par Ad van Tiggelen, stratégiste Senior, ING IM
Suite aux sévères corrections qu’ils ont subies cette année, les cours des actions sont en mode récession, avec un repli total des bénéfices de près de 40%. Selon plusieurs critères traditionnels, les actions semblent bon marché, certainement en comparaison du taux sans risque. Ceci étant dit, les marchés obligataires anticipent un futur plus sombre que les actions.
Tant aux Etats-Unis qu’en Europe, les rendements des obligations d’Etat sont retombés à des niveaux compatibles avec des craintes déflationnistes, un scénario que l’on n’a plus connu depuis la longue récession qui a frappé le Japon dans les années quatre-vingt-dix! Parallèlement, les rendements des obligations d’entreprises ont augmenté substantiellement, de sorte que le différentiel entre ces rendements et ceux des obligations d’Etat, que l’on appelle le différentiel de taux, a atteint des niveaux inédits.
Il est évident que la faiblesse du marché des obligations d’entreprises est négative pour les sociétés qui doivent refinancer leur dette. Ceci est particulièrement frappant sur le marché des obligations à haut rendement, auquel de nombreuses petites et moyennes entreprises ont recours. Ces sociétés présentent souvent un bilan sain, mais ne remplissent pas les conditions très strictes requises pour obtenir un rating ‘investment grade’ (de AAA à BBB).
Entre 2004 et 2007, ces entreprises pouvaient généralement émettre des obligations assorties d’un coupon de 7 ou 8%. Cette année, les cours de leurs obligations ont toutefois diminué de moitié et les sociétés sont contraintes d’offrir un coupon d’environ 20% sur les nouvelles obligations émises. Pour les sociétés qui disposent d’un rating ‘investment grade’, ce qui concerne la plupart des grandes sociétés cotées et toutes les institutions financières, le différentiel de taux par rapport aux obligations d’Etat a également atteint des niveaux historiquement élevés. On peut désormais acheter des obligations de grandes sociétés renommées à la capitalisation élevée offrant un coupon de 7 ou 8%, soit beaucoup plus qu’il y a un an.
Il est possible d’estimer le pourcentage des sociétés qui devraient faire faillite au cours des prochaines années pour justifier ces rendements élevés. Le résultat est stupéfiant. Le marché des obligations à haut rendement prévoit implicitement que plus de la moitié des entreprises de son univers feront faillite au cours des trois prochaines années. Le taux de faillite implicite pour les obligations d’entreprises, tant à haut rendement que investment grade, est désormais supérieur à ce que nous avons connu durant la dépression de 1929 à 1933, période durant laquelle le PIB américain s’est contracté de 7% par an et la déflation a atteint 6% par an ! Alors que les actions anticipent une récession, les obligations d’entreprises prévoient donc, quant à elles, une dépression.
Cette différence de perception inhabituelle entre les obligations d’entreprises et les actions s’explique par l’effet conjugué des ventes forcées et du manque de liquidité. Nombre d’obligations d’entreprises étaient détenues par des hedge funds et d’autres investisseurs qui avaient emprunté à bon compte pour acheter des actifs à haut rendement. A la suite des sorties massives de capitaux, ces investisseurs sont contraints de vendre leurs obligations d’entreprises à n’importe quel prix. En période d’incertitude, les investisseurs veulent pouvoir acheter et vendre facilement leurs actifs. Or, les obligations d’entreprises ne sont pour l’instant pas très liquides.
Alors que les opérateurs obligataires ne sont pas enclins à prendre des risques sur leur portefeuille de négociation, les vendeurs doivent actuellement trouver une contrepartie physique pour chaque transaction, ce qui est difficile. En outre, les acheteurs institutionnels potentiels voient leur marge de manœuvre restreinte par des limites de risque, tandis que les investisseurs privés connaissent très peu les obligations d’entreprises et ne sont dès lors pas conscients des opportunités intéressantes qui se présentent actuellement.
Pour l’instant, nous préférons les obligations d’entreprise aux actions. En effet, si le déclin actuel devrait s’avérer plus sévère que prévu, ce qui maintiendrait les rendements obligataires à des niveaux élevés, le refinancement de la dette deviendrait si cher que les bénéfices des entreprises souffriraient encore plus que prévu. Inversement, si une reprise devait se manifester plus tôt qu’escompté, les obligations d’entreprises pourraient aisément offrir un potentiel de hausse des cours de 15 à 40%, à l’image des actions. En résumé, si vous pouvez envisager un horizon d’investissement à long terme, l’achat d’un fonds de placement bien diversifié en obligations d’entreprises constitue aujourd’hui une sage décision, même s’il est financé par la vente d’actions.