par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM
Les marchés des actions ont pris un bon départ et les investisseurs deviennent même prudemment optimistes. En éloignant la perspective d’une crise bancaire systémique, la BCE s’est donné un répit dans son combat pour la survie de la zone euro. Il reste à examiner si les États de la zone euro vont utiliser à bon escient cette accalmie.
Nous sommes toujours surpris par la capacité des gouvernements à différer le traitement des problèmes importants. L’approche fragmentaire ayant échoué, les responsables politiques ont opté pour une stratégie d’improvisation. Les défis en suspens sont bien connus et compris de tous mais nous avons constaté, au cours des 16 derniers mois, que la mise en œuvre des décisions n’a pas répondu aux attentes ou du moins à ce qui était nécessaire. La polémique actuelle sur une possible perte de la souveraineté économique grecque nous rappelle à juste titre que le risque d’accident politique reste élevé.
Bien que l’offre illimitée par la BCE de prêts à trois ans aux banques constitue peut-être un changement des règles du jeu, elle ouvre aussi la voie à une fragmentation du marché bancaire et, bien que de nombreuses banques vont utiliser les prêts à bons marché de la BCE pour acheter des obligations domestiques, la plupart continueront à réduire leur exposition aux autres États. De même, alors qu’elles se désendettent, elles vont continuer à donner la priorité aux prêts domestiques et essayer d’apparier leurs actifs et passifs étrangers. Les régulateurs sont également susceptibles d’encourager ce processus dans la mesure où ils cherchent à protéger leurs systèmes financiers nationaux.
Pour la première fois depuis longtemps, le dernier sommet de l’Union européenne (le 30 janvier) n’était pas attendu comme le sommet de la « dernière chance ». Une question fondamentale reste sans réponse : comment l’Europe peut-elle trouver un nouveau modèle favorable à la croissance, capable de rivaliser avec le capitalisme d’État et la compétitivité galopante des marchés émergents ?
L’austérité budgétaire et le désendettement des banques vont continuer à exercer leurs effets néfastes sur la croissance. La zone euro a besoin de transferts budgétaires pour survivre, dans la mesure où elle n’est pas une zone monétaire optimale. Nous montrons ci-dessous comment les flux internationaux tendent à s’assécher dans la zone euro et en quoi cela est une réelle source d’inquiétude. La zone euro demeurant une institution en dysfonctionnement, une nouvelle crise est susceptible d’éclater à tout moment. L’austérité reste le seul traitement possible, comme Mme Merkel continue à le proclamer. Malheureusement, il n’existe pas d’exemples historiques démontrant le succès d’une telle approche.
Dans le même temps, les investisseurs ont bon espoir de voir émerger un nouveau contexte idéal d’investissement : un océan de liquidité combiné à une croissance économique raisonnable. Les investisseurs espèrent que nous sommes en train de passer d’une phase aigüe de la crise à une phase chronique. Alors que les crises existentielles sont dominées par la liquidité et les besoins de financement des États et des banques, les phases chroniques le sont par l’ajustement économique réel.
La Réserve fédérale pourrait maintenir ses taux proches de zéro jusqu’à fin 2014 alors que les banques centrales des principaux pays émergents sont également en train d’abaisser leurs taux d’intérêt. A court terme, la liquidité prime sur toute autre considération. Bien qu’inonder le marché avec un flot de liquidités réduit brusquement le risque extrême, cela ne traite pas les causes profondes de la crise de solvabilité. Ce dispositif pourrait se révéler contreproductif en retardant les réformes nécessaires. On spécule désormais sur un deuxième LTRO fin février, certains articles de presse faisant même état d’une fourchette comprise entre 100 milliards et 2 trillions d’euros.
Nous sommes perplexes devant l’excitation suscitée par le changement des règles du jeu que représenterait une telle opération. Il est vrai que, historiquement, les opérations de carry trade ont été utilisées pour consolider la rentabilité du système bancaire, en particulier aux États-Unis au début des années 90, mais cette fois-ci les choses sont différentes. La dette souveraine en euro n’est plus un placement sans risque, comme en atteste la « japonification » du secteur bancaire européen.
Les rebonds provoqués par la liquidité sont néfastes dans la mesure où ils poussent les cours des actions à des niveaux supérieurs à ceux que justifieraient les fondamentaux et ils masquent aux investisseurs les problèmes essentiels.
Le mois dernier, nous avons indiqué que tout était possible pour 2012 … CQFD. En effet, les marchés des actions ont commencé l’année du bon pied, malgré un contexte de morosité des anticipations. Nous entrons dans la quatrième année de la crise financière et, à un certain moment, le sentiment général baissier va s’épuiser de lui-même. Les indices européens approchent de leurs niveaux de début août, antérieurs à leur chute. Dans le même temps, une récession, quoique modeste, prend forme. La question essentielle est la suivante : quelle est donc la juste valeur du marché s’il ne s’agissait pas de la fin de la récession mais du début d’une récession qui va empirer dans le futur ?
Trop de dette
Le monde doit encore faire face à une montagne de dettes et la situation est loin de s’améliorer. La dette fédérale des États-Unis a progressé pour atteindre un niveau record : pour la première fois depuis les années 1940, la dette nationale a dépassé le PIB des États-Unis.
Le processus de désendettement est une entreprise de longue haleine, particulièrement aux États-Unis. McKinsey a récemment indiqué que le cycle de désendettement pourrait seulement avoir atteint entre un tiers et la moitié du cycle complet.
C’est la déflation, plus que l’inflation, qui constitue le risque principal pesant sur nos têtes. L’écart de production aux États-Unis, c’est à dire l’écart entre le niveau actuel réel du PIB et le niveau que l’économie pourrait atteindre en fonctionnant à sa capacité maximale, reste à des niveaux record. Dans des circonstances normales, l’écart de production, à ce stade du cycle, devrait être proche de son terme.
Le tableau est quasiment le même pour la zone euro, dont les dirigeants se sont mis d’accord sur les détails du nouveau pacte qui tente de conduire la région vers un nouvel équilibre fondé sur un faible niveau d’endettement.
Les règles d’équilibre budgétaire contenues dans la législation d’origine visent à maintenir la dette souveraine à un bas niveau une fois que le nouvel équilibre aura été atteint. Pour atteindre 60% du PIB, la dette souveraine en zone euro doit reculer d’environ 3 trillions d’euros (c’est à dire 30% du PIB). Bien que ce niveau de désendettement paraisse énorme, il est accessible pour la région à condition d’être étalé sur une longue période. Le problème n’est pas l’ajustement moyen mais sa distribution au sein de la zone. L’Allemagne a déjà une situation budgétaire susceptible de respecter les nouvelles règles d’endettement. Pour la France et les pays en périphérie de la zone euro, les ajustements budgétaires requis pour respecter les règles d’endettement sont très importants.
Une nouvelle divergence
Les prêts de la BCE aux banques étant en réalité effectués par les banques centrales nationales, il est important d’étudier les bilans de ces dernières pour examiner comment les prêts sont distribués. Les prêts de la Banque d’Italie aux banques italiennes ont augmenté de 57 milliards d’euros à fin décembre par rapport au mois précédent.
Les commentateurs continuent de débattre de la destination des fonds à trois ans empruntés fin décembre par les banques auprès de la BCE. Un récent article du Financial Times a indiqué que les banques italiennes et espagnoles avaient emprunté respectivement plus de 50 milliards d’euros et 25 milliards d’euros, et que ces montants couvraient respectivement 90% et 33% de leurs besoins de financement pour 2012.
Mais cela signifie-t-il que les banques italiennes et espagnoles se sont préfinancées ? C’est moins évident. Du côté des actifs, le bilan de la Banque d’Italie a augmenté en raison des prêts supplémentaires consentis aux banques italiennes. Cependant, du côté du passif, les réserves totales des banques italiennes n’ont progressé que de 2 milliards d’euros en décembre. On peut supposer que, si les banques italiennes souhaitaient détenir un matelas de liquidités en prévision des remboursements d’obligations arrivant prochainement à échéance, elles détiendraient (provisoirement) davantage de réserves auprès de la Banque d’Italie.
Au lieu de cela, le passif de la Banque d’Italie envers le reste de l’euro-système a progressé de 44 milliards d’euros en décembre à travers le système de paiement Target2. Par conséquent, l’essentiel du complément de 57 milliards d’euros emprunté par les banques italiennes a déjà disparu de leurs bilans. Elles ont peut-être acheté des obligations d’État italiennes auprès d’investisseurs allemands, hollandais etc.., ou les leur ont prêté temporairement. Mais, plus vraisemblablement, elles ont subi de nouveaux retraits de fonds, les investisseurs non italiens et les déposants italiens ayant transféré leurs capitaux vers des banques plus sûres, ailleurs dans la zone euro. Pour y faire face, les banques italiennes doivent régler ces transactions en puisant dans leurs réserves à la Banque d’Italie, lesquelles correspondent à une dette Target2 envers, par exemple, la Bundesbank.
Dans son dernier bulletin mensuel, la Banque d’Italie évoque cette raison. En réalité 190 milliards d’euros ont été retirés du système bancaire italien depuis juin.
La balkanisation du système financier a débuté et c’est au sein de la zone euro qu’elle est la plus marquée. La demande internationale d’obligations d’État d’Europe du Sud s’est pratiquement évaporée ; l’activité de prêt internationale est également en voie d’assèchement. De nombreuses banques (les françaises par exemple) donnent la priorité à leur marché domestique et réduisent leurs activités internationales. Pour les pays (par exemple d’Europe Centrale et de l’Est) dont les systèmes financiers domestiques sont dominés par des banques étrangères, ce biais national constitue une difficulté potentiellement sérieuse.
Le resserrement du crédit
Le dernier rapport concernant M3 a montré la situation bilancielle du système bancaire de la zone euro à fin décembre – quelques jours après l’opération de refinancement à 3 ans de la BCE. Dans l’ensemble, le rapport est peu encourageant. Nous assistons à une chute record des prêts bancaires. Les prêts bancaires au secteur privé non bancaire se sont effondrés de 74 milliards d’euros en décembre – la plus importante chute mensuelle jamais enregistrée. Les prêts aux ménages ont reculé de 8 milliards d’euros et ceux aux entreprises non financières de 37 milliards d’euros en décembre. Il s’agit de baisses plus importantes que celles enregistrées au cours de la récession de 2008/2009.
Interpréter ces données n’est pas simple. La faiblesse de l’économie au cours du quatrième trimestre a eu un impact sur la demande de prêts. Autrement, il est également possible que les récentes tensions sur les marchés du financement bancaire aient incité les banques à réduire leurs prêts à l’économie réelle, ce que la BCE cherche à empêcher par son opération de LTRO à 3 ans. Bien que l’enquête de la BCE sur l’activité de prêt des banques confirme le resserrement des conditions de crédit, celui-ci n’est pas aussi dramatique que le tableau dépeint par le rapport sur M3.
Les conditions de prêts des banques aux entreprises se sont globalement durcies au cours du quatrième trimestre. La disponibilité du crédit devient plus limitée – une évolution qui ne se limite pas à certaines régions.
Le mois dernier, nous avons souligné le risque d’un rally « value » se déployant en janvier. Notre pressentiment s’est révélé exact. A l’exception des Utilities, les secteurs surperformant en ce début d’année sont ceux qui ont sous-performés en2011.
Fin 2011, l’écart entre titres de croissance (« growth ») et titres « value » ou entre entreprises nationales et internationales, qui était tout simplement trop élevé, a ouvert la voie à une forme de retour à la moyenne, auquel nous ne sommes donc pas particulièrement surpris d’assister au cours des dernières semaines. 2011 avait également démarré de la même façon. Ce qui est peut-être différent cette fois-ci, c’est que les prévisions sont nettement plus réalistes que début 2011, lorsque le consensus prévoyait une reprise économique autoalimentée aux États-Unis et une croissance de 2 % en zone euro. Cette fois-ci, le thème d’une récession en zone euro constitue le courant de pensée dominant. Le seuil est nettement inférieur.
Nous doutons de la durabilité de ce retournement de tendance tout au long de l’année. Une amélioration significative du contexte macro-économique serait nécessaire pour qu’il soit pérenne. Nous avons déjà indiqué que le potentiel du marché des actions en 2012 était entièrement dépendant de la prime de risque. Jusqu’à présent, les publications de résultats ont été décevantes et le marché a progressé uniquement en raison de la contraction de la prime de risque.
Nous avons augmenté notre bêta au cours du mois de novembre afin d’être plus positifs et plus équilibrés entre « growth » et « value ». En janvier, nous avons surfé sur cette vague d’optimisme pour prendre nos bénéfices sur certaines valeurs et céder nos positions dans Arkema et Siemens. Nous avons également renforcé notre exposition sur les utilities allemandes, EON et RWE, qui sont fortement « value » et encore négligées par les investisseurs.
Jusqu’à présent, les investisseurs ont été pris par surprise. Mais le monde n’a pas changé. Les perspectives pour 2012 sont très aléatoires. Si les membres de la zone euro agissent de concert, démontrent qu’ils partagent une même vision et sont explicites sur leur manière d’agir, nous pourrions assister à une forme de soutien dans la résolution de la crise de la dette souveraine. Bien qu’il soit désormais vraisemblable que 2012 sera perdue pour les valeurs « growth », la stabilité financière peut au moins être préservée et c’est ce qui compte en définitive. Comme nous ne cessons de le répéter, le potentiel du marché des actions pour 2012 est fondé sur une réduction de la prime de risque.