par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
Alors qu’au 19ème siècle, la science économique a concentré ses efforts sur la compréhension des mécanismes économiques et, en particulier, sur le fonctionnement des marchés, la crise des années 30 a conduit à une réorientation des débats. Ainsi, les confrontations les plus vives observées sur la période 1930-1980 ont tourné autour du rôle de la politique économique et, en particulier, de la politique budgétaire. Bien entendu, le précurseur en la matière a été J.M. Keynes.
Les hypothèses de base de l’analyse keynésienne postulent une certaine rigidité des prix à court terme et une forte élasticité de l’offre. Dans ce contexte, l’équilibre macroéconomique ne se réalise pas par les prix (comme postulé historiquement par l’école classique), mais par le niveau de la demande agrégée. Il est supposé en outre un certain degré de myopie des consommateurs (leur revenu courant détermine leur consommation), si bien qu’un choc de demande positif (hausse des dépenses publiques financées par déficit, par exemple) se transmet à l’économie via un effet multiplicateur qui dépend de la propension marginale à consommer des ménages (inverse de la propension à épargner). En économie ouverte, il faut également intégrer la propension marginale à importer (« fuite dans le circuit »). Bien entendu, ces principes généraux, illustrés souvent par le modèle IS/LM, ont été raffinés au cours du temps (introduction de la politique monétaire, des taux de change, mobilité des capitaux…). Leur philosophie centrale continue toutefois de postuler qu’une politique budgétaire expansionniste (respectivement restrictive) conduira, toutes choses égales par ailleurs, à une accélération (respectivement un ralentissement) de la croissance.
En réaction aux idées keynésiennes, les néo-classiques ont articulé leurs critiques autour de trois grands axes.
D’une part, l’effet d’éviction (hausse des taux d’intérêt en réponse à l’accroissement du déficit public) annule une bonne part du stimulus budgétaire, en réduisant la demande privée. D’autre part, les néo-classiques postulent une rigidité de l’offre à court terme. Pour que cette dernière réponde à la hausse de la demande publique, il faut alors une forte augmentation des prix qui pénalise, ex-post, la demande privée. Enfin, les critiques de la théorie keynésienne s’appuient souvent sur la notion d’équivalence ricardienne. Retenant le postulat des anticipations rationnelles (hypothèse forte), ces derniers annoncent qu’une hausse du déficit public est parfaitement intégrée par les consommateurs qui anticipent alors une hausse future des impôts, ce qui les conduit en conséquence à épargner autant, annulant ainsi tout effet de la politique budgétaire. Sans nier complètement tous les effets positifs des plans de stimulation budgétaire, les défenseurs contemporains de ces théories (Angela Merkel, Jean-Claude Trichet…) limitent l’impact à la fois expansionniste, mais également récessif, des différentes politiques budgétaires. Bien souvent, les arguments en termes de soutenabilité de la dette publique prennent le pas dans leurs discours sur l’efficacité économique des politiques budgétaires1.
Dans les faits, tous les effets décrits précédemment ne jouent toutefois pas. Ainsi, la politique monétaire extrêmement accommodante menée actuellement par la BCE, ses achats de dettes privées et publiques évitent la remontée des taux d’intérêt. En outre, dans le même temps, les acteurs privés ont tendance à se désendetter. Certes, les plans d’aide publique aux secteurs immobiliers ont eu tendance à faire redémarrer le crédit aux ménages. Mais ce phénomène devrait rester limité dans le temps, et son ampleur ne rappelle en rien les rythmes de croissance rencontrés avant la crise. Au total, les encours globaux de prêts aux résidents de la zone euro (publics et privés) progressent à peine de 0,5 % sur un an, ce qui désamorce de potentiels effets d’éviction. De même, le stimulus fiscal de l’activité s’opère dans un contexte de fortes surcapacités. Certes les taux d’utilisation des capacités de production se sont redressés depuis l’automne dernier (en particulier en Allemagne). Toutefois, ces derniers restent bien inférieurs à leurs niveaux historiques (75,5 % en zone euro, contre 81,5 % en moyenne au cours des vingt-cinq dernières années). On peut donc exclure de possibles effets inflationnistes. Au final, seuls les effets initiaux, multiplicateurs (de manière significative) et ricardiens (de manière beaucoup plus limitée), s’appliquent donc au contexte européen actuel, de manière plus ou moins marquée selon les pays2.
NOTES
1 « Je vois une complémentarité et non pas une contradiction entre sagesse budgétaire et reprise de l’activité », Jean-Claude Trichet devant le Parlement européen, 21 juin 2010.
2 Cf. Broyer S. et Brunner C. (2010), « Des plans de relance à la consolidation budgétaire : quel effet net sur la croissance ? », Flash n°283, 4 juin, Natixis.