par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Après une hausse quasi-ininterrompue des marchés actions depuis plus de 2 ans, cette fin d’année boursière 2014 est troublée par un regain d’agitation inhabituel à cette période de l’année. S’agit-il d’un épiphénomène lié à une situation particulière (Russie/Pétrole) ou les premiers signes d’un renversement de tendance plus profond ?
Les événements récents nous rappellent une situation presque similaire survenue durant l’été 1998 : baisse violente du pétrole (de 45 à 10 dollars le baril environ) assortie d’une détente significative des taux longs obligataires (OAT 10 ans de 4,6 à 3,75 %)… avec une baisse sensible des actions (- 30 %) et, au final en septembre, la faillite annoncée d’un gros Hedge Fund (LTCM), dont le débouclement des positions avait pesé sur les marchés… Aujourd’hui, il est vrai que l’on peut imaginer le cas de fonds spéculatifs en difficulté après les baisses très importantes constatées sur les matières premières dont le débouclement de positions intempestives peut contribuer à agiter les marchés. Fin du petit rappel, à l’automne 1998, les Banques Centrales sont intervenues et les indices boursiers ont repris le chemin d’une hausse spectaculaire, jusqu’à la bulle de 1999/2000 qui a éclaté à partir de mars 2000.
ECONOMIE : les bienfaits de la baisse de l’énergie dans un contexte « bien moyen » Aujourd’hui, la Russie ne présente pas de potentiel de crise systémique car le poids économique du pays est trop petit et l’exposition globale des banques occidentales est limitée. Au contraire, la baisse du pétrole devrait favoriser la croissance mondiale dans son ensemble et pénaliser seulement les pays producteurs. Il s’agit d’une bonne nouvelle car la croissance mondiale est faible, avec +3 % attendu en 2015. Si les cours du pétrole se stabilisent à leurs niveaux actuels, nous pour- rions avoir 0,7 % de croissance supplémentaire au plan mondial.
Dans ce contexte la zone Euro, éternelle déception ces dernières années, pourrait dépasser pour une fois les prévisions qui sont de +1,2 % actuellement pour 2015. Les indicateurs d’ensemble s’améliorent, notamment en Allemagne et en Espagne et la baisse du taux de change contre le dollar de près de 10 % redonne de la compétitivité à l’exportation. Le cas des États-Unis, seul vrai moteur de la croissance mondiale ces dernières années, est plus délicat à appréhender et les spécialistes estiment qu’au final l’impact du pétrole sera nul : d’un côté, il redonne du pouvoir d’achat à une économie dont la consommation représente près de 70 % (le prix du gallon d’essence est passé en quelques semaines de près de 4 dollars à moins de 3…) ; mais par ailleurs, la vague d’investissements industriels de ces dernières années s’est concentrée dans le secteur de l’énergie qui pèse 30 % des dépenses totales d’investissement. La croissance américaine sera encore assez robuste avec + 3 % en 2015.
Dans les pays émergents, il n’y a plus d’accélération de la croissance même si elle reste plus élevée en valeur absolue avec la Chine (+ 7 %) et l’Inde (+ 6,5 %). Le cas de la Chine est toujours une source d’incertitude pour les marchés. Le ralentissement y est certain, avec une baisse avérée de l’immobilier, mais cette phase semble pilotée à peu près correctement par le gouvernement et correspond à un changement de modèle souhaité en faveur d’un recentrage de l’économie vers la consommation et « l’économie verte ». Au global, la zone émergente est de plus en plus hétérogène et certains pays seront touchés : Russie, Indonésie et, dans une moindre mesure, Brésil et Mexique.
Notons également dans ce contexte la baisse significative de l’inflation qui est revenue à son plus bas niveau de 2009 à seulement 2,4 %. Elle pourrait même passer sous le seuil de 2 % au cours du premier trimestre 2015.
TAUX D’INTÉRÊT : la visibilité donnée par les Banques Centrales restera bonne. Le consensus est à une remontée des taux monétaires américains dans le courant 2015, à la faveur du rétablissement économique et de la baisse du chômage qui atteint pratiquement le niveau donné initialement par la Fed. Le niveau des Fed Funds attendu par les marchés à travers les Futures est de l’ordre de 0,6 % en décembre 2015. Ces anticipations nous semblent trop fortes. Avec le secteur pétrolier touché, la hausse du dollar contre toutes devises, qui correspond déjà à une hausse des taux, ce mouvement pourrait être retardé, d’autant plus que l’inflation est largement en dessous de l’objectif qu’elle s’est fixée (1,3 % constatée contre un objectif à 2 %). Nous pensons donc que les taux monétaires américains seront relevés seulement une fois en 2015 et que les Fed Funds seront autour de 0,25 % dans un an.
En zone Euro, la visibilité est encore meilleure. Mario Draghi a engagé la BCE dans une poli- tique qui ne plaît pas aux plus orthodoxes, mais elle a le mérite d’être claire : il a porté les taux monétaires à 0 %, ce qui se conçoit avec une croissance faible, un chômage de masse et une inflation affichée à + 0,3 % ! La gestion de fonds monétaire sera donc compliquée en 2015 avec un Eonia qui sera autour de 0 %. Par ailleurs, la BCE annoncera probablement un quantitative easing européen dans le premier semestre, la question du timing reste encore incertaine. Difficile dans ces conditions d’imaginer une tension des taux d’intérêt. Le taux du T-Note à 10 ans américain est attractif au plan mondial avec plus de 2 % de rendement, à comparer avec moins de 0,3 % en Suisse, 0,45 % au Japon, 0,6 % en Allemagne, 0,9 % en France et même 1,67 % en Espagne et 1,9 % en Italie. Et ce d’autant plus qu’il est libellé dans une devise qui est forte actuellement et qui a toutes les chances de le rester. Les rendements obligataires européens semblent trop bas, une fois de plus, et peu attractifs. Le regain de croissance provoquera peut-être une tension légère, d’autant plus que le marché est aujourd’hui très consensuel. Mais il y a tellement de flux en attente d’investissement que les mouvements de tension seront de faible ampleur. Dans un contexte de quantitative easing européen, également peu de craintes à attendre pour les spreads périphériques, même pour la France ! Les obligations « Crédit Investment Grade » et « High Yield » sont dans le même cas : peu attractives en relatif et en absolu, mais peu de risque de dégradation à court terme, sauf en cas de retraits massifs.
Le cas de la dette émergente est intéressant : les flux américains vers cette classe d’actifs se sont taris car les monnaies émergentes baissent contre le dollar depuis plusieurs mois, ce qui rend leurs performances très faibles pour un investisseur américain. De ce fait, les rende- ments sont aujourd’hui assez attractifs, de l’ordre de 5,5 % en monnaies fortes et de de 6,5/7 % en devises locales. Pour un investisseur européen, et en admettant que le dollar conti- nue à monter vis-à-vis de l’euro (ce que nous pensons), le rendement couvre actuellement assez bien le risque.
OBLIGATIONS CONVERTIBLES : elles redeviennent techniquement attractives Depuis cet été, la volatilité implicite inscrite dans le cours des obligations convertibles a baissé significativement (cf. graphique). Elles retrouvent donc un attrait technique avec une certain asymétrie : plus proche des planchers actuariels (avec un rendement redevenu positif) et une sensibilité aux actions de l’ordre de 40 en zone Euro.
ACTIONS : la tendance haussière a une bonne probabilité de se poursuivre, même si l’espérance de performance diminue… Historiquement, les performances des actions sont moins importantes durant les secondes parties de cycle. C’est logique : dans un premier temps, la décote se résorbe rapidement une fois passées les craintes exagérées, ensuite les fondamentaux guident l’évolution des marchés. Pour ce qui est de la phase actuelle, le scénario le plus probable est celui d’une poursuite de la progression des actions en proportion des croissances de bénéfices attendues, avec peut-être encore une légère décote relative des actions européennes à résorber par rapport aux actions américaines (PER 13,5 pour les résultats 2014). Concernant les entreprises, les prévisions actuelles semblent fiables et il y a peu de révisions à la baisse, particulièrement en Europe où les bénéfices vont progresser cette année pour la première fois depuis 4 ans, de l’ordre de 7 /8 %. Ils sont attendus en nette hausse l’année prochaine de près de 17 %, avec une compo- sante importante provenant des financières. En ce qui concerne les actions américaines, le consensus attend 127 dollars de bénéfice par indice S&P 500, contre près de 118 cette année, ce qui donne un PER 2015 de 16,3. Ceci est au-dessus des moyennes historiques mais pas vraiment excessif, surtout dans contexte de taux faibles. D’ailleurs, l’un des autres scénarios possibles est celui d’une poursuite significative de la hausse des actions, avec une revalorisation du marché (expansion des PER) sous l’effet de flux positifs en arbitrage de marchés obligataires peu attractifs à long terme. Dans ce cas de figure, les indices boursiers atteindraient des excès de valorisation d’ici 1 à 2 ans.
Les actions émergentes risquent en revanche d’être pénalisées par la hausse du dollar qui freine les flux vers ces marchés, dont certains sont pénalisés par le renversement de tendance des matières premières. Nous préférons les actions chinoises locales, qui viennent de gagner près de 40 % en quelques semaines après plusieurs années de sous-performance.