Faut-il s’inquiéter pour l’Espagne ?

par Jésus Castillo, économiste chez Natixis

La crise des dettes souveraines qui a commencé par la Grèce, se propage rapidement vers le Portugal et est en train de toucher progressivement les obligations espagnoles. Certes, l’écartement des spread des titres espagnols contre les titres Allemands n’a pas atteint la même ampleur que dans le cas de la Grèce, mais les préoccupations sont grandissantes. Y-a-t-il matière à s’inquiéter ?

Selon l’agence de notation Standard & Poor’s la réponse est positive. La principale raison de s’inquiéter de la situation espagnole tient à la faiblesse de la croissance au cours des prochaines années. Si dans le cas Grec, la crise peut être qualifiée de crise de liquidité en ce sens où elle peut s’interpréter comme une impossibilité temporaire d’accéder aux marchés de capitaux, dans le cas espagnol on peut se demander s’il n’y pas un problème de solvabilité plus grave, bien que pour le moment le pays se finance presque normalement sur les marchés. La différenciation entre crise de liquidité et de solvabilité est essentielle. Dans le premier cas (celui de la Grèce), le soutien des autres pays de la zone euro et du FMI via des prêts bilatéraux a du sens, à condition que l’on estime le pays capable de consolider ses finances publiques.

Or, même si le pays a plutôt montrer le contraire au cours des dix dernières années, le plan d’austérité mis en place a hauteur de 6,2 points de PIB cette année, même s’il ne sera pas suffisant, mettra le pays sur la voie du redressement. D’autant que de nouvelles mesures d’austérité sont attendues dans les prochains jours. Dans le second cas, le soutien via des prêts bilatéraux n’a pas de sens si le pays n’est pas capable de suffisamment consolider ses finances publiques pour assurer la soutenabilité de la dette. Or, en Espagne, il y a un problème de solvabilité. Le déficit actuel est certes dû au plan de relance mis en place l’année dernière mais aussi à la forte réduction d’un ensemble de produits fiscaux. Les recettes abondantes liées à la croissance forte de 2000 à 2007 (TVA, impôts sur le revenu, taxe sur l’immobilier) ont partiellement disparu avec l’éclatement de la bulle immobilière alors que les dépenses nouvelles qui ont été mises en face sont devenues pérennes. Enfin, la crise immobilière, le chômage élevé qui en résulte, le processus de désendettement des ménages et une compétitivité extérieure dégradée laissent aujourd’hui l’Espagne sans véritable ressort en termes de croissance. En l’absence de perspectives d’un retour à une croissance soutenue la réduction du déficit public et de la dette publique va s’avérer extrêmement délicate.

Le gouvernement espagnol se trouve ainsi face à un dilemme de taille. D’une part, la restauration des équilibres budgétaires voudrait que de nouvelles mesures de consolidation soient mises en place. Le plan actuel d’austérité prévoit la réduction du déficit de 1,8 point de PIB cette année et de 2,3 points l’an prochain, avec un objectif de déficit de 3% à l’horizon 2013 (contre 11,2% en 2009). Mais, d’autre part, la croissance faible attendue au cours des prochaines années (-0,3% en 2010 et 1,8% en 2011 selon le gouvernement, -0,8% et 0,9% respectivement selon nos propres projections) pourrait se dégrader encore plus, avec davantage d’austérité, ce qui hypothéquerait les efforts de redressement. Enfin, ne rien faire serait catastrophique en raison de la pression qu’exercent aujourd’hui les marchés financiers sur les coûts de financements des dettes publiques des pays d’Europe du Sud.

En outre, dans le cas de l’Espagne il est difficile d’imaginer un plan d’aide du type de celui qui est en cours de mise en place pour la Grèce, en raison des sommes qu’il serait nécessaire de mobiliser. En effet, la dette espagnole représentera près de 665 milliards d’euros en 2010 et son besoin de refinancement de l’ordre de 62 milliards d’euros par an, soit une taille nettement plus importante que le montant nécessaire pour soutenir la Grèce. L’issue la plus probable semble donc être le renforcement des mesures d’austérité qui garantirait davantage de crédibilité à moyen terme des équilibres budgétaires dans le cadre des règles européenne de stabilité budgétaire. Même si le coût en termes de croissance sera important, le chemin que prend la résolution de la crise grecque laisse penser que les états de la zone euro ne pourront plus continuer à ignorer des règles d’orthodoxie budgétaire plus strictes. Car c’est bien à cette condition que l’aide à la Grèce sera accordée !

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