par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Les incertitudes de la rentrée se sont dissipées en quelques jours : les élections présidentielles américaines s’achèvent sur la promesse d’un scénario modéré et, surtout, la Covid-19 semble bientôt vaincue ! Les marchés l’ont rapidement acté. Reste à vérifier si cette nouvelle donne ne va pas modifier l’équilibre acquis ces derniers mois : les Banques Centrales seront-elles toujours en soutien avec des moyens illimités ? Les politiques budgétaires resteront-elles expansionnistes ? Les européens, globalement unis dans l’urgence de la crise, le resteront-ils dans la gestion de l’après… Il reste donc quelques questions, mais globalement, l’horizon est dégagé.
En l’espace de moins de deux semaines, les principaux marchés actions ont regagné pratiquement 20 %. Les grands indices, S&P 500, EuroStoxx 50, CAC 40… sont ainsi sortis à la hausse des marges de fluctuation dans lesquelles ils évoluaient depuis plusieurs mois, ce qui très positif à moyen terme. Le mouvement a été très rapide pour les raisons que l’on connaît, si bien que les indices sont désormais techniquement « sur achetés » à court terme. Des phases de consolidation ponctuelles sont probables. Il conviendra de les « acheter » car les investisseurs ont subitement été rassurés sur deux sujets majeurs :
Les élections présidentielles américaines
Le résultat n’était pas le plus probable, mais il apparaît finalement comme presque idéal : celui d’une victoire de Joe Biden, sans la majorité au Congrès puisque le Sénat a de bonnes chances de rester Républicain. La prochaine échéance électorale importante est le 5 janvier prochain, jour des élections pour le choix de sénateurs en Géorgie, État qui serait décisif pour départager les deux camps. Toujours est-il que ce scrutin laisse augurer un gouver- nement qui sera dans le compromis permanent. Un pro- gramme « dogmatique » a donc peu de chance d’être appliqué. De plus, ce qui est important, c’est que les ques- tions posées à la sortie des urnes montrent que l’économie est la préoccupation majeure des américains et que Donald Trump était le plus crédible sur ce sujet majeur. Les Ré- publicains ressortent ainsi quelque peu renforcés de cette élection et ils se montreront plus intransigeants sur les questions de dépense publique, surtout maintenant que nous entrons dans une ère « post Covid » et que l’écono- mie devrait avoir moins besoin de soutiens. L’adoption d’un plan de relance économique massif de plus de 2 500 Mds$, tel qu’il était envisagé par le nouveau Président, aura donc peu de chances de voir le jour. Par ailleurs, le caractère plus souple et moins abrupt de Joe Biden par rapport à Donald Trump est de nature à apaiser les relations internationales avec l’Europe et aussi, au moins dans le ton, avec la Chine alors que les États-Unis rejoindront aussi les accords de Paris sur le climat. Bref, un scénario presque idéal.
La Covid-19 et la question des perspectives économiques
Les perspectives économiques ont été sérieusement troublées par la nouvelle vague de l’épidémie en Europe et aux États-Unis qui s’est intensifiée ces dernières semaines. De ce point de vue, tout le monde a pu noter la différence de gestion de la crise entre les pays occidentaux et l’Asie en général, et particulièrement la Chine. Force est de reconnaître que cette épidémie a été globalement maîtrisée en Asie. Nos États ont été loin d’être exemplaires et clairs dans leurs directives de gestion de cette crise sanitaire, et, globalement, les populations n’ont pas adhéré. Cela démontre une fois de plus (après les nombreux mouvements « populistes » qui ont émaillé notre actualité depuis quelques années) qu’il y a dans nos sociétés une réelle fracture entre la population et les élites (notamment les politiques) qui nourrit des attitudes individualistes corporatistes et indisciplinées. Cela risque de poser un vrai problème à terme, quand cette crise de la Covid-19 sera passée et qu’il conviendra de réformer les pays afin de payer les factures de cette accumulation de dettes. Le chemin vers une gestion plus saine des finances publiques sera compliqué et pourra créer de réelles différences de vues entre les pays.
Reste que les perspectives économiques vont très certainement s’améliorer nettement en 2021 avec l’apparition de ce vaccin. Les dernières estimations publiées récem- ment par les principaux instituts de prévision internationaux sont désormais caduques. La reprise qui avait suivi la phase de déconfinement a été stoppée par les nouveaux confinements décidés un peu partout en Europe et aux États-Unis. C’est dommage car les chiffres de croissance du 3e trimestre étaient globalement très bons, ce qui montre la capacité de rebond assez forte des économies. La perspective nouvelle de disposer d’un vaccin fiable va relancer les espoirs de reprise rapide, même si des contraintes logistiques vont se poser et retarder les déconfinements. La mise sur le marché du nouveau vaccin créé par les deux opérateurs Pfizer et BioNTech prendra un peu de temps : ils annoncent pourtant une production de 50 millions de doses d’ici la fin de l’année et 1,3 milliard en 2021, mais les conditions de transport et de stockage (grand froid) nécessitent des infrastructures adaptées.
Néanmoins, la découverte de ce vaccin devrait accélérer la reprise et nous pouvons espérer une croissance un peu supérieure aux estimations actuelles, donc atteindre des taux de croissance de l’ordre de 4 à 5 % aux États-Unis et de 6 % en zone Euro. La croissance chinoise était déjà reve- nue en rythme de croisière à son niveau d’avant crise. Elle pourrait dépasser le taux de 8 % attendu en 2021 si les autres pays partenaires commerciaux accélèrent plus que prévu.
Cette nouvelle donne, très positive dans une perspective moyen terme, pose toutefois quelques questions. Nous passons en quelque sorte d’une situation de gestion d’urgence de la crise, à une projection vers un monde « post Covid ». Nous avons évidemment encore peu d’éléments sur ces sujets, la découverte du vaccin étant très récente, mais il conviendra de suivre attentivement deux principaux sujets :
Les banques centrales
Elles ont « fait le job » une nouvelle fois durant cette crise. Elles ont adopté des politiques pragmatiques de taux très bas et de soutien aux marchés obligataires, et communiqué clairement, soulignant à plusieurs reprises que leurs moyens étaient potentiellement illimités. Nous avons la conviction que leurs politiques resteront accommodantes, même en sortie de crise. En effet, les dettes, gouvernementales et privées, qui ont fortement augmenté, nécessitent le maintien de taux d’intérêt très bas. À ce stade, c’est la charge de la dette qui compte plutôt que le stock, devenu très important. Une remontée des taux serait dévastatrice. En conséquence, même si le contrôle de la courbe des taux ne figure pas dans leurs missions, elles feront probablement en sorte que les taux d’intérêt obligataires ne remontent pas fortement.
Les gouvernements et les plans de relance
Dans une perspective où l’économie redémarrera rapide- ment avec un vaccin, il sera plus délicat de mobiliser des capitaux publics massifs pour un soutien économique car il n’y aura peut-être plus autant de consensus. Par exemple, certaines tensions pourraient ressurgir en zone Euro sur la gestion des finances publiques alors que se profilent des élections générales en Allemagne à l’automne 2021. Les divergences de vue et d’analyse pourraient ressurgir et mettre à l’épreuve le revirement allemand qui avait rassuré les investisseurs internationaux lorsque le pays avait donné son accord à la première émission obligataire au nom de la Commission européenne pour financer le plan de relance. L’unité retrouvée au sein de la zone Euro serait ainsi mise à l’épreuve alors que le plan de relance, qui avait été décidé de 750 Mds€, n’a pas encore été mobilisé.
Taux d’intérêt : les Banques Centrales resteront-elles aussi pro-actives ?
C’est la question clé. Une remontée intempestive des rendements obligataires à long terme serait très pénalisante pour le financement des États et pèserait lourdement sur la valorisation de tous les actifs, et particulièrement sur celle des actions de croissance. Depuis quelques jours, les taux longs se sont logiquement tendus dans la perspective d’une amélioration économique : le rendement des T-Notes américain à 10 ans a repris environ 50 points de base depuis les plus bas niveaux de l’été et se stabilise pour l’instant à moins de 1,00 %. Même chose pour le Bund allemand, mais dans des proportions bien moindres, le rendement passant de près de -0,65 % à -0,45 %. Le rythme de cette remontée et son ampleur seront suivis très attentivement par les Banques Centrales. Des mouvements de marché trop brusques les inciteraient à agir. Une forte tension nous semble ainsi peu probable, la Fed ayant déjà largement communiqué sur le maintien des taux directeurs à 0 % jusqu’en 2023 et le rythme d’achat d’obligations se pour- suit au rythme de 120 Mds$ par mois. Dans ces conditions, nous pensons que les rendements obligataires américains pourraient progressivement atteindre la zone de 1,00 % à 1,25% dans les prochains mois aux États-Unis, mais guère plus de manière durable. En ce qui concerne le Bund, nous voyons une légère tension à terme jusqu’aux alentours de -0,30 %.
Les spreads de crédit se sont également nettement réduits lors des dernières séances. Il y a peu de potentiel de resserrement supplémentaire à ce stade. Nous conservons une appréciation positive sur les obligations « Investment Grade » court terme pour les placements de trésorerie longue. Les obligations « High Yield » restent intéressantes pour le surcroît de rendement offert, avec des risques raisonnables dans une perspective de redressement économique. Les obligations émergentes en monnaies locales sont également intéressantes dans un portefeuille : elles offrent une bonne diversification car elles sont décorrélées des autres marchés du fait de l’évolution des monnaies sous-jacentes, qui dans l’ensemble semblent sous-évaluées après une année difficile. Le rendement d’un portefeuille d’obligations gouvernementales émergentes en devises locales est de l’ordre de 5 % pour une maturité de l’ordre de 5 ans. Il convient également d’y ajouter des obligations chinoises en Yuans. Les marchés chinois sont en train de se décorréler des autres marchés occidentaux : la Chine suit une voie économique de plus en plus centrée vers le marché intérieur, la monnaie nationale va devenir une monnaie de réserve internationale et le rendement à 10 ans est de l’ordre de 3 %, bien supérieur aux titres correspondants américains et européens. Bref, l’ajout d’obligations gouvernementales chinoises rend un portefeuille plus robuste.
Dans le même ordre d’idée de diversification, le repli actuel de l’or constitue une bonne opportunité pour constituer des positions dans une optique moyen terme. L’or bénéfice du contexte de taux réels négatifs et permet de couvrir plusieurs scénarios de risque, comme celui d’une reprise inattendue de l’inflation.
Actions : le temps des valeurs sur le thème de la « réouverture » est venu
Les grandes valeurs technologiques au sens large ont, ces derniers mois, bénéficié des confinements qui ont accéléré la vie « online » au détriment de la vie « physique ». Des secteurs comme les transports, le tourisme, la restaura- tion, l’industrie des spectacles, les pétrolières… ont ainsi été délaissés par les investisseurs. Un rattrapage apparaît désormais possible, surtout que les écarts de valorisations avaient atteint des niveaux extrêmes, sans qu’il y ait non plus un excès global. Le PER(1) 2021 de l’indice Nasdaq s’établit ainsi à 29 actuellement contre 21 pour l’indice S&P 500. Le chiffre d’affaires des entreprises de la technologie représente 17 % de PIB américain, contre moins de 10% il y a 10 ans et ce secteur représente 27% de la capitalisation de l’indice S&P 500. Durant la bulle technologique de 2000, il représentait 35 % de l’indice contre seulement 7 % du PIB. La tendance de long terme nous semble ainsi plutôt en faveur des valeurs de croissance. Mais à court terme, les investisseurs vont probablement se repositionner sur les valeurs « value/ cycliques », particulièrement sur les secteurs du thème de la réouverture sur lesquels ils étaient nettement sous-pondérés dans l’ensemble.
Plus globalement, les prévisions de croissance de bénéfice attendues pour 2021 (de l’ordre de 25 % aux États-Unis et de 45 % en zone Euro) regagnent du crédit dans un scénario de sortie de la Covid-19. À moyen terme, il n’y a pas beaucoup de classes d’actifs liquides aux perspectives aussi attrayantes que les actions. En admettant que les bénéfices des entreprises pourraient à terme doubler d’ici 7 ans, ce qui est très possible compte tenu de la performance historique des entreprises, nous aurions donc des bénéfices agrégés des entreprises composant l’indice S&P 500 de l’ordre de 300 USD dans quelques années et de 35 euros pour l’indice Eurostoxx large. Dans un monde où les taux resteront bas pour long- temps, un PER de 20 pour les indices actions serait cohérent, ce qui donnerait un indice S&P 500 à près de 6 000 points et un indice Eurostoxx large à 700, contre des niveaux respectifs de 3 270 et 338 actuellement… sans compter les dividendes versés en plus et qui sont de l’ordre de 2 % sur les actions américaines et de 3 % en Europe.
Notre scénario central
Après plusieurs mois d’évolution sans grande tendance, les marchés sont repartis franchement à la hausse sur les principales classes d’actifs. Les dernières incertitudes qui pesaient sont levées et nous sommes entrés très rapidement dans le monde post-Covid. Cette transition pose quelques questions, notamment sur le niveau des taux d’intérêt, ce qui est très important car c’est un point d’ancrage pour la valorisation de tous les actifs.
Nous sortons de cette terrible crise avec un stock de dettes encore plus énorme, mais les perspectives de reprise sont encourageantes et les entreprises devraient reprendre une sorte de cours normal de développement, même si cette crise a encore accentué l’essor de la vie « online » et mis en lumière la nécessité d’un développement durable.
Avec un horizon plus dégagé, il est désormais temps d’adopter pro- gressivement des stratégies d’investissement moins défensives en accompagnement de phases plus volatiles qui ne manqueront pas de se produire.
NOTES
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : ratio de cours divisé par le bénéfice.