Les souverains ou le nouveau pari de crédit

par Axel Botte, stratégiste chez Axa IM

Les marchés obligataires sont désormais focalisés sur le risque de crédit souverain. La phase de stress actuelle a touché les émetteurs souverains dès cet hiver. Les marchés s’interrogent sur le caractère soutenable des dettes publiques, tant au plan politique que financier.

Dernièrement, la Grèce s’est trouvée dans l’œil du cyclone. Le gouvernement grec, incapable de présenter un plan crédible de consolidation de ses finances publiques et faisant face à une forte opposition de l’opinion aux mesures d’austérité, a subi une forte augmentation de son coût de refinancement. Fin janvier, les obligations grecques à 10 ans s’échangeaient à un spread de 396 pdb par rapport aux bunds allemands.

Certains craignaient une crise systémique dans la zone euro, de même ampleur que celle qui a suivi la chute de Lehman Brothers, il y a tout juste dix-huit mois. Les gouvernements ne pouvaient laisser une telle crise se reproduire et les pays les plus importants de l’union monétaire ont dû afficher leur soutien à la Grèce.

Soyons cyniques face à cette situation. Les valorisations aberrantes sont autant d’opportunités d’investissement intéressantes. Le marché des emprunts d’Etat – réputé sans risque et à faible rendement – représente désormais une bonne alternative au crédit investment grade et aux autres classes d’actifs. Les spreads sont élevés sur le marché du risque souverain et implique – à tort ou à raison – une probabilité significative de défaut de paiement, y compris pour des pays notés AAA et s’endettant dans leurs propres monnaies.

Si les crédits des pays développés sont désormais perçus comme risqués, les structures appliquées communément aux obligations d’entreprises pourraient être utilisées dans l’univers des emprunts d’Etat. Dans cette note, nous justifions l’emploi de structures d’asset-swaps et l’intérêt de positions sur la base cash-CDS sur les marchés du crédit souverain.

Description des asset-swaps

L’investissement en obligations d’entreprise implique une exposition à plusieurs facteurs de risques potentiels liés aux taux d’intérêt, à la devise, au swap spread, au crédit pur (soit le spread CDS) et à l’illiquidité du titre. Cependant, l’intérêt du crédit ne réside que dans l’excès de rendement anticipé lié au portage plus élevé, puisque d’autres instruments financiers plus efficaces et moins coûteux existent afin de s’exposer au risque de taux (futures sur obligations ou taux d’intérêt) et au swap spread (swaps de taux). Les structures d’asset-swaps permettent à leur détenteur de ne s’exposer qu’à la composante crédit d’une obligation sous-jacente.

Une structure d’asset-swap1 combine une obligation risquée et un swap de taux d’intérêt. Le swap permet d’échanger des coupons fixes contre des paiements flottants indexés sur un taux de référence (communément un taux Libor).

Nous supposons ici que l’achat de l’obligation risquée est également financé à ce taux. Puisque l’investisseur reçoit des flux flottants au lieu de flux fixes, le risque sur la valeur de marché de l’obligation issu d’un mouvement de taux est couvert. Le spread au-dessus du Libor reçu sur la partie flottante est appelé asset-swap spread (ASW spread). Il constitue une mesure pure du risque de crédit.

Dans la plupart des cas, la structure cote au pair, quel que soit le prix de l’obligation sous-jacente. L’ASW spread peut être déterminé analytiquement, puisque la valeur présente des flux doit être nulle à l’équilibre2. Si le prix est différent de 100, l’ASW spread sera ajusté de façon à compenser le détenteur sur la vie de l’obligation. Lorsque le prix est inférieur à 100, l’acheteur de l’asset-swap reçoit un spread plus élevé mais il est à noter qu’en cas de défaut, il ne percevra pas le portage excédentaire sur la vie restante de l’obligation.

L’effet est symétrique si le prix est au-dessus du pair. Il est cependant faible pour des prix compris entre 90 et 110%.

Ces structures sont très présentes sur le marché du crédit européen, mais moins répandues aux États-Unis.

Asset-swaps sur les emprunts d’Etat et arbitrages de base

La valorisation des actifs financiers implique une comparaison des prix observés sur le marché à une référence. La valeur relative des titres gouvernementaux peut être approchée par des techniques de régression cherchant à calculer une valeur d’équilibre (splines cubiques et modèles paramétriques sont les plus utilisés). La distance à la valeur d’équilibre estimée traduit ainsi la sur- ou sous-évaluation des obligations. Néanmoins, ces techniques peuvent s’avérer insuffisamment flexibles pour valoriser les obligations dans toutes les conditions de marché.

Les structures d’asset-swaps peuvent servir de modèle de valorisation. La courbe de taux swap actuelle constitue la référence à partir de laquelle les titres sont valorisés

Dans des conditions de marché normales, ces ASW spreads s’échangent autour de -25pdb sur les marchés en euros, ce qui traduit essentiellement une prime d’illiquidité des swaps par rapport aux emprunts allemands de référence. Historiquement, la majorité des spreads européens a évolué en ligne avec les swap spreads, considérés également comme un indicateur du risque systémique sur les marchés financiers.

Cependant, depuis le début de la crise, les marchés sont devenus plus discriminants et des différences sont apparues entre les ASW spreads des émetteurs souverains suivant la détérioration de leurs finances publiques. C’est notamment le cas des pays du sud de la zone euro. Le marché traduit donc bien les opinions des intervenants sur la qualité de crédit des souverains. 

La structure par terme des ASW spreads est généralement croissante pour les pays les moins risqués, et tend à s’inverser lorsque le risque est plus élevé et les anticipations de défaut plus rapprochées dans le temps, comme dans le cas de la Grèce. Les ASW spreads sur les obligations espagnoles se situent à 50pdb contre 12pdb pour les OAT françaises à 10 ans. En comparaison, l’ASW spread de la Grèce est supérieur à 300pdb pour toutes les maturités inférieures à 6 ans et s’échange à 220pdb à 30 ans. Le crédit portugais est également sous pression avec un spread à 5 ans proche de 65pdb. Il est difficile d’avoir une idée précise de l’ampleur de l’utilisation de ces structures pour s’exposer au crédit souverain pur.

Il est néanmoins indéniable que l’intérêt pour le risque souverain a crû au cours des deux dernières années, comme en témoignent les volumes traités en CDS. Cela encouragera surement le développement d’arbitrages entre ASW spreads et primes de CDS souverains, deux mesures concurrentes de la solvabilité perçue des émetteurs. Ainsi, l’écart entre ASW et CDS devrait être proche de zéro. La base entre les deux instruments reflète essentiellement les différences de liquidité entre ces deux marchés.

Actuellement, la base cash-CDS est plutôt positive pour la majorité des émetteurs de la zone euro, en raison de la profondeur plus importante du marché obligataire mais également parce que les CDS souverains sont utilisés par les intervenants pour ouvrir d’autres risques3 (des risques de contrepartie bancaire par exemple) lorsque le CDS sur l’entité de référence est indisponible. Prendre position sur la base requiert de vendre un asset-swap – soit vendre une obligation d’Etat et recevoir le fixe dans un swap de taux d’intérêt – et de vendre de la protection sur le crédit de l’émetteur en utilisant, par exemple, un CDS de même maturité que l’obligation. Le vendeur de protection perçoit une prime trimestrielle supérieure à l’ASW spread payé par ailleurs dans le cas d’une base positive sans être exposé au risque de crédit de l’émetteur (à l’exception de cas d’échanges de dette volontaires). Ces positions sur la base positive des souverains devraient gagner en popularité puisqu’il est possible d’emprunter les obligations d’Etat et que la position en CDS ne requiert pas de financement. Le coût plus élevé d’emprunt des obligations d’entreprise a limité ce type d’arbitrages de base positive sur le marché des entreprises, contrairement aux positions de base négative (lorsque les spreads de l’obligation sont supérieurs aux primes de CDS). Nous prenons l’exemple de la structure par terme de la base pour les obligations espagnoles dans le graphique ci-dessous. La prime d’illiquidité à 5 ans est de 82pdb. Il existe actuellement beaucoup d’opportunités similaires sur les marchés de dette souveraine.

Conclusions

Le risque de crédit des pays considérés jusqu’ici comme sûrs est le sujet de préoccupation majeur des marchés aujourd’hui. Les anticipations de défaut élevées suggèrent la mise en place de structures d’asset swap afin de s’exposer à une réduction du risque souverain. En outre, les différences d’appréciation du risque de crédit entre le marché obligataire et le marché de CDS donnent lieu à des opportunités d’arbitrage de base intéressantes.

NOTES

  1. Voir le commentaire spécial de Chantana SAM “Bénéficier de la base négative entre le crédit cash et les CDS”, juin 2009, pour plus de détails sur les structures d’asset-swap et leurs risques associés.
  2. L’ASW spread est la valeur qui résout l’équation suivante: 100 – P+c ∑DF= ∑(L+ASWspread).DF où P est le prix de l’obligation, c est le coupon de l’obligation, DFi correspond aux facteurs d’escompte and L désignent les taux Libor.
  3. Voir le Commentaire Spécial en deux parties (mars et avril 2010) de Chantana SAM, offrant une description détaillée du CDS souverain et une analyse de l’influence de l’échange de CDS dans le contexte actuel de crise du risque souverain.