par Didier Borowski, stratégiste chez Amundi AM
Au cours des 20 dernières années, le développement de la titrisation a permis une expansion sans précédent de la distribution de crédit aux ménages américains (crédits immobiliers, à la consommation, prêts étudiants…). Mais avec la crise financière, le marché de la titrisation s’est effondré et ne doit en définitive sa survie qu’au soutien de la Fed. L’opacité des produits vendus a servi de terreau aux actes délictuels qui retiennent aujourd’hui l’attention. Elle a, en outre, nourri la défiance des investisseurs qui, « trompés sur la marchandise », réclament aujourd’hui davantage de transparence.
Le 7 avril, la SEC – gendarme de la bourse américaine – a présenté un projet ambitieux de réglementation de l’ensemble des produits titrisés (ABS) qui change la donne. Et « l’affaire Goldman Sachs » vient à point nommé soutenir le camp des réformateurs.
Un bilan mitigé pour le TALF de la Fed
Les émissions d’actifs titrisés ont fondu depuis la mi-2007. De plus, la plupart des créances titrisées en 2009 l’ont été grâce au TALF (Term Asset-backed Securities Lendind Facility), une facilité temporaire introduite par la Fed en février pour rétablir la capacité de distribution de crédit des banques en aidant les investisseurs à acquérir des titres adossés à des actifs. Ce programme a certes permis de ranimer la titrisation pour les cartes de crédit, les prêts automobiles et les prêts aux étudiants. Mais la titrisation des créances immobilières est restée au point mort. Or le TALF s’est éteint comme prévu à la fin du mois de mars et les premiers éléments dont on dispose montrent que les émissions d’ABS sont en train de retomber en avril. En outre, les établissements financiers parviennent de moins en moins facilement à se refinancer en émettant des papiers commerciaux adossés à des actifs (ABCP) : l’encours des ABCP est tombé au plus bas en avril, à moins de $400 Mds (contre 700 Mds il y a un an).
Ces évolutions sont préoccupantes dans la mesure où la titrisation procure des avantages qui ne sont pas remis en cause : coût de financement de la dette plus faible pour l’émetteur et l’emprunteur, augmentation des volumes de crédits disponibles, meilleure dispersion des risques, etc. Une étude1 réalisée par l’ASF donne quelques ordres de grandeur de ses bienfaits.
Entre 1990 et 2006, une hausse de 10% de la part des crédits titrisés a permis une baisse du coût du crédit comprise 8 et 64pb pour les prêts automobiles et les cartes de crédit, entre 4 et 38pb pour les prêts immobiliers. L’étude démontre par ail-leurs qu’une augmentation de 10% des achats de titres adossés à des créances immobilières a stimulé l’offre de crédit de 6,4%.
La réforme proposée par la SEC…
Pour relancer durablement la titrisation, il manque cependant un ingrédient essentiel : la confiance des investisseurs. Le projet de la SEC tombe à pic dans la mesure où il vise à assainir les pratiques. La réforme proposée s’articule autour de deux axes. Premier axe : il s’agit d’améliorer la transparence des actifs sous-jacents. De nouvelles informations seront fournies, notamment concernant les flux de trésorerie qui leur sont associés. Les investisseurs disposeraient en outre d’une période de 5 jours pour mener leur propre analyse avant de s’engager. Le second axe consiste à responsabiliser davantage les émetteurs en les contraignant notamment à provisionner leur bilan de 5% du montant des titrisations vendues. La SEC espère ainsi les inciter à mettre en place des procédures de contrôle interne plus strictes. En contrepartie, les agences de notation verraient leur rôle amoindri, la note « investment grade » n’étant plus un pré-requis à l’autorisation de la SEC de mise sur le marché.
…condition nécessaire au redémarrage du crédit
La réforme s’impose car avec le redémarrage de l’économie, la demande de crédit va repartir. Or en l’absence d’intérêt des investisseurs pour les produits titrisés, les banques américaines risquent de n’être pas en mesure de libérer, au bilan, le capital nécessaire pour satisfaire cette demande. D’une part, parce qu’elles n’ont pas fini d’apurer leurs comptes. Les estimations de dépréciations et provisions pour pertes effectuées par le FMI ont certes été revues en baisse de $1025 Mds (octobre 2009) à $885 Mds (avril 2010) ; mais ce dernier montant demeure supérieur de quelque $160 Mds à ce qu’elles ont déjà provisionné. D’autre part, parce qu’elles restent fragilisées par leurs portefeuilles d’actifs adossés à des créances immobilières.
En définitive, le canal du crédit menace de rester grippé si les conditions d’une titrisation assainie ne sont pas mises en place. L’enjeu est de taille car, en l’absence d’une distribution de crédit suffisante, la consommation ne serait pas en mesure de prendre durablement le relais des mesures de stimulation budgétaire dont l’impact va aller s’amenuisant. La réforme de la SEC, en rassurant les investisseurs sur la qualité des produits achetés, peut ranimer la demande du secteur privé pour les ABS. Il en résultera sans doute un coût du crédit structurellement plus élevé, mais la transparence et la confiance sont à ce prix.
NOTES
- “Study of the Impact of Securitization on Consumers, Investors, Financial Institu- tions and the Capital Markets”, F. Sabry & C. Okongwu, American Securitization