par Eva Balligand, Gérante de VEGA Grande Asie et VEGA Emerging chez Vega IM
Le début de cette semaine a été marqué par la divulgation des produits chinois concernés par la hausse de 25 % des tarifs douaniers américains. En soi, cette liste ne cible qu’une partie infime des exportations chinoises à destination des États-Unis, 34 milliards de dollars sur un total de 505 milliards sur 2017. Face à la réponse de la Chine de taxer une partie des exports américains, le Président Trump a surenchéri en demandant l’élaboration d’une nouvelle liste concernant cette fois près de 200 milliards, ce qui équivaut à surtaxer, au global, près de 50 % des produits chinois importés.
Avant l’arrivée de Xi Jinping à la tête du Parti Communiste Chinois, les entreprises chinoises étaient perçues comme « l’usine du monde ». Dorénavant, la montée en gamme chinoise est indiscutable et les objectifs énoncés dans le rapport « Made in 2025 » risquent de changer la donne au niveau mondial. Si la Chine exporte principalement vers le consommateur américain des produits « high tech », la majorité des exportations américaines sont bien plus tournées vers les entreprises chinoises, avec en tête de liste les avions civils, les machines industrielles et les produits chimiques. De plus, avec seulement 130 milliards de dollars de produits américains importés par la Chine, la marge de manœuvre commerciale n’est pas la même, d’autant que, tendanciellement, le montant de ces exports a tendance à se réduire au profit des autres pays émergents et peut être demain à celui de l’Europe.
Trois « angles d’attaque »
Si la Chine continue de répondre poliment aux attaques américaines, en rendant juste la pareille sur le plan commercial, on observe un changement de ton au niveau financier. La nomination de Liu He, homme de confiance du leader chinois, en qualité de vice-Premier ministre en charge des dossiers économiques et financiers, est loin d’être hasardeuse. Le rapport de force entre la Chine et les États-Unis est également financier à plus d’un niveau. On dénombre 3 angles de riposte : le change, le pourcentage de détention d’obligations américaines et l’importance croissante de ces sociétés chinoises qui ont, par le passé, préféré être cotées sur New York Stock exchange (American Depositary Receipt).
Vers une zone yuan
Grace à cette volonté farouche d’ouvrir son marché financier et à une multitude d’actions menées depuis 2014 afin d’obtenir la reconnaissance de la « planète financière », le gouvernement chinois est en phase de réussir un véritable tour de force au niveau de sa devise, le yuan ou renminbi (RMB). Après tout juste un an d’existence, le Bond Connect est d’ores et déjà un succès et a réussi à attirer un panel varié d’investisseurs étrangers. On y trouve aussi bien des institutionnels que des fonds souverains et des banques centrales soucieuses de diversifier leur panier de devises. Cette tendance devrait être soutenue par de nouvelles annonces de fournisseurs d’indices obligataires, bien décidés, comme Barclays l’an passé, à introduire, à leur tour, la dette chinoise dans leurs indices phares et pour un poids conséquent. De plus, les avancées majeures de la Belt Road Initiative favorisent la création d’une zone RMB, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB) privilégiant les emprunts en RMB.
Il ne faut donc pas craindre une dépréciation de la monnaie chinoise qui doit rester stable pour continuer d’attirer les investisseurs étrangers. La Chine défend une vision long terme claire, celle de faire du RMB une devise de référence au niveau mondial : un nouveau choix face au « roi dollar » !
Vers le « mur de remboursement » américain
Le second « angle d’attaque » repose sur l’implication des investisseurs internationaux dans le financement de l’économie américaine. L’importance du niveau de dette américaine et chinoise fait débat depuis des années. Le FMI a d’ailleurs alerté les observateurs la semaine dernière sur l’impact de la politique de Trump sur le déficit budgétaire. Mais la grande différence entre ces deux pays réside dans la place de choix réservée aux investisseurs internationaux.
Alors que les Chinois ouvrent leur marché de la dette, détenu encore pour près de 98 % par les investisseurs locaux, les Américains doivent trouver de nouveaux créanciers pour financer leur relance. Cette question n’est pas une mince affaire car le pourcentage d’obligations américaines aux mains des investisseurs étrangers représente plus de 41 % de de leur endettement total.Cette année, les États-Unis doivent refinancer environ 28 % de leur endettement, soit plus de 3000 milliards de dollars et, à la fois, financer par le biais de nouvelles émissions la politique mise en place par l’administration Trump et qui devraient porter le déficit budgétaire à plus de 1000 milliards de dollars sur 2019. Face à l’avalanche de Treasuries qui s’apprêtent donc à inonder le marché, l’importance de la Chine n’est pas à négliger. Fin février, une bonne partie des principaux créanciers des États-Unis, tels que le Japon, l’Irlande ou la Russie, a plutôt eu tendance à réduire la voilure, alors que la Chine continuait d’acheter.
Mais, force est de constater que la guerre commerciale commence à avoir des répercussions : la Chine, à son tour, a commencé à vendre les obligations américaines. Elle reste, néanmoins le créancier le plus important des États-Unis, avec près de 1180 milliards de dollars de titres américains. Depuis plusieurs mois, le stock de dettes américaines détenu par les étrangers ne fait que se réduire. Des cessions nettes ont également été constatées dans des pays initialement proches des États-Unis, comme le Mexique, l’Inde ou Taiwan. Le « mur de remboursement » américain pourrait bien poser un réel problème aux marchés et chambouler les idées.
Vers des réformes structurelles
Enfin, des réformes de fond sont également en cours au niveau des marchés actions. Mi-2016, les ADR, ces certificats permettant aux sociétés chinoises d’accéder aux investisseurs internationaux, tout en bénéficiant d’une structure de droit de vote des plus avantageuses en comparaison de Hong Kong, sont inclues dans les indices MSCI ; depuis, les autorités de marché sont au travail et les résultats commencent à voir le jour. Fin avril, le Hong Kong Stock Exchange a assoupli sa règlementation concernant les introductions en Bourse. Cette réforme permet surtout d’autoriser les structures de droit de vote multiple sous conditions pour les entreprises en forte croissance, dont la capitalisation est supérieure à 10 milliards de dollars. On dénombre 269 ADR chinois cotés sur le marché américain mais seulement 69 de grandes capitalisations. Il est important de prendre la mesure du poids de ces sociétés qui représentent, au total, environ 4000 milliards de dollars de capitalisation boursière et représente un peu plus de 18 % des échanges journaliers sur le Nasdaq, un manque à gagner certain pour la place hongkongaise. Le 1er juin marque également un tournant, avec l’inclusion effective des actions domestiques chinoises dans les indices MSCI. La CRSC (China Securities Regulatory Commission) a également redoublé d’efforts pour lancer et mettre en place, dans les prochaines semaines, les CDR (Chinese Deposit Receipt).
Avec des valorisations autour de 20x sur le Chinext (équivalent du Nasdaq), les CDR présentent une belle opportunité pour les investisseurs et les sociétés comme Alibaba ou JD.com de revenir sur le marché domestique chinois…Autant dire, que le gouvernement chinois a clairement lancé l’invitation à l’ensemble des sociétés chinoises cotées outre-Atlantique de venir soit sur le marché domestique, soit sur le marché offshore détenu majoritairement par les investisseurs étrangers.
Que ces sociétés décident de venir ou revenir, une chose est sûre : la chute récente des principaux indices chinois et émergents est exagérée, les indices et les gérants spécialisés sur la zone privilégiant clairement les valeurs tournées vers le consommateur chinois et non les sociétés exportatrices. L’heure est donc venue de faire son marché…