L’Allemagne au pas de course

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Les années 1990 furent souvent données pour celles du déclin allemand. Vieillissante, handicapée par l'intégration de l'ex-RDA, à la traîne des nouvelles technologies d’information et de communication, la première puissance européenne peinait à tenir son rang. Dans un monde transformé par l'internet et promis à une rapide expansion des services, le maintien d’une spécialisation industrielle « à l’ancienne » faisait débat. Enraciné dans les biens intermédiaires (la chimie, la métallurgie), les biens d’équipement professionnels (la mécanique, les matériels électriques) ou l’automobile, le made in Germany perdait du terrain. Dans les dix premières années qui suivirent l'Unification, la performance allemande fut, de fait, modeste. De 1991 à 1999, le PIB a cheminé sur une pente faible (1,5% par an en moyenne1), inférieure à celle de la France (2% par an).

Puis la situation a évolué. Vers le milieu des années 2000, l’économie s'est mise à accélérer, le retard pris a commencé d'être rattrapé. Malgré l'intégration du chiffre catastrophique de 2009 – une contraction du PIB de 4,7% – la croissance allemande est, en moyenne, restée positive de 2005 à 2010 (1,3% par an). Ella a dépassé celle de la France (0,9%). En 2011, l'Allemagne sera l’une des économies les plus dynamiques au sein de la zone OCDE (nous prévoyons une croissance de 3%). Voisin de 7%, son taux de chômage sera l’un des plus bas. Sa production industrielle aura renoué avec les sommets d’avant la crise, lorsque celle de la France reste inférieure à son niveau de 1998. Ses déficits publics auront été ramenés à moins de 3% du PIB. Approchant les 170 milliards d’euros, ses excédents commerciaux, supérieurs à ceux de la Chine, seront les plus élevés au monde.

Les causes du succès sont à la fois domestiques et mondiales. Si la décennie actuelle est allemande, c’est aussi parce qu’elle est chinoise. L’année 2001, qui est celle de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du Commerce, aura marqué un tournant. L’essor économique du géant d’Asie prend alors de l’ampleur, en même temps que la diffusion planétaire de ses produits. L’Empire du Milieu, qui finit de démanteler ses anciens conglomérats, doit s’équiper ; sa population, qui s’enrichit et s’urbanise, souhaite consommer. Insignifiant dans les années 1990, le poids de la Chine dans les exportations allemandes augmente vite. Voisin de 6% en 2010, il est désormais proche de celui des Etats-Unis (7%). L’Allemagne tire donc partie de son redéploiement vers les zones en rattrapage économique, Chine mais aussi pays d’Europe centrale et orientale. Son imbrication dans la zone euro est, par conséquent, moindre qu’il y a une dizaine d’années (41% des échanges en 2010, contre 51% en 1991). La conquête de l’Est s’est opérée à partir d’une base industrielle relativement peu délocalisée.

En 2008, l’industrie hors construction conserve le même poids dans le PIB qu’en 1998 (25,5%) alors que celui-ci recule, par exemple, de six points de PIB au Royaume-Uni et de près de cinq points de PIB en Espagne. Si le made in Germany a pu être préservé, c’est qu’il est resté compétitif. D’après l’OCDE, les coûts salariaux unitaires manufacturiers allemands (ce qu’un employé « coûte » en salaire et cotisations rapporté à ce qu’il produit) ont baissé depuis dix ans, dans l’absolu et plus encore en regard de ceux des concurrents (-8% entre 2000 et 2010).

Ce résultat est à mettre au compte d’une décennie de réformes éprouvantes pour le pacte social allemand, mais somme toute efficaces. Les lois « Hartz » ont beaucoup contribué à assouplir le fonctionnement du marché du travail (développement de l’intérim et du temps partiel, introduction des « mini jobs » partiellement exonérés de cotisations sociales, réduction de la durée comme du montant des indemnités chômage, etc.). L’Allemagne est ainsi l’un des pays de la zone euro où le temps partiel s’est le plus développé (il représente 25% des emplois en 2010, contre 20% pour la moyenne des Seize).

Mais l’effort n’a pas seulement porté sur les coûts ou la flexibilité. Avec la Finlande et la Suède, l’Allemagne est le pays de l’Union qui consacre la part la plus importante de son PIB (2,5%) à la recherche et au développement. Elle adapte aussi ses chaînes de montage au vieillissement de sa population active, comme par exemple dans l’automobile. Sa productivité horaire reste l’une des plus élevées des grands pays de l’OCDE (elle est inférieure à celle des Etats-Unis ou de la France, mais dépasse de loin celle du Canada ou du Japon).

Compétitive, extravertie, l’économie allemande tire en 2011 le meilleur parti de la reprise mondiale. Elle entraîne aussi l’Europe. Mais, au même titre que ceux de la Chine, ses excédents records renvoient aux déficits de ses principaux partenaires, notamment au sein de la zone euro. Sa réussite se mesure donc à l’aune de l’interdépendance accrue des économies.

NOTES

  1. Moyenne géométrique

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