par Andrea Delitala, Head of Multi Asset Euro, et Steve Donzé, Senior Macro Strategis chez Pictet AM
La fin du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE va augmenter la pression qui s’exerce sur les obligations du gouvernement italien.
La dernière prise de bec entre l’Italie et Bruxelles a fait la une des journaux. Malgré tout, si une crise devait arriver, elle viendrait probablement d’ailleurs: de Francfort, pour être précis. C’est parce que l’Italie a un problème avec sa dette. Peu importe les frictions entre la nouvelle coalition populiste du pays et la Commission européenne au sujet du projet de budget italien, la principale source de tensions à court terme sur les marchés est la Banque centrale européenne.
En effet, l’Italie est le principal bénéficiaire du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE. Depuis le lancement de l’assouplissement quantitatif, les achats de dette italienne par la banque centrale ont dépassé le volume des nouvelles obligations gouvernementales émises par le pays. Cependant, à l’approche de la fin de ce programme d’urgence, cette tendance va s’inverser.
La confusion qui règne autour du budget italien met au jour un problème qui aurait de toute façon fait surface au cours des prochains mois: sans les achats de la BCE, les rendements italiens vont devoir augmenter pour attirer les fonds du secteur privé.
En octobre, dans l’optique de mettre totalement fin à ses achats avant la fin de l’année, la BCE a réduit son volume d’obligations achetées dans le cadre de l’assouplissement quantitatif à 15 milliards d’euros par mois, contre 30 milliards d’euros auparavant, un niveau qui représentait déjà la moitié des obligations achetées en 2017. L’année prochaine, pour la première fois depuis 10 ans, ce seront des acheteurs privés sensibles aux prix qui vont déterminer le niveau auquel s’échangeront les obligations du gouvernement italien et qui décideront si les 2 300 milliards de dette accumulés – qui placent l’Italie au troisième rang des pays développés – sont soutenables.
L’adieu aux acheteurs Spreads des obligations du gouvernement italien par rapport aux achats de la BCE et aux émissions du gouvernement italien
*Les émissions nettes du gouvernement italien sont une moyenne mobile sur 12 mois. Source: Thomson Reuters Datastream, Banca IMI, ministère italien de l’Économie et des Finances, BCE, Pictet Asset Management. Données au 07.11.2018.
Au début du mois de novembre, la BCE détenait 362 milliards d’euros en obligations du gouvernement italien, soit 17% du total des obligations souveraines présentes dans ses coffres. Depuis que la BCE réduit ses achats de dette, les rendements italiens sont en hausse. Le spread entre les rendements des obligations italiennes à 10 ans et les bunds allemands équivalents a récemment franchi la barre des 300 points de base, contre une moyenne de 141 points de base au plus fort du programme de la BCE.
Les projections actuelles laissent entendre que, l’année prochaine, le secteur privé va devoir absorber 57 milliards d’euros d’obligations du gouvernement italien (nets et en tenant compte des achats de la BCE). En 2018, ce chiffre n’était que de 11 milliards d’euros et il était même négatif de 54 milliards d’euros en 2017 (c’est-à-dire que le secteur privé était vendeur net cette année-là).
La question à se poser est celle de l’effet sur les spreads. Même si la situation se calme, les spreads ne devraient pas retrouver leur moyenne de ces dernières années. Au mieux, on peut supposer que la dette italienne se situera entre 250 et 350 points de base, le haut de cette fourchette représentant le niveau auquel les dépôts bancaires avaient fui les banques des pays périphériques lors de la crise de la zone euro de 2010-2012. Parallèlement, nos économistes estiment qu’une fois que les rendements de la dette souveraine italienne auront dépassé les 4%, celle-ci ne sera plus soutenable, toutes choses égales par ailleurs.
Pour le moment, les préoccupations liées aux relations entre l’Italie et ses partenaires européens signifient que les marchés financiers commencent à intégrer le risque de sortie du pays de la zone euro, ce qui contribuerait à creuser les spreads. Nos estimations suggèrent actuellement que les investisseurs réclament 200 points de base pour le risque de crédit et 100 points de base pour la possibilité que l’Italie soit forcée à relibeller sa dette. Selon nous, le marché évalue la probabilité que l’Italie soit exclue du parapluie de l’euro au cours des deux prochaines années à 7%.
L’Italie est de retour au premier plan, et pas sans raison.