Le dilemme de la répartition des obligations

par Hans Stoter, directeur de la Gestion Crédits chez ING IM

Dans un marché efficient, les investisseurs sont souvent décrits comme rationnels. Mais que faire si les fondamentaux des marchés vous incitent à acheter certaines catégories d’actifs, alors que votre profil de risque et votre benchmark vous dirigent dans une autre direction ? Ce dilemme se pose actuellement au niveau de la répartition des obligations.

Les investisseurs en obligations répartissent souvent leur portefeuille entre différents segments obligataires tels que les obligations d’État (généralement considérées comme sans risque), les ABS (titres adossés à des actifs), les obligations d’entreprises « investment grade » et à haut rendement et les différentes catégories d’obligations des marchés émergents.

Grâce à une rotation active entre ces catégories d’obligations, ils tentent d’améliorer le rendement de leur portefeuille global et de gérer son profil de risque. Les décisions en matière de répartition sont normalement prises sur la base d’une analyse qualitative et/ou quantitative des facteurs macroéconomiques, des thèmes fondamentaux et des tendances des marchés. Les répartitions sont ajustées lorsque les opinions relatives à ces variables changent.

Depuis la reprise qui a suivi la crise financière, la plupart des investisseurs en obligations ont accru la pondération des actifs plus risqués, tels que les obligations à haut rendement et les obligations des marchés émergents, et ont réduit la part du papier d’État afin de profiter de l’amélioration de la situation fondamentale des sociétés et des marchés émergents et du supplément de rendement offert par ces obligations. Étant donné que tant les obligations à haut rendement que les obligations des marchés émergents ont procuré des rendements attrayants par rapport aux emprunts d’État, cette répartition a permis d’accroître le rendement global des portefeuilles obligataires.

Comme on peut s’y attendre, la pondération des actifs risqués est réduite en période d’incertitude. Lorsque le Japon a été touché par un tremblement de terre et un tsunami en mars, il y avait ainsi un risque évident que ceci ait des répercussions négatives sur la croissance économique future de l’Asie et les actifs risqués ont par conséquent été vendus. Lorsque la situation s’est stabilisée au Japon, les investisseurs se sont à nouveau tournés vers les catégories d’actifs plus risquées, provoquant un rebond des cours qui a compensé le repli enregistré lors des ventes initiales.

On a observé un mouvement similaire en juin, lorsque les craintes relatives à un défaut désordonné de la Grèce et à ses effets de contagion potentiels ont entraîné une vague d’aversion au risque. Les fonds à haut rendement basés en Europe ont enregistré des sorties massives, tandis que les fonds de placement américains ont également assisté à d’importants désengagements en obligations à haut rendement.

Il convient toutefois de noter ici un phénomène intéressant : les investisseurs obligataires européens sont préoccupés par la dette souveraine européenne… de sorte qu’ils réduisent leurs risques en allégeant la part des obligations d’entreprises à haut rendement et des obligations des marchés émergents….afin d’acheter de la dette souveraine européenne.

Cette décision de répartition des actifs semble irrationnelle et non fondée sur les fondamentaux du marché, en particulier lorsque que l’on sait que les fondamentaux des obligations d’entreprises sont très solides, que les faillites d’entreprises se situent à des niveaux historiquement faibles, qu’il n’y a que très peu d’entreprises grecques, portugaises ou irlandaises ayant émis des obligations à haut rendement et que les États du monde émergent ne sont pas confrontés aux problèmes d’endettement que connaissent les nations développées. Pourquoi donc cette énigme ?

Les investisseurs ont tendance à prendre des positions risquées actives lorsqu’ils ont une forte conviction et évitent de prendre des positions lorsqu’ils n’ont pas de conviction. Tout événement inattendu (comme un tremblement de terre) ou tout processus de décision politique (comme pour la Grèce) augmente l’incertitude – et abaisse donc le niveau de conviction – et entraîne dès lors une réduction du risque. La ‘logique’ qui en résulte pour la répartition des actifs suit un raisonnement axé sur le benchmark : réduire le risque signifie se rapprocher du benchmark, c’est-à-dire vendre les positions surpondérées et acheter les positions sous-pondérées afin de devenir plus neutre.

Étant donné que la pondération accrue des obligations à haut rendement et des obligations des marchés émergents a été essentiellement financée par une sous-pondération des obligations d’État, l’investisseur souhaitant redevenir neutre finit par acheter exactement ce qu’il redoutait : des obligations d’État dont les fondamentaux se dégradent. Ceci inclut des pays au rating triple-A comme l’Allemagne et la France, dont les fondamentaux s’affaibliront également à la suite des plans de sauvetage en faveur des pays périphériques de la zone euro.

Comme tout investisseur l’admettra, il faut acheter lorsque les prix sont bas et vendre lorsque les prix sont élevés. Je suis tout à fait d’accord pour dire que ceci est beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

Toutefois, le comportement grégaire incitant à ramener les pondérations en direction de celles du benchmark alors qu’il n’y a pas de justification fondamentale pour le faire peut difficilement être qualifié de rationnel. Bien sûr, cela crée des opportunités pour les investisseurs les plus astucieux qui prennent précisément des positions dans les actifs les plus risqués dans un pari contrariant ou afin de devancer le consensus. Ce sont les investisseurs en valeur qui profiteront du ‘rallye de soulagement’. La volatilité résultant du problème de la dette devrait persister pendant un certain temps, de même que les opportunités offertes par le comportement des investisseurs.