par Kristina Sandklef, économiste spécialiste de l'Asie chez East Capital
Au cours des prochains jours, la publication de plusieurs statistiques macroéconomiques sur la Chine devrait confirmer le ralentissement de son économie. Son inflation devrait rester stable à un peu plus de 3 %. Les statistiques sur son activité économique, aux rangs desquels les investissements en capital fixe, la production industrielle, les ventes au détail et le commerce, devraient ressortir plutôt atones. Ajoutons à cela que l'indice PMI du mois de mai a confirmé le ralentissement de l'économie chinoise.
La Banque centrale chinoise (People’s Bank of China ou PBOC) vient de diminuer ses taux de prêts et de dépôts de 25 points de base, soit leur première baisse depuis 2008. Cette baisse donne un signal clair d'assouplissement monétaire aux marchés et constitue une nouvelle expression des préoccupations des dirigeants chinois à l'égard du ralentissement économique.
Alors que les pessimistes à l’égard de l'économie chinoise se font de plus en plus entendre, j'aimerais formuler quelques observations sur le ralentissement chinois et indiquer les aspects dont il faut se préoccuper et ceux qui suscitent moins d'inquiétude.
En résumé :
- Le ralentissement auquel nous assistons actuellement est partiellement provoqué par le gouvernement chinois après les mesures de durcissement prises l'an dernier pour juguler l'inflation.
- L'économie chinoise n'est pas aussi dépendante de ses exportations qu'en 2008, ce qui la rend moins vulnérable aux chocs externes. Même si les exportations vers l'UE sont en baisse, elles progressent vers les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud.
- Réorienter son économie d'une croissance dépendante des investissements et des exportations vers une croissance tirée par la consommation et l'innovation ne sera pas un exercice facile. Le tassement de la consommation d'énergie pourrait signaler le début de ce rééquilibrage.
- Le gouvernement chinois est prêt à accepter un ralentissement de sa croissance avant de lancer de nouveaux plans de relance à grande échelle, qui pourraient endommager les structures économiques chinoises sur le long terme en augmentant les créances douteuses et la corruption.
- Jugés de meilleure qualité et plus durables, les investissements privés dans les infrastructures seront encouragés.
- « Des politiques budgétaires proactives et des politiques monétaires prudentes afin de soutenir la croissance économique » sont les nouveaux maîtres mots de la politique économique chinoise. Jusqu'ici, la politique monétaire s'est attachée à abaisser le taux de réserves obligatoires et à durcir les conditions d'octroi de crédits immobiliers.
- Les politiques budgétaires proactives visent notamment à accélérer le processus d'approbation des projets énumérés dans le 12ème plan quinquennal afin de doper la croissance des infrastructures, de l’industrie de l'acier, des technologies respectueuses de l'environnement et des programmes de subventions à la consommation.
Tout d'abord, nous devons garder à l'esprit que l'économie chinoise a généré de l'inflation l'an dernier à la suite des plans de relance massifs des années 2008 et 2009. Or la lutte contre l'inflation était le principal objectif du gouvernement. C'est pourquoi il a pris plusieurs mesures destinées à juguler l'inflation en imposant notamment des restrictions à l'achat immobilier, mesures qui ont eu pour effet de ralentir la croissance économique chinoise.
Contrairement à l'année 2008, nous assistons aujourd'hui à un ralentissement provoqué par le gouvernement chinois. Lors du Congrès national populaire (National People’s Congress) qui s'est tenu en début d'année, les dirigeants chinois ont revu à la baisse leur objectif de croissance du PIB à 7,5 %. Ils semblent se satisfaire de ce ralentissement qui contribuera à la réorientation souhaitée de l'économie et qui permettra à la Chine de gérer plus efficacement sa consommation de ressources.
En 2008, l'économie chinoise avait enregistré une contraction due à sa dépendance aux exportations à la suite des chocs externes provoqués par la crise financière internationale. 20 millions de travailleurs migrants qui avaient perdu leur emploi dans les industries exportatrices sont retournés chez eux à la campagne. Aussi, le plan de relance massif des années 2008 et 2009 avait pour objectif de lutter contre le chômage et d'éviter des troubles sociaux. Aujourd'hui, la Chine n'est pas aussi dépendante de ses exportations qu'en 2008.
Pour preuve, les exportations nettes chinoises représentaient 7,5 % de la croissance de son PIB en 2008, contre seulement 2,3 % en 2011. Même si l'UE est le principal marché de la Chine à l'exportation et si les exportations vers l'UE ont diminué de 2 % depuis le début de l'année, les exportations vers d'autres pays tels que les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud ont progressé de 12 %, 9 % et 8 %, respectivement. Une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro affecterait généralement le financement du commerce international, pénalisant essentiellement le commerce chinois. Cependant, les investissements chinois en Grèce et le commerce avec la République hellénique sont relativement limités.
Nous devons également garder à l'esprit que la Chine doit rééquilibrer son économie afin de générer une croissance économique durable. Comme indiqué dans le 12ème plan quinquennal, la Chine doit passer d'une croissance économique basée sur les exportations et les investissements en capital fixe à une croissance tirée par la consommation et l'innovation. Sur fond de ralentissement de l'économie, les dirigeants chinois devraient poursuivre les changements structurels nécessaires pour garantir la pérennité de la croissance économique, comme indiqué dans le 12ème plan quinquennal et le Rapport de la Banque Mondiale « Chine 2030 » publié début mars 2012.
Compte tenu de la réorientation actuelle de l'économie chinoise d'une économie manufacturière intensive à une économie davantage tirée par la consommation et orientée vers les services, il ne sera pas surprenant de constater un recul de sa consommation d'énergie, comme en témoigne sa croissance de 3 % pour le mois d'avril. Actuellement, la contraction de son industrie métallurgique partiellement attribuable à une offre excédentaire d'acier influe bien entendu sur sa consommation d'énergie dont ce secteur est friand. Le secteur des services semble se développer, ce qui constitue une bonne nouvelle pour l'économie chinoise car il absorbe généralement une part plus importante de la main d'œuvre et il consomme moins d'énergie que les industries lourdes.
Les leaders chinois ont changé de ton à l'égard du développement économique en fin d'année dernière et ont commencé à utiliser l'expression « croissance avant tout ».
Aujourd'hui, le slogan du gouvernement est « Une politique budgétaire proactive et une politique monétaire prudente afin de soutenir la croissance ». Mais qu'entend-il vraiment par là ? Les leaders chinois sont réputés pour agir rapidement quand leur pays rencontre des difficultés économiques, essentiellement parce que la croissance est la principale source de légitimité du Parti communiste. Cette importance accordée à la croissance économique a jusqu'ici incité le gouvernement à adopter des mesures de politique keynésienne, à l'image des grands plans de relance entrepris lors des précédentes crises économiques. Durant la crise asiatique de 1997, le gouvernement chinois a lancé un programme d'investissement massif dans les infrastructures et des politiques similaires ont été adoptées en 2008. Cette fois-ci, nous ne nous attendons pas à ce qu'un plan de relance extraordinaire soit annoncé.
Cependant, si l'économie rencontrait de grandes difficultés et si le chômage augmentait rapidement, un plan de relance de plus grande ampleur serait envisageable.
Il est encourageant de constater que la Chine n'a pas encore lancé de grand plan de relance comme en 2008. En effet, ces programmes engagent généralement des investissements parfois peu judicieux (les pessimistes à l'égard de la Chine parlent de villes fantômes, de routes qui ne mènent nulle part, etc.) et augmentent le volume de créances douteuses et la corruption. Cette fois-ci, la Chine a annoncé qu'elle souhaitait encourager les investissements privés dans les projets d'infrastructures, ce qui pourrait s'avérer positif. En effet, les investisseurs privés sont davantage susceptibles d'investir dans des projets efficaces que les gouvernements locaux obnubilés par le maintien d'une croissance économique élevée.
S'agissant du volet « politique monétaire prudente », la PBOC a diminué une fois les ratios de réserves obligatoires des banques. La plupart des analystes tablent sur deux à trois réductions de ces ratios durant l'année dans le but d'accroître la liquidité. Les taux courts sont également en baisse et les crédits devraient augmenter pour atteindre l'objectif annuel d'environ RMB 8000 milliards. Aujourd'hui, la PBOC a rabaissé de 25 pb ses taux de prêt et de dépôt, un autre moyen de stimuler les marchés du crédit. Enfin, les conditions d'octroi des emprunts immobiliers sont actuellement durcies afin d'éviter la formation d'une bulle immobilière.
S'agissant du volet « politiques budgétaires proactives », le gouvernement chinois n'a pas encore annoncé de plan de relance spécifique pour pallier le ralentissement de la croissance. Par contre, la Commission nationale de développement et de réforme (National Development and Reform Commission – NDRC) a accéléré l'approbation des projets dans l'objectif de soutenir la croissance. Ces projets essentiellement énumérés dans le 12ème plan quinquennal sont lancés plus tôt que prévu. Sur la longue liste des projets approuvés figurent des projets d'énergie propre, trois grands projets de modernisation de la production d'acier et destinés à la rendre plus efficace sur le plan énergétique, des projets de modernisation des infrastructures de télécommunication, des projets dans les transports, dont les aéroports, les chemins de fer et le transport local urbain, des projets hydrauliques, notamment de traitement de l'eau, d'irrigation et de dérivation, et des projets tout particulièrement axés sur les « nouvelles industries stratégiques » dans les domaines de l'efficacité énergétique et de la protection environnementale, des technologies de l'information nouvelle génération, des biotechnologies, de la fabrication de biens haut de gamme, des nouveaux matériaux et des véhicules à énergies nouvelles.
Par ailleurs, plusieurs villes ont lancé différents programmes locaux destinés à soutenir le marché immobilier, a notamment des aides en espèces aux primo accédants et des réductions d'impôt.
S'agissant du volet « consommation », plusieurs programmes de relance sont prévus. Citons par exemple le programme de subventions à l'achat d'appareils ménagers économes en énergie, d'un montant de RMB 26,5 milliards, et le programme de subventions à l'achat de véhicules hybrides d'un montant de RMB 6 milliards.
Dans ce contexte, doit-on s'en faire pour l'économie chinoise ? Je ne pense pas qu'il faille trop s'en faire sur le court terme. Grâce à ces plans de relance, la croissance de son PIB devrait se redresser et renouer avec un rythme d'environ 8 % par an, après une baisse au 2ème trimestre qui devrait s'établir dans une fourchette comprise entre 7 et 7,5 %. À moyen et long terme, il est important que la Chine engage des réformes afin de restructurer son économie. À ce titre, nous pensons qu'il serait peu judicieux de lancer un plan de relance de grande échelle tel que celui de l'année 2008, ce dont les législateurs chinois semblent avoir conscience.