par Christophe Donay, Responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique chez Pictet Wealth Management
L’échec des politiques monétaires devrait conduire à une redéfinition de leur style, mais aussi plus globalement de la politique économique.
Au cours des derniers mois, les banques centrales ont fait une spectaculaire volte-face : elles se sont rendues à l’évidence qu’elles n’avaient d’autre choix que d’abandonner toute idée de normalisation de leur politique monétaire et qu’il fallait plutôt apporter un nouveau soutien à la croissance économique réelle. Ainsi, la Réserve fédérale américaine (Fed) envisage d’abaisser les niveaux des taux à court terme, tandis que Mario Draghi annonce que la Banque centrale européenne (BCE) va adopter de nouvelles mesures de relance à partir de septembre.
En d’autres termes, la tentative de normalisation des taux directeurs et de réduction de la taille de leur bilan a été vaine. Nous pouvons raisonnablement en conclure que revenir à une politique monétaire de type assouplissement quantitatif (quantitative easing/QE) devrait se solder par un nouvel échec en termes de stimulation de la croissance et de l’inflation.
Depuis 2010, date de lancement de son deuxième programme de QE (QE2) par la Fed, différentes économies ont montré qu’elles n’étaient pas capables de progresser sans le soutien massif des banques centrales. Les Etats-Unis connaissent actuellement la plus longue période de croissance ininterrompue de leur histoire. Pourtant, au cours de la dernière décennie, la croissance annuelle du PIB américain n’a atteint en moyenne que 2,3%, un chiffre nettement inférieur à celle observée dans les phases d’expansion précédentes, avec 4,4% par an pendant la période 1982-1990 et 3,7% pendant de 1991 à 2000. Par ailleurs, la dynamique économique continue d’être profondément modifiée par, notamment, la mondialisation et la robotisation. En conséquence, l’inflation sous-jacente demeure inférieure à l’objectif fixé à 2% par les banques centrales et la croissance réelle reste faible, malgré les liquidités injectées dans les systèmes économiques et bancaires. La politique d’assouplissement quantitatif n’ayant pas été capable de créer une croissance économique vertueuse et durable, un nouveau cycle de QE ne devrait rien changer à cette dynamique sous-jacente.
D’autres défis deviennent aussi pressants: la montée des inégalités et de la précarité de l’emploi, et l’augmentation importante de la population mondiale, avec dans son sillage des vagues massives de déplacements dus au changement climatique. La combinaison de ces facteurs menace la stabilité économique et financière.
Les gouvernements, qui doivent faire face à ces nouveaux défis, sont limités dans leur capacité d’action à cause de taux d’endettement publics élevés. Ils seront donc de plus en plus tentés d’utiliser la politique monétaire directement comme instrument de leur politique globale. En d’autres termes, les banques centrales pourraient tomber sous l’emprise du pouvoir politique, et perdre ainsi de leur indépendance. Les pressions flagrantes exercées par l’administration Trump sur la Fed ainsi que la nomination de Christine Lagarde, ancienne ministre française des Finances, ne sont que deux exemples qui vont dans ce sens.
Quelle pourrait être la teneur des prochaines politiques monétaires? Il devient de plus en plus probable qu’elles se conjuguent avec les politiques fiscales, budgétaires et monétaires, voire que toutes ces politiques fusionnent, pour définir une nouvelle politique économique dans son ensemble, ce qui représenterait un changement majeur. Les implications d’un tel changement seraient multiples. Par exemple, le pouvoir d’achat, dont la faiblesse est l’un des facteurs expliquant la montée des nationalismes, pourrait être adressé différemment grâce à une meilleure coordination des politiques. En effet, alors que le pouvoir d’achat est la résultant de l’activité, il pourrait devenir la résultante directe de la politique économique.
La coordination des objectifs des banques centrales et des politiques fiscales et budgétaire consacrerait un nouveau style de politique économique. Le regain d’intérêt pour la nouvelle théorie monétaire (modern monetary theory) va d’ailleurs dans ce sens. Une autre forme de politique économique volontariste serait de recourir à la «monnaie hélicoptère», c’est-à-dire de distribuer directement de l’argent à l’ensemble des citoyens pour stimuler la consommation.
Certes, une évolution aussi radicale de la politique monétaire provoquerait dans un premier temps une très grande incertitude sur les marchés et modifierait profondément les tendances dans les grandes classes d’actifs. De plus, les banques centrales pourraient ne pas retrouver avant longtemps leur crédibilité auprès des investisseurs, ce qui se traduirait par une volatilité accrue des actions. Les devises pourraient, quant à elles, se déprécier, et l’or physique tout comme les actifs réels devenir plus attrayants.
Dans l’histoire économique moderne, les banques centrales ont montré qu’elles étaient capables de modifier leur style de politique monétaire: le ciblage de l’inflation mené par Paul Volcker dès le début des années 1980 et le premier programme d’assouplissement quantitatif lancé par la Fed en 2008 en sont de bons exemples. Il est temps que les banques centrales se réinventent, afin d’éviter que les gouvernements ne le fassent pour elles. Mais il leur faudra de la créativité et du courage pour conserver leur indépendance.