L’inflation mondiale accélère mais la croissance résiste

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyses d'Amundi

Le mois écoulé a confirmé des tendances ou des facteurs de risque déjà existants, mais le message global est désormais brouillé par l’intensification de la crise au Moyen-Orient, une situation complexe, incertaine, qui ne peut guère être ignorée. L’un des principaux thèmes du mois concerne les matières premières : celles-ci ont, comme tous les actifs risqués, bénéficié dans un premier temps de la croissance, de la demande des pays émergents, de l’excès de liquidité dans le marché … mais aussi, tout récemment et au moins pour certaines d’entre elles, de la montée des tensions au Moyen-Orient.

Le prix du baril de Brent s’est ainsi envolé de 15% en janvier retrouvant des niveaux inobservés depuis la faillite de Lehman Brothers, et l’or s’est, quant à lui, envolé sur ses plus hauts niveaux historiques (plus de 1440$ l’once le 7 mars). Nous revenons sur la montée des prix des matières premières, l’impact à attendre sur la croissance, les craintes d’une envolée de leur cours, et la « maladie hollandaise » qui menace désormais le Brésil.

L’inflation alimentaire est arrivée au centre des préoccupations. Il est en effet difficile de ne pas relier les tensions au Moyen-Orient et l’inflation des denrées alimentaires, l’une « nourrissant » l’autre (si l’on peut dire) et inversement. Les pressions inflationnistes sont bien réelles dans bon nombre de pays émergents, alors qu’elles ne sont pas encore vraiment craintes dans les pays avancés. Certes, les prévisions font état d’une inflation globale plus élevée en 2011 et en 2012 que lors des précédentes années, mais l’inflexion reste modérée. Il reste que les réactions de politiques monétaires diffèrent de part et d’autre de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, la Fed aurait davantage tendance à prendre en compte la ponction sur la croissance qui résulte de la montée des prix du pétrole. En revanche, dans la zone euro, la BCE craint l’accélération de l’inflation. Dit autrement, la récente envolée des prix du pétrole aurait davantage tendance à faire temporiser la Réserve fédérale tandis qu’elle exacerbe les velléités de normalisation monétaire dans la zone euro. C’est peut-être une bonne nouvelle dans la mesure où cela accompagnerait une amélioration de la situation macro-financière au sein de la zone euro. En revanche, puisque la normalisation monétaire a commencé en ordre dispersé, le prix à payer risque d’être une surréaction de l’euro à la hausse.

Mais la bonne nouvelle, c’est que pour l’heure la croissance économique reste solidement ancrée aux Etats-Unis (l’indice IMS manufacturier est au plus haut depuis mai 2004 et celui des services au plus haut depuis septembre 2005), avec en outre un relais pris par les dépenses des ménages. La consommation assure la croissance, l’investissement en assure l’accélération, a-t-on coutume de dire. Dans ces conditions, il paraît acquis que le « quantitative easing » – première étape de la normalisation monétaire aux Etats-Unis – s’achèvera comme prévu en juin 2011.

Cette décision est désormais largement anticipée. Le défi le plus important pour la Fed réside dans sa communication. Rappelons simplement les objectifs de la mise en place du quantitative easing :

  1. Accorder de la liquidité aux marchés financiers et maintenir des taux d’intérêt bas ;
  2. Soutenir les classes d’actifs risqués qui voyaient dans cette décision la promesse de taux bas pour une période de temps longue, la volonté de favoriser la croissance « à tout prix », la possibilité d’investir à moindre risque dans des actif dits « risqués », tels que les actions, le crédit, les actifs des marchés émergents, les matières premières…

Certes, ces classes d’actifs bénéficiaient en même temps de fondamentaux solides, mais le quantitative easing a permis une chute de l’aversion pour le risque qui, finalement, a impliqué une remontée des taux longs, et ce malgré les achats massifs de titres du Trésor par la Fed. Autrement dit, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, la fin du quantitative easing, conjuguée aux tensions observées au Moyen-Orient pourraient s’avérer in fine favorables aux marchés des emprunts d’Etat !

Et même si les tensions géopolitiques s’apaisent rapidement et que le QE2 prend fin, un krach obligataire a peu de chances de se produire en 2011, contrairement à ce que craignent certains observateurs : d’abord parce que la Fed sera prudente dans sa politique de normalisation monétaire, et ensuite parce que les résidents américains continueront très probablement d’acheter massivement des titres du Trésor. La part de leurs actifs détenus sous forme de titres du Trésor demeure trop faible.

Le rééquilibrage des bilans contribuera à contenir la remontée des taux longs outre-Atlantique. En Europe, la croissance reste également solide, mais avec la poursuite de très fortes divergences entre les pays. Deux raisons à cela : d’une part, certains pays (notamment les pays dits « périphériques ») ont été forcés d’adopter une discipline budgétaire et fiscale que leur imposaient le dérapage des finances publiques et les exigences des pays et autres organisations internationales qui sont venues à leur secours ; et d’autre part, pour certains d’entre eux (Portugal, Irlande, voire Espagne notamment), c’est le modèle même de croissance qui est à réinventer. Le manque de compétitivité ou l’existence d’un modèle de croissance basé sur le crédit et sur l’immobilier a fait long feu, et la croissance s’est écroulée. Ces divergences ne vont pas disparaître rapidement.

Encore en Europe, on notera que les pays européens s’activent pour trouver des solutions à la crise de la dette souveraine. L’accalmie sur les marchés de la dette montre finalement que les marchés financiers sont en train de se ranger à l’idée que le scénario de solidarité entre les pays de la zone monétaire reste le plus fort. L’accalmie est-elle justifiée ou est-elle trop optimiste ? Réponse fin mars, et les gouvernements européens ont la balle dans leur camp. Il faut bien garder à l’esprit que trouver des solutions pour les émissions de dettes futures est très important, mais trouver des solutions pour les dettes existantes est sans aucun doute bien plus urgent. Jusqu’à présent, les Etats se sont davantage préoccupés de l’avenir (tout ce qui intervient après 2013) et ont délaissé le présent. C’est l’inverse qui est attendu fin mars par les détenteurs d’obligations…probablement à tort !

En outre, il ne faut pas se faire trop d’illusions en ce qui concerne les annonces du mois de mars. D’abord parce qu’il est peu probable que l’inclusion des fameuses clauses d’actions collectives (CAC) dans les contrats obligataires diminue significativement le coût des financements pour les Etats. Ce sera en effet la première fois qu’un dispositif de cette nature sera mis en œuvre dans une zone monétaire où l’ajustement par le change est par nature impossible.

Dans ces conditions, rien ne garantit a priori que le coût des emprunts d’Etat ne demeurera pas trop élevé au regard des fondamentaux, rendant les charges d’intérêt en définitive insoutenables. Il revient aux créanciers privés d’évaluer correctement le risque porté. Or le coût de financement des Etats menace de s’accroître si les plans d’assainissement ne sont pas jugés crédibles par les investisseurs. Il faudra du temps pour que ces derniers s’habituent à la nouvelle donne. Il est fort probable que, dans l’incertitude, ils exigent dans un premier temps primes de risque trop élevées pour les Etats aujourd’hui en difficulté… Le mois de mars sera riche en annonces. Tabler sur une soudaine embellie sur les dettes périphériques nous semble prématuré. En revanche, si comme nous le pensons « le pire est passé » la BCE pourra tirer parti de l’accalmie pour remonter ses taux. Le discours de J.C.Trichet le 3 mars préannonce une première hausse des taux le 7 avril. Si tel est le cas, ce serait la première fois que la BCE tire avant la Fed.

Dans un autre registre, il est important d’identifier les canaux de transmission entre la rigueur imposée par la dégradation des dettes souveraines des pays avancés et la croissance des émergents. Le risque le plus important risque bien d’être une appréciation réelle de leur devise, sans impact préalable majeur sur leur croissance.

La bonne nouvelle réside dans le fait que les marchés « d’actifs risqués » résistent plutôt bien. Seul le long rallye des émergents n’aura pas résisté aux craintes d’inflation et aux risques géopolitiques sur la période récente. Il en va autrement du Japon, dont l’économie est la moins susceptible d’être affectée par les tensions inflationnistes, et dont les taux d’intérêt ne sont pas prêts de remonter. Enfin, nos mesures du stress financier aux Etats-Unis et en zone euro ont à peine grimpé avec les événements au Moyen-Orient. En dépit d’une légère correction, les marchés d’actions demeurent soutenus par la vigueur des résultats, tout comme les obligations High Yield, secteur pour lequel les conditions de l’offre et de la demande restent bien orientées. En définitive, si le prix du pétrole cesse de grimper, nous tablons sur la poursuite de ces tendances mais à un rythme plus modéré. Il ne faut pas sombrer dans un excès de pessimisme mais il convient toutefois d’être très prudent à court terme.