par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Ostrum AM
J’ai fait en début de semaine un post évoquant la dette publique française proche de 100%. Cette note a provoqué de nombreuses réactions sur lesquelles j’aimerais revenir.
1 – Dans ce post j’évoquais effectivement la dette publique française proche de 100% mais je m’inquiétais davantage de la dette privée des entreprises non financières et des ménages. Les réactions n’ont porté que sur la dette publique mais pas du tout sur la dette privée dont le niveau est aujourd’hui franchement préoccupant.
Mesurées sur une échelle comparable (en % du PIB), la dette privée est supérieure à la dette publique et son allure, portée notamment par les entreprises, indique une progression bien plus rapide que la dette publique. A la fin du 1er trimestre 2018, sur un an, elle est en hausse de 4.3% contre 2.2% pour la dette publique.
La différence majeure entre les deux types de dette est que la dette publique peut être restructurée avec des émissions très longues et l’Etat a aussi la capacité reconnue de lever l’impôt. Les ménages et les entreprises n’ont aucune de ces capacités. La dette privée est donc plus contraignante car sa charge est pour chacun des agents privés très dépendante de la situation présente. Un choc négatif est très pénalisant pour le secteur privé et c’est pour cela que j’évoquais le rôle de la dette publique susceptible d’amortir le choc et de ne pas faire porter tout l’ajustement sur le secteur privé.
La dette privée progresse plus rapidement que la dette publique. C est une source d’interrogations sur la capacité du secteur productif français à générer des gains de productivité pour alimenter la rentabilité des entreprises et la distribution de revenus plus élevés.
2 – Il y a un doute, dans les remarques qui me sont faites, sur le rôle de la dette publique comme actif permettant de transférer sa richesse dans le temps.
Pour se convaincre de ce point, il suffit d’observer que l’assurance-vie est le placement préféré des français (voir ici). Selon les chiffres de l’ACPR, l’encours de l’assurance-vie était de 1849 milliards à la fin 2016 dont 1545 en fonds en euro (83%). Or le support des fonds en euros c’est principalement de la dette publique. En d’autres termes, la dette publique est effectivement ce qui permet aux ménages français de transférer leur épargne dans le temps.
Les fonds en UC (unités de compte) investis sur des actifs risqués ne représentent que 17%. La dette publique est donc l’actif sans risque qui permet de transférer sa richesse dans le temps. Les français ne souhaitent pas prendre des risques trop importants sur leur épargne.
3- La baisse des taux d’intérêt a fait chuter le montant des dépenses d’intérêt par l’Etat. Le graphe montre que les dépenses d’intérêt par l’Etat représentent aujourd’hui un peu moins de 2% du PIB (1.8%). C’est un chiffre qui retrouve le niveau constaté au début des années 80.
Depuis le début de l’année 2018, le coût moyen de la dette publique à l’émission est de 0.54% ce qui est très faible. Cela tire vers le bas les montants des intérêts qui seront payés dans le futur. Par ailleurs, la durée de vie moyenne de la dette publique est de presque 8 ans (7 ans et 325 jours (source Agence France Trésor)). Cela veut dire qu’une hausse des taux d’intérêt ne se diffusera que lentement dans les intérêts qui seront versés par l’Etat. Cela ne jouera que sur les flux nouveaux et pas sur les stocks qui sont à taux fixes en grande partie. En conséquence, une remontée des taux d’intérêt ne provoquera pas une ponction immédiate sur le budget.
4 – Un point à souligner encore qui que la dette publique ne diminue pas lorsque la croissance est forte. C’est ce point qui pose problème.
Lorsqu’à la fin des années 90, le taux de croissance de l’économie était très fort, la dette publique n’a pas diminué. C’est à ce moment là qu’il fallait faire des politiques d’austérité.
C’est la même chose en 2006/2007. C’est à ce moment là que les politiques budgétaire retrouvent des marges de manœuvre, pas lorsque la situation conjoncturelle est dégradée.
Ce qui est intéressant dans la phase actuelle est que la dette publique ne progresse qu’à un rythme réduit en dépit d’une croissance limitée. La maîtrise des finances publiques se constate sur ce graphe. Depuis 2012, l’expansion de la dette publique se réduit alors que la croissance du PIB nominal est réduite. Elle n’évolue plus en fonction du cycle économique contrairement à ce qui était observé avant la crise de 2008. C’est une vraie différence.
5 – Parce que je n’ai pas d’hostilités particulières vis à vis de la dette publique que je considère comme une source de mutualisation des chocs et du risque macroéconomique, je suis catalogué comme keynésien.
Je revendique ce côté keynésien. Keynes pensait simplement, au contraire des néoclassiques, que tous les paramètres de l’économie ne s’ajustaient pas spontanément. Je crois qu’il avait raison et qu’il faut parfois aider ses paramètres pour que la situation globale s’améliore. C’est ici que l’Etat doit avoir la capacité à intervenir. Ce n’est pas l’interventionnisme systématique de l’Etat qui caractérise la France centralisée. Il faudrait pouvoir dissocier ces deux éléments pour être honnête.
Je revendique aussi la filiation avec Aristote pour qui aussi la dette publique permettait de mutualiser les chocs (les guerres en l’occurrence). Il mettait ainsi l’accent sur la problématique majeure en macroéconomique qui est celle de l’accommodation à un choc (négatif).