par Gilles Bridier est journaliste.
Il fut un temps où il était de bon ton de fustiger la présence de l’Etat au capital de groupes cotés du secteur concurrentiel, vers la fin des années 1990, lorsque l’actionnaire public n’ouvrait qu’avec parcimonie les portes de ses entreprises au privé comme à Air France, Renault ou France Télécom. Réputé mauvais gestionnaire et plus soucieux de ses intérêts politiques qu’économiques, il était suspecté de faire passer au deuxième rang ceux des autres actionnaires qui, ainsi, n’obtenaient pas la rentabilité souhaitée du capital investi.
Pour renflouer ses caisses, l’Etat dispendieux vendit au fil de l’eau la majeure partie de ses participations dans ces sociétés, se comportant alors comme un actionnaire avisé pour réaliser des plus-values dans les meilleures conditions. Personne ne semblant s’en trouver lésé, les actionnaires privés en vinrent à accepter ce partenaire singulier aux stratégies si semblables aux leurs, et on oublia même le niveau des participations de l’Etat dans ces sociétés.
A l’occasion de la naissance du nouveau géant de l’énergie GDF-Suez, on entendit même Gérard Mestrallet, P-DG, et l’investisseur belge Albert Frère, premier actionnaire privé de l’entreprise, se féliciter de la présence de l’Etat, gage de pérennité, dans le tour de table du nouveau groupe. Car si l’énergie est un secteur stratégique pour l’économie, il est aussi terriblement instable compte tenu de son asservissement aux pressions géopolitiques. De la même façon aux dernières Rencontres économiques organisées début juillet par le Cercle des économistes, Pierre Gadonneix, le P-DG d’EDF qui fut un militant de la privatisation de GDF comme d’EDF, reconnut de façon aussi inhabituelle qu’impromptue qu’il était plutôt rassurant aujourd’hui, compte tenu des tensions sur le marché, de conserver l’Etat dans son tour de table.
Ainsi l’Etat serait-il redevenu un actionnaire fréquentable. Pourtant, il fut une époque – également durant les années 1990 – où les opérateurs privés considéraient que les marchés étaient les mieux à même de fixer les bons niveaux de prix, et que l’intervention de l’Etat dans la fixation des tarifs perturbait le fonctionnement de ces marchés. Les parlementaires eux-mêmes y crurent si fort qu’ils votèrent la libéralisation du secteur de l’énergie sans bien en anticiper les conséquences. Mal leur en prit : pour avoir mal apprécié au départ les effets de la déréglementation sur les prix, ils durent faire marche arrière, mettant en place de véritables usines à gaz pour construire une libéralisation « canada dry » avec concurrence mais tarifs réglementés ou encadrés. C’est vrai dans l’électricité ; dans le gaz également. Et personne aujourd’hui ne monte au créneau pour dénoncer cet état de fait. Comme si l’énergie, finalement, méritait mieux qu’une libéralisation dogmatique.
Ainsi, ni Albert Frère ni Gérard Mestrallet n’ont contesté le pouvoir que conserve la puissance publique sur les tarifs et leur augmentation, alors qu’il s’agit d’un élément déterminant de la gestion et qu’il entrave considérablement la liberté d’action du management de GDF-Suez. Certes, après vingt neuf mois passés à négocier un mariage, il aurait été peu diplomatique de ne pas trouver la mariée si belle. Mais face à une inflation que les pouvoirs publics auront tendance à vouloir juguler en utilisant les leviers à leur disposition (comme les prix de l’énergie), les actionnaires privés pourraient légitimement s’inquiéter. Qu’importe : les marchés ont horreur de l’imprévu. Lorsque la visibilité se réduit et que les risques augmentent – comme dans l’énergie aujourd’hui – le parapluie de l’Etat redevient attractif, fut-ce au prix de quelques concessions sur les augmentations de tarifs. La capacité de régulation que conserve l’Etat semble, dans ces conditions, assez bien acceptée par les opérateurs privés. Il fut un temps où, disait-on, ils ne faisaient pas si bon ménage…