La reprise au Japon laisse entier le problème de la dette

par Hervé Lievore, stratégiste chez Axa IM

Au deuxième trimestre, l’économie japonaise est sortie de sa pire récession de la période d’après-guerre. Mais s’agit-il d’un phénomène durable ou d’une simple rémission qui ne doit pas masquer la faiblesse chronique du pays ? Les élections qui se dérouleront le 30 août laissent présager une alternance à la tête du pouvoir.

Mais quel que soit le résultat du scrutin, de quelles marges de manœuvre disposera le futur gouvernement pour inverser la montée inexorable de la dette publique ?

Une sortie de crise relativement précoce mais fragile

Après quatre trimestres consécutifs de récession, l’économie japonaise a affiché une croissance de son PIB de 0,9% au deuxième trimestre par rapport au trimestre précédent. Le commerce extérieur a contribué à hauteur de 1,3 point de pourcentage (hausse du volume des exportations et baisse de celui des importations). Le commerce avec l’Asie a généré à lui seul 78% de la hausse du solde commercial entre le premier et le deuxième trimestre. La contribution de la demande publique a été bien plus modeste, à seulement 0,3pp. Enfin, la demande privée, en retirant 0,9 point de pourcentage, demeure déprimée malgré le sursaut de la consommation. Une fois encore, le sort de l’Archipel semble reposer sur le reste du monde et les mesures de stimulation économique mises en œuvre par le gouvernement n’ont eu, pour l’heure, que peu d’impact sur les moteurs internes.

Une autre source de fragilité de la reprise japonaise est son caractère « mécanique ». Plus la chute de la production a été forte après la faillite de Lehman, plus le redémarrage de l’activité manufacturière a été impressionnant et précoce.

Une partie de la dynamique observée au deuxième trimestre provient donc de la normalisation des marchés financiers qui a suivi les mesures draconiennes mises en œuvre aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro.

De son côté, la Banque du Japon a beaucoup communiqué, beaucoup annoncé mais n’a finalement guère agi. Alors que la taille des bilans des autres banques centrales progressait de manière parfois spectaculaire, celui de la banque centrale nippone stagnait, voire diminuait. Une telle attitude est d’autant plus surprenante que le Japon est confronté à la fois à de fortes pressions déflationnistes (le déflateur du PIB s’est contracté de 1,1% au deuxième trimestre) et à un taux de change particulièrement pénalisant face au dollar (et donc face au renminbi).

L’instabilité à la tête de l’exécutif n’a sans doute pas aidé à la mise en place d’une politique économique plus volontariste et cohérente. En quatre ans, le Japon a connu quatre Premier Ministres et la tenue des élections législatives le 30 août prochain laisse augurer un nouveau changement, plus radical cette fois-ci.

Le programme du DPJ, plus convaincant sur les dépenses que sur les recettes

Les sondages donnent en effet vainqueur du prochain scrutin le principal parti d’opposition, le DPJ1. Le programme du DPJ se présente comme une rupture plus ou moins radicale avec la pratique du pouvoir mise en place par le LDP au cours de son demi-siècle de règne.

Deux axes essentiels structurent ce programme :

  • Une redistribution du pouvoir de la haute administration vers le pouvoir politique : les postes clés ne seraient plus attribués à des fonctionnaires mais à des élus et la pratique de l’amakudari (passage de fonctionnaires dans des entreprises dont ils assuraient auparavant la tutelle) serait bannie. L’objectif est de mettre en œuvre plus efficacement les décisions du gouvernement.
  • Une réorientation des moyens budgétaires favorable à la qualité de vie et à la natalité. Chaque année, l’Etat dépensera 5 500 mds JPY (42 mds EUR) en revenus directs aux ménages avec enfants. Avec les autres mesures promises (gratuité de l’enseignement secondaire public, suppression des péages, amélioration du service de santé, subventions aux agriculteurs, etc.) les dépenses devraient atteindre entre 14 000 mds JPY et 16 000 mds JPY par an d’ici 2013.

Les mesures favorables à la natalité sont cohérentes avec une politique de renforcement de la croissance potentielle du pays. Le vieillissement démographique et le recul de la population sont en effet au cœur de l’atonie économique et de la déflation que connait le Japon depuis une vingtaine d’années. Toutefois, on peut s’interroger sur le financement de ces dépenses. Le DPJ souhaite financer son programme par la fin des « gaspillages » budgétaires, essentiellement les grands programmes publics et, de manière plus surprenante, les subventions aux entités publiques et parapubliques. En outre, le gouvernement puiserait dans les « trésors enfouis », ces comptes spéciaux qui demeurent sous utilisés, et procéderait à une refonte fiscale. S’il existe bien des marges de manœuvre de manière ponctuelle, il est difficile de les considérer comme récurrentes (notamment les grands projets et les fonds spéciaux). Or, il s’agit bien de financer des dépenses qui seront reconduites tous les ans.

Sur ce point, le DPJ se refuse à envisager une hausse de la TVA dans les quatre prochaines années (c’est l’un des principaux points de divergence avec le LDP) notamment afin d’éviter de casser une croissance encore fragile.

Des marges de manœuvre budgétaires de plus en plus réduites

Mais par delà le mode de financement des mesures nouvelles, les choix du futur gouvernement, quel qu’il soit, seront contraints par un facteur relativement nouveau mais structurel : le coût de la dette.

De 1990 à 2005, l’encours de dette obligataire du gouvernement japonais a progressé de manière exponentielle, passant de 170 000mdsJPY à 530 000mdsJPY. Dans le même temps, les intérêts payés par le gouvernement se sont contractés, passant de 11 000 mds JPY à 7 000 mds JPY.

Pendant toute cette période, le gouvernement a pu refinancer sa dette à un coût sans cesse décroissant grâce à la baisse des taux, dont les effets se sont fait sentir même après la stabilisation des taux intervenue après 1998. Mais depuis 2007, cet amortisseur ne joue plus et la charge d’intérêt s’accroit rapidement, d’environ 1 000 mds JPY par an et devrait atteindre, selon les prévisions budgétaires, 9 400 mds JPY au terme de l’exercice fiscal 2009, soit près de 25% des recettes fiscales. Par ailleurs, la part des dépenses liées à la protection sociale ne cesse de progresser avec le vieillissement de la population.

En outre, le Japon se trouve dans une situation peu enviable où la dette en pourcentage du PIB s’autoalimente. Cet effet boule de neige se produit lorsque le taux d’intérêt payé sur la dette est supérieur au taux de croissance nominale du pays. L’enjeu pour le Japon est donc de parvenir à renforcer son potentiel de croissance tout en évitant la hausse des taux d’intérêt, seule solution pour résorber le fardeau de la dette. Malheureusement, une telle stratégie, si elle était mise en œuvre, mettrait plusieurs années avant de produire ses effets.

Conclusions

Le retour de la croissance au Japon s’explique essentiellement par des facteurs exogènes comme le redémarrage rapide des économies asiatiques et une tendance au restockage dans le secteur manufacturier dont les effets seront de courte durée.

Ainsi, l’économie japonaise devrait accompagner la reprise mondiale plutôt qu’en être un acteur dynamisant. En effet, la faiblesse des moteurs internes privés ne se dément pas et les mesures prises jusqu'à présent pour renforcer la croissance de manière endogène ne sont guère concluantes. Quel que soit le vainqueur du scrutin du 30 août prochain (renouvellement de la chambre basse du Parlement), l’action du nouveau gouvernement sera contrainte par l’étroitesse des marges de manœuvre.

La hausse de la TVA, pour l’heure taboue en raison du manque de dynamisme de la consommation, va nécessairement devoir être envisagée à moyen terme.

NOTES

  1. Parti Démocrate du Japon, fondé en 1996 par des contestataires du LDP (Parti Libéral Démocrate).