Scénarii pour la zone euro et issue possible

par Mary Pieterse-Bloem, Willem Verhagen et Valentijn van Nieuwenhuijzen, Sylvain de Ruijter et Thede Rüst, stratégistes chez ING IM

Les événements de ces derniers mois en Espagne, en France et en Grèce, ainsi que les nouvelles turbulences que ceux-ci ont provoqué sur les marchés financiers nous ont incité à revoir nos scénarii pour la zone euro et l’issue possible de la crise1.

Il est très difficile de prévoir quel scénario l’emportera en définitive. Alors que nous tablons toujours sur une solution à long terme, même ce scénario optimiste empruntera un chemin long, laborieux et volatil, un chemin parsemé de voies transversales susceptibles de conduire au scénario d’une survie laborieuse, voire à celui d’un effondrement partiel de l’euro. Nous conseillons dès lors vivement aux investisseurs de ne pas se focaliser sur l’issue finale, mais plutôt de suivre les développements de près et d’être préparés à s’adapter aux nouvelles réalités en cours de route.

La probabilité d’une sortie de la Grèce a augmenté

– Vote grec pour l’adhésion à la zone euro

ZA très court terme, nous sommes confrontés à la possibilité que la Grèce quitte la zone euro. Après les récentes élections, les Grecs retourneront aux urnes le 17 juin. Ce scrutin ressemblera fort à un referendum sur l’adhésion à la zone euro. En dehors de la question de la probabilité que la Grèce quitte l’union monétaire, une question plus fondamentale est de savoir ce qu’une éventuelle sortie de la Grèce impliquerait à moyen et à long terme pour la zone euro.

Tous les partis politiques grecs veulent renégocier la déclaration d’intention accompagnant le programme de sauvetage de la Grèce, mais l’ampleur des modifications souhaitées diverge fortement. Les partis traditionnels du centre désirent une réduction du déficit plus graduelle, tandis que les partis radicaux veulent le retrait complet de cette déclaration, ainsi qu’un abandon de la dette grecque détenue tant par le secteur privé que par le secteur public. Si ceci devait se concrétiser, une sortie de la Grèce de la zone euro deviendrait quasiment inévitable.

– Glissement vers une approche plus équilibrée

Beaucoup dépendra donc de la crédibilité des acteurs politiques qui accéderont au pouvoir en Grèce et qui participeront aux négociations avec la troïka. Une victoire des partis modérés favorables à l’euro pourrait permettre d’éviter un départ de la Grèce car la troïka pourrait alors accepter une réduction du déficit plus graduelle et peut-être une sorte de « Plan Marshall » pour la Grèce. À cet égard, il est positif que les pays « cœur » de la zone euro semblent finalement opter pour une approche plus équilibrée. De plus en plus de décideurs politiques (FMI, Commission européenne et même la BCE) déclarent désormais que l’austérité ne suffit pas à elle seule pour résoudre la crise et un plan de croissance est devenu plus probable. Dans ce contexte, l’élection de François Hollande à la présidence en France n’est pas nécessairement négative. Il est toutefois trop tôt pour dire si ce glissement de l’austérité vers la croissance sera suffisant et n’interviendra pas trop tard.

Même le président de la BCE, Mario Draghi, a souligné la nécessité d’un pacte de croissance pour compléter le pacte budgétaire. Toutefois, la croissance peut signifier différentes choses pour les différents responsables politiques. Alors que Draghi évoquait la nécessité de réformes structurelles, Hollande pense probablement à des mesures visant à compenser le manque de demande agrégée au sein de la zone euro. Ce dernier a ainsi proposé que la BEI et les fonds structurels de l’UE soient utilisés pour promouvoir les dépenses d’investissement. Il voudrait également que la BCE joue un rôle plus actif et adopte un mandat de croissance en sus de son objectif de stabilité des prix. On ignore cependant dans quelle mesure ceci se matérialisera car la chancelière allemande Angela Merkel y est opposée. Mais même en Allemagne, les positions évoluent quelque peu puisque certains hommes politiques (du parti SPD) plaident désormais pour un pacte d’investissement en parallèle avec le pacte budgétaire.

– Le système bancaire grec est menacé

Dans un scénario de sortie de la Grèce de la zone euro, le financement de l’UE et du FMI pourrait se tarir et ne serait certainement pas remplacé par des capitaux du secteur privé. En effet, il y aurait plutôt d’importantes sorties de capitaux privés, car les dépôts fuiraient le système bancaire grec. En réaction, le gouvernement introduirait probablement un contrôle des capitaux et une limitation des retraits de liquidités, mais ces mesures ne pourraient éviter totalement les fuites de capitaux. Le système bancaire grec pourrait alors se retrouver au bord du gouffre et aurait besoin d’une recapitalisation ainsi que d’un accès à des capitaux illimités. La recapitalisation devra venir du gouvernement grec et dans ce cas, dire que son déficit primaire étant proche de zéro, il n’a plus besoin de financement est discutable. Une autre possibilité est que l’UE et le FMI poursuivent le service de la dette existante, sans aider le gouvernement pour ses engagements futurs, afin d’éviter la contagion causée par un effondrement complet. Par ailleurs, le pays affiche toujours un important déficit courant, ce qui signifie que le secteur privé dépend toujours largement du financement externe.

– Réintroduction de la drachme?

Le pays n’aurait alors pas d’autre choix que de réintroduire la drachme pour procurer des liquidités au système bancaire et pour monétiser la dette publique. En raison de sa faible crédibilité, ceci entraînerait rapidement une hausse de l’inflation (des attentes inflationnistes), ce qui éroderait largement les gains de compétitivité d’une dévaluation de la devise. Certains observateurs ont évoqué la possibilité d’introduire une caisse d’émission. Alors que ceci ne peut être exclu, cela supprimerait les « bénéfices » de l’octroi de liquidités aux banques et du financement de la dette publique. Il y aurait globalement un resserrement substantiel des conditions financières et de l’offre de crédit en Grèce, ce qui, combiné au net repli de la confiance, entraînerait le PIB dans une spirale baissière. Il n’est pas improbable que dans le cas d’une telle dépression économique sévère, le pays se désintègre sur le plan social et politique.

– Une contagion est inévitable

Une sortie de la Grèce de la zone euro provoquerait une contagion substantielle aux autres pays périphériques, tant via les marchés obligataires et le système financier que via l’économie réelle puisque la confiance des consommateurs et des entreprises pourrait être affectée dans d’autres pays. Les troubles sociaux pourraient également se propager. En réaction à un tel scénario (ou à la seule menace de celui-ci), nous pensons que tant l’ESM et le FMI que la BCE interviendraient énergiquement pour contenir la situation.

Dans le meilleur des cas, ceci conduirait à un système bancaire paneuropéen, assorti d’un organe de supervision et d’un cadre pour réaliser une recapitalisation des banques. Nous avons déjà mentionné précédemment que l’un des talons d’Achille de la zone euro est que l’union monétaire a entraîné un très grand degré d’intégration financière, alors que le cadre légal n’a pas suivi. 

– Nous sommes toujours dans le scénario de « rafistolage »

Tout ce qui précède, y compris la sortie de la Grèce de la zone euro, entre toujours dans le cadre de notre scénario de « rafistolage ». Dans ce scénario, les décideurs politiques continuent – compte tenu des contraintes politiques auxquelles ils sont confrontés – à prendre des mesures minimales en direction d’une plus grande intégration au niveau européen. Selon nous, une sortie de la Grèce ne provoquerait pas la fin de la zone euro car les autres pays périphériques sont considérés comme très différents de la Grèce en ce qui concerne le respect des objectifs en matière de réformes budgétaires et structurelles. Un départ de la Grèce n’entraînerait pas non plus une résolution rapide et définitive de la crise, mais pourrait ironiquement accélérer quelque peu ce processus.

A quoi ressemble notre scénario de solution?

La solution pour la zone euro, c’est-à-dire l’issue finale telle que nous la voyons, nécessite que les quatre, voire cinq, éléments suivants soient réunis :

1. Une intégration budgétaire

La voie que l’Europe a actuellement choisie passe par le pacte budgétaire, qui prévoit un renforcement des règles budgétaires et de leur mise en œuvre. Le problème est que ceci n’a une forte chance de réussir que si le point de départ est un faible niveau d’endettement au sein de l’ensemble de la zone euro. L’idée est que dans une union monétaire, la dette souveraine présente un important risque de crédit en raison de l’absence d’un prêteur en dernier ressort. Les gouvernements de la zone euro émettent en quelque sorte des dettes dans une devise étrangère, de sorte qu’un problème de liquidité peut rapidement dégénérer en un problème de solvabilité. Par conséquent, le marché ne voudra soutenir que les faibles niveaux d’endettement. Compte tenu de la situation de départ de l’Europe, avec des dettes élevées, un pacte budgétaire s’avérera toutefois vite incapable d’atteindre un équilibre stable. Les États périphériques continueront à suivre une dynamique négative. Pour plus de stabilité, l’Europe devrait introduire des euro-obligations, pour lesquelles tous les pays sont au moins individuellement, mais de préférence conjointement responsables Ceci n’est possible que s’il existe un cadre budgétaire crédible excluant tout aléa moral. L’implication politique des euro-obligations serait une certaine forme de transferts budgétaires entre le nord et le sud et une diminution de la souveraineté nationale.

2. Un système bancaire paneuropéen

Il s’agit d’un système bancaire fonctionnant véritablement au niveau de l’ensemble de la zone euro. Ceci concerne la gouvernance et la supervision, mais également un système de résolution et de garantie des dépôts. On dit souvent qu’une version européenne du programme américain TARP (Troubled Asset Relief Program) est nécessaire. Le Fonds européen de stabilité financière (FEFS) et le Mécanisme de stabilité européen (ESM) vont dans cette direction avec leur capacité de diriger les fonds vers les banques en difficulté, mais ils ne disposent pas des mêmes capitaux que le TARP américain. Les moyens financiers de l’ESM devraient donc être considérablement renforcés. Un premier pas dans cette direction serait que l’ESM bénéficie du statut bancaire.

3. Une véritable intégration économique

L’Europe doit corriger ses déséquilibres macroéconomiques, car ceux-ci resteront autrement une source d’instabilité économique. Nous avons précédemment argumenté que ceci devrait se faire en supervisant et en corrigeant les déséquilibres en matière de balances courantes intra-européennes en se concentrant sur leurs véritables causes. Il est important que les mécanismes de correction soient symétriques entre les pays excédentaires et déficitaires. Ceci pourrait être (partiellement) réalisé grâce à un agenda crédible de réformes structurelles. Ceci commence sans doute à prendre forme. Quoi qu’il en soit, il faudra beaucoup de temps pour que ce processus soit mis en œuvre et commence à porter des fruits.

4. Une BCE plus flexible

Une conséquence positive de la création d’euro-obligations serait que la BCE pourrait agir plus facilement comme prêteur en dernier ressort. Bien que les euro-obligations ne soient certainement pas une condition à cet effet, la BCE s’est montrée hésitante à agir de la sorte dans la situation actuelle par crainte d’aléas moraux. Un ajustement du mandat de la BCE pour élargir celui-ci à la stabilité financière et ne plus le confiner uniquement à la stabilité des prix permettrait également à la BCE d’agir en tant que prêteur en dernier ressort. En outre, la BCE pourrait relever son objectif d’inflation afin de faciliter les ajustements des taux d’inflation relatifs des États membres. La supervision macro-prudentielle du secteur financier doit par ailleurs être renforcée. Ce rôle pourrait être assumé par la BCE, mais il pourrait également incomber au superviseur bancaire paneuropéen évoqué au point 2.

5. Un pacte d’investissement ou de croissance paneuropéen

Alors que les points 1 à 4, sont nécessaires pour une solution durable pour la zone euro, un pacte d’investissement ou de croissance paneuropéen serait un atout pour atteindre celle-ci plus facilement et plus rapidement. Non seulement la croissance allège tous les maux, mais elle diminue également la perspective d’une spirale négative entre la confiance financière et les performances économiques réelles. En raison du niveau accru de polarisation politique dans de nombreux États membres, promouvoir la croissance pourrait en réalité être plus vital que ce que certains imaginent pour conserver le soutien public pour la zone euro.

– Le risque d’accidents reste un danger majeur

La majorité de ces éléments servent en réalité à réparer des « défauts de fabrication » de l’UEM qui expliquent pourquoi elle est intrinsèquement instable sous sa forme actuelle. La réalité est également qu’aussi longtemps que la zone euro n’a pas effectué ces ajustements, la phase de rafistolage se poursuivra. Cela signifie que les périodes de calme relatif continueront à être interrompues par des crises soudaines, suivies par une réaction (minimaliste) des autorités restaurant temporairement le calme jusqu’aux prochaines turbulences. À cet égard, nous avons souvent cité Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’UE, qui disait que « l’Europe sera forgée dans les crises ». Il convient de garder à l’esprit que nous avons déjà bien progressé et que l’Europe dispose aujourd’hui d’outils (FESF/ESM/SMP) qui étaient au départ impensables.

La période de « rafistolage » est marquée par la volatilité et peut durer très longtemps. Entre-temps, le risque d’accidents demeure bien présent. La Grèce est l’un de ces accidents malheureux. Il devrait encore y en avoir et indépendamment de leur forme ou de leur ampleur, ils entraîneront une certaine contagion. De petits accidents, tels que la faillite d’une banque ou la quasi-faillite d’États relativement petits, devraient provoquer un accès de volatilité et de turbulences et entraîner temporairement la zone euro dans un scénario de «survie laborieuse» (la contagion et les éventuels dommages collatéraux seront si importants que des solutions plus dramatiques seront mises en œuvre). Un accident de plus grande ampleur pourrait en revanche causer une contagion incontrôlable conduisant à un effondrement de l’euro (impliquant un éclatement partiel de la zone euro, la monnaie unique restant la devise des pays du noyau dur et de quelques autres pays).

Il est très difficile de prévoir quel scénario finira par l’emporter. Alors que nous tablons sur une solution à long terme, même ce scénario le plus optimiste empruntera un chemin long, laborieux et volatil, un chemin parsemé de voies transversales susceptibles de conduire au scénario de survie laborieuse, voire à celui d’un effondrement partiel de l’euro. Nous conseillons dès lors vivement aux investisseurs de ne pas se focaliser sur l’issue finale, mais plutôt de suivre les développements de près et d’être préparés à s’adapter aux nouvelles réalités en cours de route.

Que peut-il se passer en Grèce à très court terme ?

– Le jeu de la poule mouillée se poursuit

Le jeu auquel la Grèce et le reste de la zone se livrent est clairement de savoir celui qui cèdera le premier, parce qu’en termes financiers et économiques purement rationnels, personne n’a intérêt à ce que la Grèce quitte la zone euro. Il convient toutefois d’être conscient que des éléments non rationnels pourraient jouer un rôle important dans les décisions prises des deux côtés, car les Grecs pourraient ne plus supporter l’austérité imposée, tandis que les autres États membres pourraient se lasser de financer la Grèce.

Un départ de la Grèce pourrait ne pas venir d’une décision volontaire du gouvernement grec, le reste de la zone euro pourrait également pousser la Grèce vers la porte de sortie. Le principal problème ici est celui des déséquilibres « Target 2 ». La BCE opère en réalité comme une chambre de compensation pour les banques centrales nationales. Par conséquent, les déficits de la balance courante et de la balance des capitaux privés de la Grèce (fuite des dépôts) entraînent une hausse du passif Target 2 de la banque centrale grecque (près de EUR 130 milliards actuellement). C’est donc essentiellement la banque centrale qui finance les flux de capitaux entrants.

La semaine passée, la BCE a exclu plusieurs petites banques grecques de ses opérations de refinancement régulières, de sorte que ces banques sont désormais totalement tributaires des mesures exceptionnelles de liquidité (ELA, Emergency Liquidity Assistance) de la banque centrale grecque. Les exigences de cette dernière en matière de collatéraux sont beaucoup plus souples et contrairement aux opérations de refinancement régulières, le risque de crédit reste totalement assumé par la banque centrale grecque. La principale raison justifiant la décision de la BCE est la procrastination persistante en ce qui concerne la recapitalisation des banques grecques.

L’ELA est potentiellement un source illimitée de création de liquidités, mais la BCE peut y mettre son véto. Ceci est susceptible de se passer si un gouvernement hostile à la troïka est mis sur pied après les prochaines élections grecques, ce qui pourrait entraîner la fin du financement par la troïka. Un tel gouvernement voudrait en effet probablement rester dans la zone euro, mais sans vouloir en payer le prix en termes de réformes structurelles et budgétaires. Le point important ici est que le gouvernement pourrait se maintenir à flot pendant quelque temps grâce au financement des banques via l’ELA puisque ces dernières peuvent utiliser ces fonds pour acheter des obligations d’État grecques. Confrontée à la perspective d’un effondrement du système bancaire provoqué par une accélération des fuites de capitaux, la banque centrale grecque pourrait décider de passer outre le véto de la BCE. Cette dernière réagirait alors en excluant l’ensemble de la Grèce du système Target 2. Cette décision ne sera pas prise à la légère et seulement après l’approbation des leaders européens. Dans ce cas, les « euros » créés en Grèce ne seraient plus des euros !

Tout dépendra donc des résultats des élections grecques et de la façon dont le parti radical de gauche Syriza réagira lorsqu’il sera mis au pied du mur par le reste de la région. Les récents sondages d’opinion semblent indiquer que les partis favorables à la troïka (PASOK et Nouvelle Démocratie) gagnent un peu de terrain. Peut-être qu’assimiler les élections à un referendum sur l’adhésion à la zone fonctionnera. Et même si le parti Syriza remporte le scrutin, il n’est pas absolument certain (quoique fort probable) que la Grèce sortira de la zone euro car l’extrême-gauche pourrait encore essayer d’atteindre une sorte de compromis, alors que le reste de la région pourrait également être prête à faire des concessions. Cette dernière attitude est toutefois beaucoup plus probable en cas de victoire des partis favorables à la troïka lors les élections. Dans ce cas, les leaders de l’UE pourraient ralentir considérablement le rythme d’ajustement budgétaire imposé à la Grèce et pourraient même concocter une sorte de Plan Marshall grâce aux fonds structurels de l’UE et au soutien de la Banque européenne d’investissement.

Il n’est pas exclu que la perspective de ces « carottes » soit utilisée avant les élections afin d’accroître la probabilité de victoire des partis favorables à la troïka. Nous revenons ainsi au traditionnel compromis entre «la prévention de la contagion » et la « prévention des aléas moraux ». D’autres pays en effet profiter dans une certaine mesure de « l’exemple » grec pour alléger le poids de leur ajustement.

– Probabilité de sortie de la Grèce de la zone euro de 50% d’ici 2 ans

Globalement, le risque lié à la Grèce reste extrêmement élevé. La situation pourrait en fait déjà atteindre un point critique avant les élections si les fuites de capitaux continuent à s’accélérer. Nous continuons à évaluer la probabilité d’une sortie de la Grèce de la zone euro à 50% d’ici 2 ans car la structure économique et sociale de la Grèce est trop faible pour supporter le poids de l’ajustement. Selon nous, la probabilité d’une telle sortie d’ici 1 à 2 mois est néanmoins plus faible (30-40%). La principale raison est que nous avons déjà vécu cette situation. Chaque fois que la région semble au bord du gouffre, une sorte d’innovation politique de dernière minute l’empêche de tomber dans l’abysse. Des propos musclés font une partie de toute stratégie de négociation, mais en définitive, les leaders politiques ont jusqu’à présent toujours semblés désireux d’atteindre un compromis.

Ceci étant dit, l’enjeu est cette fois clairement plus élevé car respecter le programme de la troïka (du moins dans une certaine mesure) est une question de principe. Il convient de souligner que la probabilité relativement élevée d’un scénario très sombre devrait inciter à se montrer extrêmement prudent à l’égard des investissements grecs.

Contagion aux autres pays périphériques

Tout ceci soulève bien sûr la question des implications pour les autres pays périphériques et, en particulier, pour l’Espagne. Au cours de ces dernières semaines, il y a en effet eu des signes accrus de contagion aux marchés obligataires et au secteur bancaire. Ceci devrait certainement augmenter substantiellement en cas de sortie de la Grèce de la zone euro. Il n’est cependant pas exclu qu’à l’approche des élections grecques, d’autres pays périphériques soient également confrontés à des fuites de capitaux.

La première ligne de défense contre une telle éventualité reste l’octroi de liquidités illimitées par la BCE. La possibilité susmentionnée d’une exclusion de la Grèce du système Target 2 ne s’applique certainement pas aux autres pays périphériques car le reste de la région les considère comme plus respectueux des objectifs de leur programme.

Néanmoins, la « capacité passive » des banques périphériques à bénéficier des liquidités de la BCE dans le cadre des opérations de refinancement régulières d’une maturité allant jusqu’à 3 mois n’est probablement pas suffisante en cas d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Dans ce dernier cas, on assistera à une guerre entre les fuites de capitaux préventives et les pressions des marchés financiers d’une part et la rapidité et l’ampleur des réactions politiques d’autre part.

Ceci signifie que la BCE sera contrainte de procéder à de nouvelles opérations de refinancement à long terme (LTRO) avec un nouvel assouplissement des exigences pour les collatéraux. D’importants fonds en provenance du FESF, de l’ESM et du FMI seraient nécessaires pour recapitaliser les banques et pour assurer la garantie des dépôts dans toute la zone euro. Les moyens d’accroître les fonds de l’ESM (en lui donnant l’accès au financement de la BCE, par exemple) reviendraient alors sur la table, d’autant plus que l’Espagne et l’Italie pourraient perdre (partiellement) leur accès aux marchés.

Un programme TARP européen ainsi qu’un système de garantie des dépôts paneuropéen remplaçant les garanties nationales constitueraient selon nous d’importants pas en avant. Une sortie de la Grèce de la zone euro pourrait à cet égard servir de catalyseur pour une intégration budgétaire et politique accrue. Une garantie paneuropéenne des dépôts pourrait toutefois ne pas être la panacée qu’elle semble être à première vue. L’objectif est de protéger les déposants de la ruée sur les banques qui aurait lieu si un pays devait envisager de quitter la zone euro. Néanmoins, en cas de sortie de la zone euro, cette garantie serait sans valeur. Ceci ne fait que confirmer qu’en définitive, il n’y a pas d’autre alternative qu’une poursuite de l’intégration budgétaire et économique, ce qui inclut en fin de compte l’introduction d’euro-obligations.

– Le système bancaire est la principale cause des problèmes espagnols

Pour l’Espagne en particulier, nous continuons à croire que la principale cause du problème est le système bancaire national. Dans cette optique, les mesures annoncées la semaine passée (provisions supplémentaires de EUR 30 milliards) sont un pas dans la bonne direction, mais elles ne suffisent certainement pas. Ceci correspond en réalité à l’approche graduelle adoptée jusqu’à présent en matière de recapitalisation des banques.

On peut se demander pourquoi le gouvernement espagnol ne prend pas des mesures plus énergiques puisqu’il pourrait facilement obtenir des fonds du FESF à cette fin. Ceci s’explique en partie par le fait que cela stigmatiserait les banques espagnoles. En outre, cela pourrait être difficile à expliquer politiquement dans un contexte de chômage supérieur à 25%. Enfin, il y a également un élément de répression financière impliqué. Les banques espagnoles les plus rentables ont fait savoir qu’elles avaient plus ou moins atteint la limite du montant d’obligations espagnoles qu’elles souhaitaient détenir, tandis que les étrangers diminuent leurs avoirs en papier espagnol. Le gouvernement espagnol est donc désormais largement tributaire des plus petites banques pour son financement. Recapitaliser ces banques plus faibles et les rendre moins dépendantes du financement de la BCE pourrait également leur faire perdre leur appétit pour les obligations d’État espagnoles.

– Une nouvelle participation du secteur privé ne peut être exclue pour les petits pays périphériques

Nous restons globalement d’avis que le reste de la périphérie, y compris l’Espagne, est fortement différent de la Grèce, car les autres États membres de la zone euro estiment que ces pays s’efforcent de bonne foi de procéder à des réformes structurelles et budgétaires. Le fardeau imposé à ces économies pourrait même être quelque peu allégé car les décideurs politiques commencent à prendre conscience que se focaliser sur l’austérité peut avoir des effets contraires au but recherché. En cas d’augmentation de la contagion, nous pensons que la réaction des autorités finirait par être assez énergique pour calmer la situation, mais probablement pas avant que les prix des avoirs financiers et l’économie réelle aient subi d’importants dégâts.

Enfin, en ce qui concerne l’éventualité d’une participation du secteur privé, nous n’avons pas changé d’avis : celle-ci ne peut être exclue pour les petits pays périphériques (en particulier le Portugal), mais ce n’est pas notre scénario central. En effet, la BCE et les leaders européens sont toujours traumatisés par les effets de contagion provoqués par la participation du secteur privé pour la Grèce et essaieront probablement d’éviter une nouvelle participation par tous les moyens. Une participation du secteur privé pour l’Espagne ne sera, selon nous, pas nécessaire, car même dans un scénario pessimiste, le pourcentage de sa dette par rapport au PIB ne devrait pas dépasser 100%. Une participation pour l’Espagne serait de surcroît un événement désastreux compte tenu de son ampleur et du nombre d’obligations espagnoles détenues par les banques espagnoles.

NOTES

  1. Nous avons régulièrement commenté ce sujet, mais nous renvoyons en particulier au MindScope de décembre 2011 (“Une issue binaire pour la zone euro”) et au FocusPoint de février 2012 (“Quatre scénarios possibles pour la crise de l’euro”) pour plus de détails sur la façon dont nos prévisions ont récemment évolué.

Cette publication est réalisée grâce la coopération du Groupe «Stratégie et Allocation Tactique d’Actifs» (STAAG) (Mary Pieterse-Bloem, Willem Verhagen et Valentijn van Nieuwenhuijzen) et de l’équipe Core. Fixed Income (Sylvain de Ruijter et Thede Rüst).