par Carlos Quenan et Bénédicte Baduel, économistes chez Natixis
Alors que de nombreuses économies émergentes ont été rapidement frappées par la crise, le Brésil a montré une certaine résistance et a su préserver une croissance solide jusqu’au T3 2008, s’appuyant notamment sur le dynamisme de la demande domestique. Cependant, plusieurs signes de ralentissement pointent à présent et annoncent un T4 2008 et un début d’année 2009 difficiles.
Le gouvernement brésilien semble néanmoins prêt à utiliser les outils et les marges de manœuvre dont il dispose pour limiter les effets de la crise internationale. Par ailleurs, le comité de politique monétaire, lors de sa dernière réunion le 10 décembre, a décidé de ne pas relever le taux directeur pour la seconde fois. Même si les récentes mesures annoncées par Lula peuvent contribuer à soutenir l’activité, on peut douter de leur efficacité, par rapport aux objectifs que s’est fixé le gouvernement.
Lors de la dernière réunion du COPOM (Comité de Politique Monétaire) le 10 décembre, les autorités monétaires ont décidé à l’unanimité de maintenir le taux directeur inchangé à 13,75%. Elles avaient déjà gelé la hausse du SELIC lors de la réunion du 29 octobre mettant fin à un cycle haussier entamé en avril 2008. La décision du COPOM n’a pas surpris et reflète l’inquiétude des autorités face à la persistance des pressions inflationnistes (6,4% en novembre en glissement annuel GA) et au dynamisme de la demande en T3 (6,8% de croissance en GA) d’une part -appelant à une hausse des taux pour éviter la surchauffe- mais surtout, face aux impacts anticipés de la crise financière internationale sur l’économie réelle nationale. Ceci incite plutôt à amorcer un cycle de baisse des taux pour relancer l’activité.
Même si le communiqué du COPOM ne donne pas d’indications sur la poursuite de la politique monétaire autres qu’ « il va surveiller attentivement l’évolution du scénario prospectif pour l’inflation de manière à définir les prochaines étapes de sa stratégie de politique monétaire », la possibilité d’une baisse de 25pb a été étudiée. Ainsi, l’assombrissement des perspectives économiques pour fin 2008 et début 2009 laisse augurer de futures baisses de taux. En effet, même si les pressions inflationnistes ne sont pas totalement écartées compte tenu du dynamisme des ventes au détail (+9,3% en GA en octobre sur données en volume et cvs) et de l’appréciation du dollar face au real, le ralentissement de l’activité apparait plus préoccupant.
Des perspectives de court terme moins favorables
Même si l’économie brésilienne a bien résisté jusqu’à présent à l’environnement international défavorable, les indicateurs de ralentissement sont de plus en plus clairs. La production industrielle ralentit -la croissance en GA est passée de 7,1% en septembre à 0,9% en octobre-, les ventes également. Selon une étude de la fondation Getulio Vargas, d’octobre à novembre, le nombre d’industries ayant des stocks excessifs a doublé. De nombreux secteurs sont touchés mais la décélération est particulièrement visible dans des secteurs clés tels que l’automobile, l’industrie métallurgique ou encore les industries de pâte à papier. De plus, les entreprises font face à des contraintes de crédit de plus en plus fortes, y compris les grosses entreprises internationalisées comme en témoigne le récent recours de Petrobras au crédit de la caisse d’épargne fédérale -Caixa Econômica Federal.
Parallèlement, même s’ils restent globalement optimistes sur l’issue de la crise pour l’économie nationale, 67% des brésiliens planifient de baisser leurs dépenses durant les six prochains mois selon une étude Nova S/B et Ibope. Ainsi l’indice de confiance des consommateurs s’est fortement dégradé passant de 146,5 en moyenne au T2 à 136,3 au T3. L’indice de confiance des entrepreneurs a également perdu 2 points entre le deuxième et le troisième trimestre 2008.
Par ailleurs, en termes d’emplois, certains secteurs enregistrent déjà des pertes nettes. C’est le cas de l’industrie de la chaussure, de l’agriculture et de la pisciculture, de l’industrie mécanique, de l’industrie textile, etc. Parmi les secteurs qui continuent à être des recruteurs nets, on assiste néanmoins à une contraction de la croissance nette de l’emploi de plus de 90% par rapport au mois de septembre dans les industries des minerais non métalliques, l’industrie métallurgique, le commerce et l’immobilier. Après une longue période de réduction, le Brésil pourrait connaître une remontée du taux de chômage, aujourd’hui à 7,5% jusqu’à 9% en 2009.
Enfin, sur le plan externe, l’investissement direct étranger dans le pays devrait également diminuer en 2009 et se situer autour de 22 milliards de dollars selon les dernières estimations de la Banque centrale contre plus de 34 milliards en accumulé entre janvier et octobre 2008. La chute des prix des matières premières et le ralentissement global amènent à une décélération de la croissance des exportations et, du fait de la poursuite du dynamisme des importations, à une réduction progressive de l’excédent commercial, même si la deuxième semaine de décembre s’est caractérisée par un solde positif de 947 millions de dollars, le plus haut niveau atteint depuis mi-septembre.
Une volonté forte de maintenir la croissance
Face à ces signes de ralentissement, le gouvernement annonce clairement sa volonté d’utiliser les marges de manœuvre dont il dispose (réserves abondantes et excédent primaire, réduction de la dette extérieure, etc.) pour mener des politiques contra- cycliques de relance de l’activité par la demande. Conscient des difficultés à venir pour l’économie brésilienne en T4-2008 et T1/T2-2009, il met en place tout un arsenal de mesures de relance afin d’atteindre l’objectif d’une croissance de 4% en 2009.
Une des premières mesures de court terme envisagée est de faire baisser les spreads bancaires qui, selon le gouvernement, ne sont pas justifiés. Lula souhaite que cette baisse soit impulsée par les institutions publiques – la Banque du Brésil (Banco do Brasil) et la Caixa Econômica Federal, qui représentent à elles deux environ 40% du crédit, part considérée suffisamment importante pour avoir un impact sur le système financier. Selon le gouvernement, les conditions du crédit, les facilités octroyées par la Banque centrale ainsi que la récente réduction de l’impôt sur les transactions financières doivent contribuer à faire baisser les spreads.
Par ailleurs, le gouvernement brésilien a annoncé le 11 décembre un plan anti-crise essentiellement composé de mesures fiscales pour une valeur de 8,4 milliards de reais (3,6 milliards de USD) afin de relancer la consommation. Il se compose de trois volets. Un premier volet, fiscal, conçu pour favoriser les classes moyennes, modifie les tranches de l’impôt sur le revenu personnel afin d’alléger la pression sur les bas revenus. Des doutes persistent tout de même sur la réelle efficacité de ce type de mesures, à savoir si l’allègement fiscal, concédé dans le but d’inciter à la dépense, se traduira vraiment par une hausse de la consommation. Le second volet, orienté plus directement vers la demande, annule ou réduit, de 5,5 à 7% selon le type de véhicule, la taxe sur la production industrielle (IPI) pour le secteur automobile.
De même, la taxe sur les transactions financières sera réduite pour le crédit à la consommation. Le dernier volet de ce paquet de mesures concerne la possibilité pour la Banque centrale d’autoriser les entreprises brésiliennes à avoir accès aux réserves internationales du pays (qui valent plus de 200 milliards de USD) pour financer leur activité. Selon le président de la Banque centrale, cette mesure pourrait atteindre 10 milliards de USD. Elle vise surtout à venir en aide aux entreprises ayant contracté des dettes à l’extérieur et incapables de les refinancer actuellement.
Le plan anti-crise qui vient d’être lancé devrait être complété par un renforcement du Programme d’Accélération de la Croissance (PAC) lancé en 2007 et dont la valeur pourrait être doublée (passant de 503,9 milliards de reals annoncés en 2007 à 1,111 trilliards soit près de 465 milliards de USD au taux de change du 15/12/2008). Il s’agit d’un programme visant à dynamiser l’activité via l’investissement public dans des secteurs clés tels que les infrastructures. Néanmoins, notons que ce plan est sujet à de vives polémiques concernant son efficacité. Aujourd’hui, seulement 45,8% du budget 2008 du PAC ont été dépensés. Parmi les critiques qui lui sont adressées, on retient la lenteur du gouvernement à le mettre en œuvre et les délais excessifs d’étude des projets et de déblocage effectif des fonds.
Conclusion
Si l’économie brésilienne a su préserver son dynamisme jusqu’au troisième trimestre 2008, les perspectives s’assombrissent pour les prochains mois dans un contexte d’atonie de l’économie mondiale. Les signes de ralentissement sont clairs. Face à cela, le gouvernement entend bien jouer un rôle dans la relance de l’économie. Le policy-mix pour fin 2008 et début 2009 se veut assoupli tant du point de vue de la politique monétaire et des conditions du crédit (gel de la hausse du SELIC et très vraisemblablement début de baisse à venir, tentative d’une diminution des spreads bancaires) que de la politique budgétaire (stimulus fiscaux et renforcement des plans d’investissement public).
Si le Brésil dispose de marges de manœuvre non négligeables pour mener ce type de politiques contra-cycliques, il semble cependant difficile de quantifier l’impact des mesures de relance étant donné les doutes existant quant à leur efficacité. Dans ce cadre il parait peu probable qu’il atteigne les 4% de croissance qu’il s’est fixé pour 2009. La croissance devrait se situer autour de 2%, et cela en faisant l’hypothèse que la situation internationale cesse de se dégrader et tende à se stabiliser au cours de 2009.