ne les subit, et qu’elle fait ce qu’elle dit. « La doctrine Bernanke » est donc plus contraignante que « la pratique Greenspan » pour la Fed, mais c’est le prix à payer pour créer de la visibilité, et donc ne pas rajouter un risque de Banque Centrale aux autres risques, économiques, financiers et politiques. Ne pas créer un risque Banque Centrale est la condition sine qua non pour que l’attention portée à la Fed soit justement proportionnée au regard des autres facteurs que les marchés doivent aussi intégrer, de manière équilibrée.
Or, force est de constater qu’au cours de ces derniers mois, Mme Yellen ayant succédé à Mr Bernanke, la Banque Centrale américaine a semblé mettre en œuvre une communication pour le moins surprenante par rapport à ses prises de décisions effectives. Alors qu’elle avait préparé les marchés à une remontée de ses taux directeurs en septembre, celle-ci se fait toujours attendre. L’argument avancé par la Fed d’une situation peut être plus dégradée que prévu dans la zone émergente a certes été compris comme un signe de pragmatisme, mais aussi comme une forme de changement des règles au milieu de la partie. Il en résulte une situation étrange dans laquelle les mots désormais prononcés ont autant vocation à réparer les erreurs de communication (et de décision ?) passées qu’à préparer les décisions à venir. La crédibilité de la Fed, de ce point de vue, est entamée. Cette perte de crédibilité a été, pour partie, à l’origine du regain de volatilité constatée depuis la fin de l’été.
En zone Euro, la Banque Centrale Européenne, confrontée aux mêmes risques liés à l’environnement international a fait preuve à ce jour de davantage d’habileté. La BCE bénéficie certes de l’a priori favorable lié d’une part à l’efficacité de la formule fondatrice « Whatever it takes» de Mario Draghi, et d’autre part à la mise en place effective du QE, qui se déroule en conformité avec les objectifs annoncés en début d’année. Mario Draghi a souligné lors de sa dernière conférence de presse le 22 octobre les possibilités de renforcement en décembre du caractère déjà très accommodant de sa politique monétaire, en liaison avec des risques exogènes accrus, sans déstabiliser les marchés.
Ceux-ci avaient été prévenus dès l’origine du QE de son caractère modulable, en fonction des circonstances. La conjonction des discours adéquats prononcés au bon moment, des décisions et des actes conformes aux discours contribuent à la crédibilité de la BCE. Cette crédibilité bénéficie à l’ensemble de la zone Euro, tant à son économie qu’à ses marchés financiers C’est un précieux facteur de stabilité, dans un environnement international agité. La crédibilité de la BCE n’élimine pas les risques mais elle contribue à faciliter leur gestion efficace, en stabilisant l’environnement financier.
Alors que se profile la prochaine divergence (enfin !) des politiques monétaires entre les deux rives de l’Atlantique, la crédibilité de la BCE devrait permettre d’atténuer l’impact de la remontée des taux directeurs américains sur les courbes obligataires européennes. En contribuant ainsi à maintenir des taux d’intérêt à un niveau bas même s’ils remonteront un peu, tout en stabilisant de manière informelle et dans la mesure de ses possibilités, le taux de change de l’Euro/dollar, la BCE continuera de soutenir la lente reprise de l’économie de notre zone, valorisant ainsi à terme les actifs de diversification.
Bref, la crédibilité de notre Banque Centrale crée de la visibilité pour les acteurs économiques, financiers et politiques de la zone Euro. De ce point de vue, le successeur de Ben Bernanke est à ce jour bien plus Mario Draghi que Janet Yellen !