par Vincent Reinhart, Chef économiste et stratégiste macro chez Mellon
À chaque automne d’une année bissextile, la fièvre électorale s'empare des États-Unis à l’occasion du scrutin présidentiel, chacun y allant de son pronostic quant à ses implications potentielles. Le positionnement des deux partis politiques rend l'issue du scrutin particulièrement serrée, d'autant plus compte tenu des spécificités du calcul du Collège électoral. Dans la mesure où les primaires poussent généralement les candidats vers les franges les plus extrêmes de leur parti, les programmes proposent des choix radicalement différents. Par ailleurs, le pouvoir fédéral dépend du contrôle exercé à la fois sur la Maison-Blanche et sur le Capitole, ce qui donne de l’importance aux multiples campagnes aux échelons inférieurs.
La combinaison de petits écarts dans les sondages, de différences marquées au niveau des programmes annoncés et de l’effet amplificateur des élections du Congrès complique encore l’établissement de perspectives économiques et d’une stratégie d’investissement.
À la date du présent article, le président Donald Trump est nettement à la traîne dans les sondages, un agrégateur ne lui accordant que 43% des voix. De même, les sondages en ligne misent fortement sur une « vague bleue » à la suite de laquelle les démocrates remporteraient la Maison-Blanche et reprendraient le Sénat. Cependant, les parieurs sont désormais plus nombreux à estimer que Donald Trump va remporter les élections, à presque un contre un. Autre mise en garde évidente : il y a quatre ans, le candidat Donald Trump était encore plus bas dans les sondages et nombreux étaient ceux qui pariaient sur une majorité démocrate plus importante. Les sondages et les experts s'étaient déjà aussi lourdement trompés lors du référendum sur le Brexit cinq mois plus tôt.
À la lumière des leçons apprises en 2016, il est difficile de deviner qui remportera une élection nationale et encore plus de prédire comment le vainqueur va s’en sortir. Cette dernière conclusion explique probablement pourquoi les investisseurs ne manifestent pour la plupart aucune émotion alors que la présidentielle approche, car ils perçoivent le dysfonctionnement du système politique américain comme l’une de ses caractéristiques et non comme une anomalie. Joe Biden et Donald Trump ont une vision très différente de la manière dont l’administration gère un gouvernement fédéral. En revanche, la capacité de l’un et de l’autre à mettre en œuvre leur vision suscite le scepticisme.
La rhétorique politique déjà très animée devrait encore s’enflammer à mesure que l’élection approche, une situation qui semble toutefois laisser les investisseurs indifférents. Les marchés d’actions sont orientés à la hausse, sur fond de spreads de risque de crédit étroits et de volatilité implicite pas particulièrement élevée. Pourquoi cette attitude ? Ils pensent certainement que l’administration américaine restera dysfonctionnelle et trouvera un terrain d’entente si les circonstances macroéconomiques l’exigent. En outre, le président de la Fed fait preuve d'un soutien inconditionnel. Le risque est que ces circonstances pourraient changer si la Maison-Blanche et le Congrès penchent résolument dans un sens ou dans l'autre.