par Andrew Howard, Directeur de la recherche – Investissement durable chez Schroders
Les décideurs devraient utiliser la crise actuelle pour imprimer un élan d’urgence similaire à leur politique climatique et accélérer la transition vers une économie bas carbone. Depuis des années, nous insistons sur le changement d’action drastique qui sera nécessaire pour remodeler l’économie mondiale suivant des principes bas carbone.
L’impact dévastateur du Covid-19 a entraîné un changement social et politique à cette échelle, intervenu en quelques semaines plutôt qu’en décennies, galvanisé par l’urgence et la clarté du défi. Alors que l’immédiateté de la crise actuelle mobilise à juste titre l’énergie des autorités, le changement climatique risque d’engendrer une menace plus considérable encore. Les gouvernements devraient utiliser la crise actuelle pour établir une nouvelle orientation en matière de politique climatique et une nouvelle ambition du leadership.
Le changement climatique pourrait constituer une menace plus importante que cette crise
Le bilan final des décès causés par la pandémie de Covid-19 atteindra certainement plusieurs centaines de milliers de victimes. Aussi dévastateurs que soient ces impacts, les effets du changement climatique sur la santé et la mortalité sont potentiellement encore plus dramatiques. L’Organisation mondiale de la santé a estimé qu’entre 2030 et 2050, s’il n’est pas freiné, le réchauffement climatique provoquera 250 000 décès supplémentaires par an dus au stress thermique, à la malnutrition, au paludisme et à la diarrhée. Les impacts économiques du changement climatique seront tout aussi sévères à long terme.
Le défi climatique n’a pas généré de réponse qui s’inscrive à la même échelle que la réponse récente au Covid-19. Les grandes économies mondiales ont annoncé des plans de relance de plus de 4 000 milliards de dollars. Cette ampleur de l’intervention budgétaire équivaut au double de la puissance de feu combinée que ces pays ont déployée en réponse à la crise financière mondiale. Dans ce contexte, elle représente également plus de dix fois les dépenses annuelles engagées par les gouvernements du monde entier pour atténuer le changement climatique.
Le leadership politique a impulsé un changement de comportement
La menace que constitue le virus a souligné l’importance d’un leadership politique fort. Après l’annonce du confinement au Royaume-Uni, plus de 90 % des Britanniques ont exprimé leur soutien aux mesures, bien qu’ils aient semblé réticents à s’y plier volontairement auparavant. Confrontées à une menace claire et identifiable, et sous l’égide d’un leadership politique ferme, les sociétés ont réagi rapidement.
Du point de vue purement climatique, ce changement de comportement a été bénéfique. Les émissions de carbone chinoises ont chuté d’environ un quart sur une période de quatre semaines en février. L’industrie et les transports qui génèrent plus d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale sont pratiquement au point mort. Il semble probable que 2020 restera comme la quatrième année en trois décennies où les émissions mondiales auront baissé, et ce sera peut-être la plus grande réduction jamais observée.
Cependant, ces effets risquent de s’avérer temporaires. L’industrie et les transports redémarreront et les émissions de carbone mondiales repartiront à la hausse. Nous avons déjà connu cela ; le Global Carbon Project rapporte que, durant la crise financière de 2008-09, les émissions n’ont chuté de 1,4 % que pour rebondir de près de 6 % en 2010, lorsque les injections de soutien budgétaire des grandes économies ont relancé l’activité économique.
Certains des changements de comportement que le virus a induits pourraient perdurer. Nous avons récemment souligné la perspective d’une transition durable vers les pratiques de vidéoconférence et de télétravail. La diminution des déplacements professionnels contribuera à réduire les émissions. Cependant, bien que ces changements soient importants, ils ne constituent qu’une fraction des efforts qui seront nécessaires.
Bien au-delà des objectifs climatiques
Les progrès réalisés à l’égard des engagements environnementaux pris à Paris en 2015 – destinés à limiter le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels – ont été lents et hésitants.
Le tableau de bord du changement climatique de Schroders fournit une mesure objective de la vitesse et de l’échelle de l’action en faveur du climat. À ce stade, il reflète peu des changements potentiels que nous avons évoqués ci-dessus. La hausse de la température globale impliquée par la douzaine de facteurs examinés laisse présager une augmentation à long terme de 3,9° C par rapport aux niveaux préindustriels, inchangés depuis les relevés du dernier trimestre.
Deux évolutions majeures se contrebalancent au premier trimestre 2020
Les prix moyens du carbone mondial se sont effondrés, atteignant 15 €/tonne, et se situent à un niveau compatible avec une hausse des températures mondiales d’un peu plus de quatre degrés, selon nos estimations.
Une forte contraction du niveau des investissements en capital dans les combustibles fossiles fin 2019 et début 2020 a permis à l’industrie d’enregistrer une croissance de la production en phase avec une hausse à long terme d’environ 3,6 degrés.
Les gouvernements doivent agir maintenant
Les ingrédients pour agir sont en place. Les préoccupations du public concernant le changement climatique sont comparables aux craintes liées au coronavirus. Une enquête menée mi-mars au Royaume-Uni a montré que beaucoup plus de répondants s’inquiétaient de l’impact du changement climatique que de celui du coronavirus sur l’humanité. Aux États-Unis, les enquêtes menées ces dernières années ont toujours montré un degré de préoccupation au sujet du changement climatique égal ou supérieur à celui concernant l’éclosion de pandémies.
Les choix des dirigeants politiques au cours des prochains mois seront cruciaux. Ils ont l’occasion d’utiliser la fenêtre entrouverte par la crise actuelle pour imprimer un élan d’urgence similaire à leur politique climatique et accélérer la transition vers une économie bas carbone. Ils pourraient commencer par aligner les mesures de relance sur les objectifs climatiques.
Cependant, il existe un risque que les dépenses prévues par les gouvernements rendent les investissements futurs dans les solutions climatiques plus difficiles. Les bilans publics de plus en plus tendus pourraient s’ajouter aux retards qui ont entravé les progrès jusqu’à présent. Nous suivrons de près les développements et apporterons notre soutien chaque fois que nous le pourrons.