par Andreas Hoefert, Chief Economist UBS Wealth Management & Business Banking.
Sous l’impulsion de la hausse du chômage, de la diminution des richesses financières et immobilières et des conditions de prêts plus strictes, nous prévoyons une récession mondiale en 2009 avec une légère reprise en fin d’année.
Les perspectives économiques mondiales fin 2008 peuvent être qualifiées de sombres. Depuis quelques mois nous invoquons une récession modérée aux USA et en Europe mais la gravité et l’ampleur géographique de la récession actuelle sont une désagréable surprise. Au niveau mondial, le secteur financier est sous assistance et on ne sait pas encore quels sont les dommages causés par le choc de septembre 2008 sur le reste de l’économie. Les chiffres des principaux pays, y compris l’Asie, se sont fortement détériorés depuis, atteignant dans certains cas leurs plus bas niveaux depuis les années 1970. En réponse à cette vague de mauvaises nouvelles économiques, nous avons dû revoir à la baisse nos prévisions de croissance déjà faibles pour la plupart des pays et nous prévoyons une récession mondiale en 2009.
États-Unis: une récession profonde et longue
La détérioration rapide des conditions de crédit et l’arrêt consécutif des prêts interbancaires en septem- bre 2008 ont fortement sapé une économie américaine déjà faible. Selon nous, le fort recul de la consommation des ménages et de l’activité de placement va plonger les USA dans une récession plus profonde et plus longue que les deux précédentes en 1990–91 et 2001. Nous prévoyons au minimum quatre trimestres consécutifs de croissance négative du produit intérieur brut (PIB) à partir du troisième trimestre 2008. La croissance économique devrait reculer de 1,3% en 2009 puis subir une expansion modérée de 2,5% en 2010.
En effet, la reprise que nous prévoyons en 2010 aux USA n’a historiquement rien d’une forte accélération. Nous prévoyons un effondrement au plus bas dans certains secteurs fortement affectés de l’économie tels que les dépenses consacrées à l’investissement et à l’immobilier commercial, alors que d’autres composants ne subiront qu’un revers modéré. La reprise devrait donc être plus modeste que toutes celles des expansions post-récession des trente dernières années.
Selon nous, le taux de chômage aux États-Unis devrait atteindre 9% à la fin 2009. Avec des taux direc- teurs de 1% en décembre 2008, la Réserve Fédérale devrait maintenir des mesures d’assouplissement et seulement commencer à relever les taux lorsque l’économie se redressera. Avec des prix du pétrole très en dessous de leur récent pic cyclique et un chômage toujours croissant, les pressions inflation- nistes devraient continuer à reculer. De telles conditions inflationnistes favorables donnent à la Réserve fédérale une marge supplémentaire pour maintenir ses mesures d’assouplissement.
Europe: une récession forte mais inégale
Les dommages économiques engendrés par la crise financière varient à travers l’Europe en fonction de la santé du marché immobilier et du secteur financier de chaque pays. L’Espagne et le Royaume- Uni devraient être affaiblis durablement alors que des pays tels que l’Allemagne et la Suisse pourraient montrer les premiers signes de reprise au cours du premier semestre 2009.
La zone euro est tombée dans la récession au deuxième semestre 2008. L’activité économique devrait continuer à fléchir au premier trimestre 2009 avant de retrouver assez rapidement une croissance légèrement positive mais inférieure à la moyenne. Dans l’ensemble, la croissance économique dans la zone euro devrait reculer de 0,8% en 2009 puis augmenter modérément de 0,8% en 2010. Nous considérons que l’Espagne est le pays de la zone euro le plus vulnérable à la crise financière et pourrait être affecté jusqu’en 2010. Nous pensons que la France et l’Allemagne auront aussi une croissance négative in 2009. Alors que l’Allemagne est particulièrement exposée au repli de la demande mondiale, nous restons convaincus que le pays est capable structurellement de rebondir plus rapidement que d’autres grands pays de la zone euro. La croissance économique de l’Italie devrait moins fléchir en 2009 mais uniquement parce que la reprise n’a pas été aussi importante ces dernières années.
Grâce à la résistance des consommateurs et à un marché de l’immobilier plus stable que dans le reste de l’Europe, le PIB en Suisse ne devrait reculer que modérément de 0,4% en 2009. A l’inverse, tous les indicateurs économiques au Royaume-Uni prévoient un nouveau fléchissement,en particulier dans le domaine de la consommation des ménages avec un sévère repli. Nous prévoyons donc une contraction de 2,2% de l’économie britannique en 2009 suivie d’un fléchissement continu en 2010.
La chute des prix du pétrole et les effets déflationnistes de la crise financière devraient permettre de limiter la hausse des prix à la consommation dans la zone euro à environ 1,6% en moyenne en 2009. Mais l’inflation pourrait se rapprocher de 1% au deuxième semestre de l’année. Ainsi les politiques monétaires européenne et anglaise s’orienteront davantage vers un assouplissement pour éviter les risques de déflation.
Une croissance mondiale plus lente de mauvais augure pour l’Asie et les marchés émergents
Alors que les effets directs de la débâcle des subprimes et de la tourmente du marché financier ont été relativement faibles sur le Japon, l’impact indirect est considérable. Les placements d’affaires, la consommation et les exportations au Japon devraient rester sous pression, ce qui nous amène à prévoir une croissance légèrement négative de l’économie japonaise en 2009.
La croissance de l’économie asiatique en générale ne devrait toutefois pas s’effondrer. Si les cités États asiatiques vont probablement souffrir de l’environnement à faible croissance, les économies importantes telles que la Chine, l’Inde et l’Indonésie devraient résister au ralentissement mondial. Elles bénéficient en effet de ratios exportations-PIB relativement faibles et d’une forte demande intérieure.
Par ailleurs, la Chine possède les moyens fiscaux nécessaires pour soutenir le ralentissement de son économie, comme le montre le dispositif d’incitation de près de 600 milliards de USD annoncé en novembre 2008. Nous pensons que si l’activité économique chinoise ralentit conformément à nos prévisions à moins de 8% en 2009, les autorités prendront d’autres mesures fiscales pour stimuler l’économie.
Face à la récession mondiale et à la baisse des prix des matières premières, d’autres marchés émergents importants tels que le Brésil et la Russie, devraient aussi voir leurs taux de croissance ralentir en 2009. Mais les marchés émergents représentent actuellement plus d’un tiers de la croissance économique mondiale. Ils sont plus résistants que dans le passé et leurs niveaux de revenu vont continuer à conver- ger vers ceux des économies développées pendant ce ralentissement économique mondial.
Une récession mondiale qui pourrait s’aggraver
Nous estimons que la croissance économique mondiale ralentira fortement en 2009 à 2,0% si l’on se base sur les pondérations de parité de pouvoir d’achat. Ce faible taux de croissance ainsi qu’une forte contraction de la production dans le monde correspond à la définition d’une récession.
Nos prévisions sont vulnérables à de nombreuses situations spéciales et scénarios de risque dont la plu part sont négatifs. Toutefois, d’un point de vue positif, une récession mondiale s’accompagne normalement d’une baisse des prix de l’énergie et de l’alimentation, qui ralentit l’inflation et favorise les dépenses des ménages. Et avec une majorité claire au Congrès, les démocrates devraient étendre leurs programmes de dépenses aux USA en 2009. Selon nous, les gouvernements européens devraient prendre des mesures fiscales similaires à présent que la crise financière a inversé le sentiment largement répandu depuis deux décennies selon lequel le gouvernement ne devait pas intervenir dans l’économie.
Epargne et dépenses fiscales plus élevés aux USA
Le principal risque négatif dans nos perspectives résulte de nos prévisions selon lesquelles le taux d’épargne des ménages ainsi que le déficit de la balance des paiements US devrait augmenter modérément dans les deux prochaines années. Ceci signifierait que ni le consommateur américain ni le pays dans son ensemble ne seraient en mesure de résoudre les problèmes d’endettement dans notre horizon de prévisions. Une réorientation fondamentale du consommateur US commençant à épargner de manière significative impliquerait bien sûr une croissance moins forte de la consommation, qui aggrave- rait encore davantage la récession.
Un taux d’épargne US plus élevé aurait également tendance à atténuer l’effet de la politique monétaire. L’une des causes de la crise actuelle a été la politique monétaire américaine excessivement laxiste après l’éclatement de la bulle technologique en 2000 en vue de lutter contre la récession. Le résultat fut la création de deux bulles encore plus grosses, l’une dans l’immobilier et l’autre sur les marchés de crédits. Cette fois-ci, malgré de fortes baisses des taux d’intérêt, la Fed n’a pas été capable d’éviter un resserrement du crédit. Les banques commerciales et autres organismes de prêt s’étant focalisés sur la réduction de leur propre dette et l’équilibrage de leur propre bilan, les liquidités sont restées rares.
La politique fiscale devrait être le prochain outil testé. La croissance des déficits fiscaux a provoqué une augmentation de la dette gouvernementale. A certains égards, avec l’augmentation des dépenses étatiques, il est plus difficile pour les décideurs en matière de politique monétaire de contenir l’inflation. Pour l’instant l’augmentation de la dette du secteur public a pu être entièrement compensée par une réduction de la dette du secteur privé (processus de désendettement des ménages et des entreprises), tout en maintenant inchangé le niveau global de la dette US. Il n’en reste pas moins que le plus grand problème à long terme pour les États-Unis est de savoir comment attirer les financements extérieurs pour ses dépenses intérieures, avec tous les risques que cela comporte pour la valeur du dollar US à long terme.
L’euro à l’épreuve de la récession
Milton Friedman déclara un jour «l’euro ne survivra pas à la récession». Même si nous ne sommes pas d’accord, la récession est certainement un défi pour la BCE et sa monnaie commune. L’un des conflits potentiels est l’orientation des coûts unitaires de la main d’œuvre, qui a été différente ces dernières années dans les pays de la zone euro. L’Allemagne a augmenté sa compétitivité en réduisant les coûts uni- taires de la main d’œuvre et, à l’autre extrême, l’Italie a perdu en compétitivité. Cette disparité devrait alimenter les discussions dans un futur proche et exercer une pression sur la BCE pour qu’elle réponde proactivement au repli économique actuel.
Si la BCE ne répond pas aux appels de mesures politiques plus accommodantes, l’Europe finirait par sup porter la charge du désendettement mondial des consommateurs et des bilans des sociétés avec un euro fort. Entre-temps, de nombreux autres pays dans le monde essaieront de se frayer un chemin hors de la crise en dévaluant leur devise. Ceci pourrait amplifier encore les pressions politiques sur la BCE et remettre en question la viabilité à long terme de l’euro.
Les gouvernements étendent leur action
Enfin, nous constatons le risque potentiel du nouveau paradigme qui favorise une plus grande influence gouvernementale sur l’économie. A ce jour, les nouvelles politiques et réglementations ont eu le plus grand impact sur le secteur financier, mais l’action de l’état pourrait éventuellement s’étendre à d’autres secteurs de l’économie tels que le commerce international. Étant donné le déficit commercial américain grandissant, on ne peut ignorer le risque d’un protectionnisme accru. Les gouvernements ont retenu une leçon claire de 1929: une approche laisser-faire n’est pas une option viable lorsqu’on est confronté à des conditions de crédit extrêmes et à une crise bancaire. Une autre leçon vitale de 1929 est que le protectionnisme ne sert qu’à exacerber la crise. Nous espérons que cette leçon aussi aura été retenue.