par David Zahn, CFA, FRM, Responsable Taux Europe, Vice-président senior et gérant de portefeuille chez Franklin Templeton Fixed Income Group
Lors d’une table ronde à laquelle j’ai récemment assisté, les participants estimaient à la quasi-unanimité que l’incertitude politique persistante sera en 2017 le thème dominant pour les marchés.
Nous tendons à nous accorder sur les points suivants : 2016 a été une année politiquement très riche, et nous pensons que l’année 2017 sera encore plus trépidante, en particulier du point de vue des marchés européens. Mais alors que la politique pourra dominer l’ordre du jour lié aux investissements en Europe et au-delà, nous estimons qu’elle ne sera pas le seul thème important pour les investisseurs.
L’Europe nous dit en ce moment quelque chose d’intéressant : au cours des six derniers mois, les emprunts d’État européens ont sensiblement surperformé les emprunts d’État américains. La charge a été sonnée en juin 2016 à la suite du référendum britannique sur l’Union européenne (UE), avec un été marqué par un début de vente massive d’obligations américaines parallèlement à des obligations européennes bénéficiant toujours d’un ancrage relativement solide.)
Au moment où les marchés commençaient à digérer la nouvelle de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle aux États-Unis, les rendements du Trésor américain ont repris des couleurs, alors que les rendements des obligations européennes restaient stables. Nous pensons que cette tendance d’obligations européennes surperformant les obligations américaines devrait se poursuivre en 2017, en raison de la dynamique politique et des décisions des banques centrales. De notre point de vue, les divergences entre les politiques menées par les banques centrales aux États-Unis et en Europe seront probablement assez prononcées cette année.
La fin de la progression du marché obligataire ?
Un certain nombre d’observateurs du marché se sont demandé si 2017 sonnera le glas de la progression du marché des emprunts d’État. Ils ont souligné que les rendements à 10 ans des emprunts d’État dans la plupart des pays du monde ont sensiblement augmenté au cours des derniers mois, même s’ils restent à des niveaux historiquement bas.
Selon nous, cette tendance à la hausse des rendements obligataires ne durera pas en Europe. Au contraire, nous pensons que les rendements obligataires en Europe devraient rester circonscrits dans une certaine fourchette, en grande partie sous l’influence de la Banque centrale européenne (BCE).
À nos yeux, la BCE sera probablement le moteur des marchés obligataires en Europe pour les 12 à 18 prochains mois. En décembre, le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé que la banque centrale réduirait ses achats d’actifs mensuels tout en accroissant la durée du programme. Nous avons pensé que c’était un choix intelligent.
Cela signifie en substance que l’assouplissement quantitatif (QE) devrait se poursuivre en Europe encore en 2018. Concrètement, cela devrait permettre de reporter les spéculations concernant l’extension ou la réduction par la banque de son programme de QE jusqu’à ce que certains grands événements politiques prévus pour 2017 se soient produits, comme les élections générales néerlandaises, françaises et allemandes. Nous estimons que cela sera favorable au marché obligataire européen.
Par ailleurs, nous pensons que la BCE a agi intelligemment pour apaiser les inquiétudes relatives à la disponibilité d’obligations qu’elle pourrait acheter dans le cadre de son programme. Sa décision consistant à assouplir les restrictions sur le taux de dépôt a ouvert toute une série de nouvelles possibilités d’achat, y compris d’obligations à rendement négatif.
Une reprise fragile
Alors que les données suggèrent une reprise de l’économie européenne, nous estimons que cette reprise est fragile et en aucun cas d’un niveau comparable aux fortes reprises de 2004 et de 2009.
Ce qui ajoute encore à la déception est que cette faible reprise intervient dans un contexte très favorable : la BCE a baissé les taux à des niveaux historiques, l’euro s’est sensiblement déprécié, l’austérité est terminée dans la majorité des pays de la région, et les cours du pétrole ont été nettement inférieurs à la normale. Ne générer qu’une croissance minimale en dépit de tous ces vents favorables témoigne du manque de vigueur de la croissance.
Elections en France
Des résultats politiques inattendus, représentés par le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Donald Trump aux États-Unis, ont compté parmi les faits marquants de 2016. Ces résultats ont amené des commentateurs à émettre l’hypothèse d’une élection de Marine Le Pen, la présidente du Front National, le parti français d’extrême droite, aux élections présidentielles du pays qui se tiendront cette année.
Les cours actuels des emprunts d’État français laissent penser que, pour les marchés, les chances de victoire de Mme Le Pen sont très minces. Nous nous attendons donc à une certaine volatilité, quel que soit le résultat. Nous pensons en outre que la méconnaissance du système électoral français pourrait exacerber cette tendance.
Le premier tour de l’élection française est prévu le 23 avril. Il nous semble très probable que Mme Le Pen recueillera suffisamment de suffrages pour parvenir au second tour. Si elle arrivait en tête du premier tour, nous estimons que, à l’extérieur de l’Europe, certaines personnes qui méconnaîtraient le processus électoral pourraient penser qu’elle a remporté la présidence. Les marchés pourraient alors réagir dans cette éventualité. Nous voyons dans cette possibilité une occasion à saisir en cas de vente massive des emprunts d’État français en prévision d’un bon score de Mme Le Pen. L’élection finale est prévue le 7 mai.
Élections en Allemagne
Il semble y avoir un large consensus autour de la probabilité que la chancelière allemande Angela Merkel conserve le pouvoir sous une forme ou une autre après les élections allemandes, qui doivent se tenir en septembre 2017.
Nous ne sommes toutefois pas convaincus que ce scénario se réalise. Nous pensons qu’il lui faudra peut-être constituer une nouvelle coalition, peut-être formée de trois partis au lieu de deux comme c’est le cas actuellement. Elle pourrait alors se retrouver dans une position moins confortable. Il existe même une faible possibilité qu’elle ne dirige pas le gouvernement. Nous reconnaissons qu’il s’agit là d’une vague possibilité qui, nous semble-t-il, n’a pas été envisagée par les marchés, et après les expériences de 2016, nous pensons que c’est une erreur.
La situation des Etats-Unis
Nous pouvons voir cette année en Europe un paysage du risque politique à la fois intéressant et complexe. Par-dessus le marché, il nous faut tenir compte de la présidence de Trump outre-Atlantique.
Trump ne semble pas avoir de réelle affinité avec l’Europe, ou du moins avec l’UE. Son attitude à l’égard de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) paraît également ambivalente ; ce mois-ci, il a qualifié l’organisation d’« obsolète ». De ce que nous savons de l’attitude de Trump, nous nous attendons à ce que son administration demande à ses partenaires européens d’accroître leur contribution en matière de défense. Il semble notamment probable que les États-Unis demanderont à leurs partenaires de l’OTAN de respecter leur engagement de consacrer environ 2 % de leur produit intérieur brut à la défense.
À ce titre, l’Espagne aurait à multiplier par quatre ses dépenses militaires, et l’Allemagne devrait doubler celles qu’elle réalise actuellement. Tout effort accru de contribution résulterait soit de dépenses publiques globales plus élevées, ce qui, à nos yeux, pourrait être positif, soit de coupes budgétaires sur d’autres postes.