L’Inflation Reduction Act : seuls les amis peuvent vraiment décevoir

par Paola Monperrus-Veroni, Economiste au Crédit Agricole

Commerce entre amis, « localisations amicales », partenariat stratégique sur la guerre en Ukraine. La volonté américaine de procéder à un découplage avec la Chine appelle les amis européens à prendre position, surtout quand ceux-ci se reposent presque entièrement sur la garantie de sécurité américaine pour défendre leur continent.

Les atermoiements européens quant à leur ralliement aux États-Unis pour rompre avec la Chine, en réfutant le concept d’un monde bipolaire, ou au mieux multipolaire, aux dépens du multilatéralisme, sont reçus avec un certain agacement par l’allié américain. De son côté, celui-ci procède rapidement à la construction de chaînes de valeur nord-américaines dans des domaines sensibles avec ses proches voisins.

C’est dans ce contexte que l’initiative de cet été de l’« Inflation Reduction Act » de J. Biden et la visite que lui a rendu le président Macron doivent se lire. Le concept de protectionnisme amical cherche un curseur : Europe et États-Unis commencent à le positionner.

C’est aussi le curseur que l’administration Biden devra placer entre le consensus bi-partisan sur le besoin de tisser des alliances internationales et ses mesures « Buy american » en conflit avec les exigences de l’OMC.

L’« Inflation Reduction Act » signé en août dernier en est l’exemple. Avec 369 milliards de dollars d’investissements dans la sécurité énergétique et la décarbonation, il fait prendre aux États-Unis le virage vers une économie plus verte, avec un objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% à l’horizon 2030. Il ouvre la voie à des coopérations scientifiques et techniques et améliore la probabilité d’une gestion globale du bien commun qu’est l’environnement.

Les puissantes aides publiques à l’industrie automobile avec une réduction d’impôt de 7 500 dollars pour l’achat de véhicules électriques s’inscrivent néanmoins dans une optique protectionniste, conformément à la vision selon laquelle le commerce doit davantage bénéficier aux travailleurs américains, promesse de campagne de J. Biden. En effet, la réduction d’impôt est conditionnée par l’assemblage du véhicule aux États-Unis et des batteries contenant au moins 40% de minerais extraits localement. L’exception accordée au Mexique, et surtout au Canada, s’inscrit dans la logique de création d’une chaîne de valeur nord-américaine s’affranchissant des matières premières chinoises. N’oublions pas que le Canada est la seule nation démocratique possédant sur son territoire tous les matériaux nécessaires pour construire une batterie électrique.

Mais pour les Européens, qui comptent sur la transition énergétique pour redynamiser leur économie et s’affranchir de certaines dépendances, ces mesures ne sont pas de bon augure. Le risque de distorsion de la concurrence est évident, avec des risques de délocalisation d’industries qu’on s’efforce de faire naître ou renforcer sur le territoire de l’UE à coup de milliards d’euros du Plan de reprise et de résilience, le NextGenerationEU (NGEU). Le projet continental de transition s’en voit compromis et ses investissements minés par les dispositions américaines qui incitent les constructeurs européens à traverser l’Atlantique, notamment à un moment où l’écart entre les prix de l’énergie augmente le coût relatif d’une localisation en Europe.

La mobilisation de l’UE est totale. Elle a obtenu qu’une task force soit constituée directement auprès de la Maison blanche, afin d’aboutir à une solution pour la fin 2022. L’UE vise, sans trop d’illusion, à obtenir des exemptions telles que celles obtenues par le Mexique et le Canada et à travailler sur des instruments permettant de dépasser cette législation. Pour l’instant, elle s’inscrit dans une phase de discussion, pas de menace, mais tient à signaler que ces mesures ne respectent pas les règles de l’OMC. Elle œuvre aussi à construire un argumentaire autour de la validité de la clause de sécurité nationale, qui n’a pas encore été testée à l’OMC. Mais elle sait que montrer ses armes peut avoir un effet dissuasif important. La menace de contre-mesure a permis un gel des droits de douanes sur l’acier et l’aluminium imposés par l’administration Trump et le début d’une discussion pour obtenir des exemptions pour l’UE dans le cadre de l’initiative transatlantique pour le commerce durable.

Il est donc important que, tout en poursuivant le dialogue, l’UE accélère la mise en œuvre de son instrument anti-coercition. Après le début du trilogue entre les institutions européennes sur la base d’une proposition passée au Parlement européen, le 16 novembre dernier, le Conseil s’est mis d’accord sur sa position de négociation. Il ne donne pas carte blanche à la Commission et souhaite qu’elle n’agisse pas si le comité du Conseil ne parvient pas à se mettre d’accord sur une position commune concernant le projet d’acte d’exécution, cherchant ainsi à limiter la portée des mesures de rétorsion potentielles que l’UE pourrait prendre et à en supprimer certaines, comme l’interdiction de participer à des appels d’offres ou le contrôle des exportations.

Finalement, lors de cette semaine très dense pour la diplomatie économique européenne, la visite sans véritable mandat clair du président du Conseil européen, C. Michel, en Chine aura été un non-événement. E. Macron a, en revanche, pu rappeler à J. Biden la déception des pays membres de l’UE et les risques liés à l’affaiblissement de l’allié européen. La prochaine réunion du Conseil UE / États-Unis sur le commerce et la technologie, Trade and Technology Council (TTC), pourra peut-être nous renseigner davantage sur le contenu de la notion d’amitié stratégique et sur la probabilité que l’UE suive, plus ou moins forcée, le découplage américain en matière de technologie.