par Jean-Pierre Durante, Economiste chez Pictet Wealth Management
La chute des prix du pétrole brut a entraîné l’inflation de la zone euro en territoire négatif. Généralement les banques centrales tendent à ne pas réagir aux fluctuations des prix des matières premières, mais cette fois, c’est différent: la faible inflation n’est pas seulement due aux prix du brut, mais également à la morosité de la demande. Une inflation durablement faible pourrait déclencher des comportements de type déflationniste, incitant les agents économiques à reporter leurs investissements ou l’achat de biens durables. Par conséquent, la BCE se doit d’agir rapidement. Malheureusement, le calendrier du Conseil des gouverneurs est épineux et s’accorde mal avec la témérité d’une annonce de QE: la prochaine réunion du comité de politique monétaire du 22 janvier tombe à un moment on ne peut plus inopportun, juste avant les élections grecques prévues le 25 janvier1.
L’inflation globale de la zone euro en territoire négatif
Selon les estimations d’Eurostat, l’inflation globale de la zone euro a diminué de 0,5 pp à – 0,2% en glissement annuel au mois de décembre, soit légèrement en deçà des attentes du consensus (- 0,1%), et a ainsi atteint son plus bas niveau depuis septembre 2009. L’inflation sous-jacente de la zone euro (hors énergie, alimentation, alcool et tabac) s’est inscrite en légère hausse, de 0,7% à 0,8% en glissement annuel au mois de décembre.
Les prix de l’énergie en cause
La chute des prix du brut observée ces six derniers mois s’est traduite par une forte baisse de la composante «énergie» de l’indice des prix à la consommation (IPC). Sur un an, le recul des prix de l’énergie s’est brutalement accéléré (de -2,6% en novembre en glissement annuel à -6,3% en décembre), atteignant son plus bas niveau depuis octobre 2009, tandis que la progression des prix de l’alimentation ralentissait fortement (de 0,5% en glissement annuel en novembre à 0,0% en décembre).
Concernant l’inflation sous-jacente, les composantes «services» et «biens industriels hors énergie» sont demeurés globalement stables à respectivement 1,2% et 0,0% en glissement annuel au mois de décembre.
Impact de la chute du pétrole sur les anticipations d’inflation
Depuis juin 2014, la chute des prix du pétrole exprimée en euros a dépassé les 50%. Les fluctuations des prix de l’énergie ont des effets directs et indirects sur l’IPC. Les premiers renvoient à l’impact des variations des prix du pétrole sur les prix de la composante énergie. Dans la zone euro, les produits énergétiques représentent environ 10% de l’IPC. Les effets indirects se réfèrent à l’impact du coût de l’énergie sur les coûts de production, qui peuvent à leur tour affecter les prix des autres biens.
Les prix de l’alimentation étaient supposés rebondir dans les mois à venir en raison d’effets de base et des évolutions récentes au niveau des prix des matières premières agricoles. Néanmoins, si les prix du pétrole se stabilisent à ce bas niveau, les prix de l’alimentation pourraient être affectés indirectement et la hausse attendue pourrait s’avérer inférieure aux attentes.
La chute brutale des prix du pétrole a eu un impact indéniable sur les anticipations d’inflation. Si les prix du brut se stabilisent au niveau actuel, il y a de fortes chances pour que les attentes inflationnistes s'enlisent à de très bas niveaux, déclenchant un comportement de type déflationniste chez les agents économiques. C’est-à-dire qu’au lieu de dépenser les gains de pouvoir d’achat découlant d’une facture pétrolière moins élevée, les agents reportent leurs investissements et leurs achats de biens durables. Cette baisse de la demande risque donc d’affaiblir encore plus une conjoncture déjà anémique.
BCE: entre urgence et aléa moral
Par conséquent, plus le temps passe et plus la nécessité de regonfler les anticipations d’inflation se fait sentir. Une action allant dans ce sens est attendue de la part de la BCE. Cependant, on peut dénombrer au moins trois raisons qui rendent cette décision délicate. Premièrement, le Conseil des gouverneurs de la BCE (CG) a réduit depuis le début de l’année la fréquence de ses réunions de politique monétaire à six semaines, comme la Fed, au lieu d'une tous les mois. En d’autres termes, la réunion qui suivra celle du 22 janvier n’aura pas lieu avant le 7 mars. Naturellement, le CG peut prendre une décision de politique monétaire entre deux conférences de presse, mais il donnerait l’impression qu’à peine modifié, son nouveau calendrier n’est déjà plus approprié aux circonstances actuelles. Dans ces conditions, l’incitation pour prendre une décision dès le 22 janvier sera forte. Malheureusement, cette réunion aura lieu juste avant les élections grecques du 25 janvier. Faire une annonce importante de QE (incluant le rachat d'obligations souveraines) à la veille d’élections cruciales pour l’avenir de la zone euro irait bien au-delà du seuil de tolérance à l’aléa moral que même les gouverneurs les moins conservateurs pourraient accepter. Enfin, l’inflation actuelle est essentiellement due aux prix des biens importés et des biens volatils. Les premiers sont, par définition, hors de portée de la politique monétaire. Quant aux deuxièmes, ils sont censés revenir rapidement à leur niveau précédent.
Le 22 janvier: la BCE prise entre deux feux
Dans ce genre de situation, la BCE avait pour habitude de temporiser. Toutefois, depuis la présidence de Mario Draghi, les choses ont changé. En septembre dernier, il a démontré qu’il pouvait prendre les marchés financiers de vitesse. Le 22 janvier, la BCE sera donc prise entre deux feux. Une des possibilités pourrait être de «couper la poire en deux» en annonçant un programme d’achat d’actifs privés et en reportant à une date ultérieure la décision la plus délicate, à savoir l’achat d’obligations souveraines.
NOTE
- «Grèce – Le sort en est jeté», Flash Note, 10 décembre 2014.